4 pianos sinon rien !
Le titre du concert « À 4-8-10-12-14-16 mains » a certainement intrigué plus d’un spectateur.
4 mains, on voit bien ! (qui n’a pas en tête les admirables pièces de Schubert comme sa Fantaisie D 940 ou Ma mère l’Oye de Maurice Ravel), ou qui ne s’est déplacé pour écouter les sœurs Labèque ? Mais les 16 mains annoncées laissaient rêveur.
Il faut dire que l’on n’a pas été déçus avec l’arrivée des 4 pianos apportés par des tracteurs à l’heure où le concert aurait dû commencer. La canicule (plus de 35°) y était sans doute pour quelque chose.
Cette nuit du piano réunissait des duos célèbres qui ont l’habitude de partager la scène comme Claire Désert et Emmanuel Strosser, tout comme Hervé Billaut et Guillaume Coppola qui gravent des CD communs. Les autres interprètes, plus jeunes mais déjà confirmés, vont également par deux : les sœurs Lidija et Sanja Bizjak originaires de Belgrade ont remporté de nombreuses récompenses pour leurs prestations en duo ; quant à Alexandre Lory et Jean-Paul Gasparian, les benjamins de la soirée, ils sont invités sur les plus grandes scènes et font partie des pianistes les plus prometteurs de leur génération.
La première pièce de la soirée est de Bach : le Concerto pour quatre pianos en la mineur BWV 1065 fut écrit à l’origine pour quatre clavecins. Il nous permet d’entendre les sœurs Bizjak, H.Billaud et G.Coppola. L’interprétation est magistrale et fait ressortir ce qu’il faut de la polyphonie naturelle de la pièce. Changement d’époque avec le romantique Rachmaninov et un extrait de la Suite n°1 op 5 dont les deux derniers mouvements sont interprétés par A.Lory et J-P. Gasparian. Les pianistes font preuve d’une réelle virtuosité surtout pour le second mouvement Pâques, qui imite les cloches russes sonnant à toute volée.
Beaucoup de réserve en revanche pour le Finale de la 3eme Symphonie op 78 en ut mineur de Saint-Saëns : cette magnifique Symphonie avec orgue est certes, très bien interprétée par les sœurs Bizjak, Claire Désert et Emmanuel Strosser mais il est difficile de faire sonner des pianos comme un orgue, si bons et si nombreux soient-ils. Cette symphonie se veut être une synthèse des éléments principaux de l’esthétique du compositeur : dialogue entre instruments, thématique claire et lumineuse, orchestration très romantique mais la version orchestrale reste La référence.
Excellente interprétation de l’Apprenti sorcier de Paul Dukas avec H.Billaut et G.Coppola, tout y est ! Les couleurs, les nuances, cet arrangement de la main du compositeur est une réelle réussite.
Des extraits de Carmen de Bizet arrangés par A.Tharaud ont réuni tous les pianistes. C’est une réussite. Le plaisir fut au rendez-vous pour ces superbes pièces aux sonorités lumineuses.
En deuxième partie de la soirée, on poursuit par une œuvre très intéressante du programme, interprétée par C.Désert, E.Strosser, A.Lory et J-P Gasparian : les Préludes de F. Liszt. Le compositeur était dans son élément avec la transcription pour deux pianos, il savait capter les nuances d’un orchestre et était capable de les transcrire avec une écriture pianistique convaincante. Avec la Valse de Maurice Ravel on entre dans l’impressionnant, tant à l’oreille qu’à l’œil : quelles admirables recherches sonores dans ce chef-d’œuvre. L’engagement des sœurs Bizjak n’a pas fait défaut, depuis le commencement dans l’extrême grave avec le rythme de valse surgissant du magma sonore jusqu’à la débauche – quasi orchestrale – de la fin. La transcription de la 3e symphonie de et par Brahms met en scène les sœurs Bizjak, A.Lory et J-P Gasparian. Là encore on peut préférer la version orchestrale même si le compositeur, pianiste avant tout, a su mettre en valeur des nuances orchestrales. Espana de Chabrier conçue en 1882 offre une incroyable floraison de rythmes et de mélodies. Le compositeur en réalisera la transcription pour deux pianos. C.Désert et E.Strosser en ont rendu tout l’éclat et la richesse rythmique.
Tous les pianistes se trouvent réunis pour le très célèbre Boléro de Maurice Ravel. Cette œuvre colorée, obsédante, conclut avec brio cette soirée originale.
Pour le bis, la fantaisie s’impose avec la Polka de Paolo Canonica. Cette œuvre écrite pour 2 pianos et 16 mains offre un spectacle étonnant de quatre pianistes sur un même piano ! On ne peut qualifier cette pièce de géniale mais elle a eu le mérite de faire partir le public dans la bonne humeur. Bref, un divertissant moment pour un concert sympathique qui s’est déroulé devant un public acquis d’avance. (Dany Baychère. Photos Marif Deruffi, Festival international de piano de La Roque d’Anthéron)