A Toulon, Nabucco en concert remporte une couronne !
Jeudi 3 avril 2025, Toulon, Palais Neptune
Nabucco, opéra de Giuseppe Verdi
Yi-Chen Lin, direction musicale. Stepan Drobit, Nabucco. Ewa Vesin, Abigaille. Peter Martinčič, Zaccaria. Julien Henric, Ismaele. Emilia Rukavina, Fenena. Stephano Park, Grand prêtre de Belos. Camille Chopin, Anna. Blaise Rantoanina, Abdallo.
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Toulon
Chœur de l’Opéra de Nice
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Il est heureux de constater que certains titres du répertoire, même joués en version de concert, continuent d’attirer les foules. L’auditorium du Palais Neptune, lieu de représentation de l’Opéra de Toulon pour les grands concerts de sa saison « hors les murs », pendant les travaux de rénovation qui se poursuivent au théâtre historique, fait en effet salle pleine ce soir pour un titre bien accroché en haut de la liste des habituels blockbusters lyriques.
La solidité technique de l’Orchestre de l’Opéra de Toulon s’affirme dès l’Ouverture de l’ouvrage : beaux premiers accords solennels des pupitres de cuivres, qui contrastent avec les intenses tutti qui suivent, vélocité des cordes, longs trilles maîtrisés de la flûte et soli expressifs du hautbois, puis de la trompette, qui énoncent tour à tour le célébrissime thème du « Va’, pensiero ». La cheffe Yi-Chen Lin coordonne l’ensemble des musiciens et choristes avec précision, quitte à donner l’impression par moments d’une battue un peu sèche, un rythme plutôt métronomique qui tend à limiter, en de rares séquences, l’expression des sentiments et du drame. A noter par ailleurs le curieux passage du dernier acte, d’habitude joué depuis les coulisses en petite formation, de la marche funèbre de Fenena et des Hébreux condamnés à mort, assez différent lorsqu’il est interprété, comme ce soir, sur le plateau par l’ensemble de la phalange…
La part chorale est essentielle dans cet opus, et les chœurs de Toulon et de Nice ont été réunis pour l’occasion. Pris séparément pour plusieurs numéros, par exemple lorsqu’il accompagne un air de Zaccaria, le pupitre des basses n’est pas celui qui séduit le plus, émettant un son qui manque un peu de fondu collectif. Sinon, la partie féminine seule fait très bonne impression, tout comme l’ensemble dans sa globalité, évidemment très attendu dans le fameux Chœur des esclaves « Va’, pensiero » du troisième acte, très réussi, jusqu’à son extinction dans un souffle. Autre beau moment parmi de nombreux, le passage a cappella entre solistes et choristes du quatrième acte, avant le dénouement final.
La distribution vocale rassemble de très bons éléments, en premier lieu pour ce qui concerne sa partie masculine. Passées de rares notes légèrement resserrées en début de représentation, le baryton ukrainien Stepan Drobit possède toutes les qualités qu’on attend habituellement pour le rôle-titre de Nabucco : noblesse du grain, belle musicalité, réserves de puissance, mais aussi une capacité à émouvoir, comme au cours de sa prière du IV, « Dio di Giuda ! », quand il veut sauver sa fille Fenena condamnée à mort. En Zaccaria, la basse slovène Peter Martinčič amène également de belles satisfactions, voix autoritaire et solidement ancrée dans le grave, qui sait aussi, sans accroc, gravir les échelons vers l’aigu. Sa première cantilène « D’Egitto là sui lidi » est conduite avec goût et la cabalette qui suit « Come notte a sol fulgente » développée avec abattage. Son air du II « Vieni, o Levita ! » doucement accompagné soit par le violoncelle solo, soit par l’ensemble des violoncelles, forme sans doute l’un des plus beaux moments de la soirée, une page profonde, sépulcrale, qui nous rapproche de l’intimité de la musique.
Côté féminin, Ewa Vesin défend Abigaille pour sa première fois. Avec ses sauts d’intervalle abyssaux et ses passages de soprano dramatique particulièrement spinto, on sait le rôle absolument meurtrier vocalement. Et l’on avoue que ce galop d’essai de la soprano polonaise ne convainc pas complètement : graves certes bien exprimés et fort volume dans le registre supérieur, mais ses ascensions vers l’aigu sont parfois aventureuses en intonation et s’approchent à plusieurs reprises du cri, Ewa Vesin est une bonne Tosca, nous l’avions entendue à Montpellier puis Toulon, mais Abigaille, comme Lady Macbeth ou Turandot, demandent par instants une largeur bien plus importante. La chanteuse paraît en outre mal à l’aise vis-à-vis du rythme, se tournant en arrière plusieurs fois vers la cheffe, qui dans son dos, ne peut malheureusement pas beaucoup l’aider. Le départ de sa cabalette du II « Salgo già del trono aurato » accuse ainsi un petit décalage, sans parler de sa note tentée dans cet air, mais vite abandonnée, en s’abstenant de la chanter (« L’umil schiava a supplicar »). Sans doute moins exposée, ses duos avec Nabucco amènent davantage de plaisir aux oreilles, et l’on ne peut pas nier par ailleurs son engagement et sa bonne volonté constante.
Au-delà de ces trois rôles principaux, le reste de la distribution vocale complète plutôt idéalement : le ténor puissamment lyrique au graves confortables Julien Henric en Ismaele, la mezzo à l’instrument particulièrement épanoui Emilia Rukavina en Fenena, la basse solidement timbrée de Stephano Park (Grand prêtre de Belos), jusqu’aux moins sollicités Camille Chopin (Anna) et Blaise Rantoanina (Abdallo).
F.J. & I.F. © Kévin Bouffard
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