Un bijou dans « son » écrin
Musique Baroque en Avignon. Palais des Papes, Grand Tinel, Avignon (24 novembre 2018).
Ensemble Musica Nova. Lucien Kandel, direction. Esther Labourdette, Christel Boiron, Caroline Magalhaes, cantus ; Xavier Olagne, contre-ténor ; Thierry Peteau, ténor ; Joseph Rassam, orgue. Jérémie Couleau
PHILIPPE DE VITRY, Vos qui admiramini ; Gratissima Virginis ; Gaude gloriosa*
CODEX ROBERSTSBRIDGE, Adesto (tablature d’orgue d’après le motet de Vitry)
PIERRE DE BRUGES, Musicalis sciencia ; Sciencie laudabili*
GUILLAUME DE MACHAUT, Amours qui a le pouvoir ; Faus samblant ; Vidi Dominum*
ANONYME, Rachel plorat ; Ha fratres* ; O Philippe ; O bone dux*
Flos ortus inter lilia ; Celsa cedrus ; Quam magnus pontifex* (diminution orgue d’après le motet de Vitry) ; A vous Vierge de doucour ; Ad te Virgo ; Regnum mundi*
BERNARD DE CLUNY, Apollinis ecclipsatur ; Zodiacum signis lustrantibus ; In omnem terram *
GUILLAUME DE MACHAUT, Martyrum gemma latria ; Diligenter inquiramus ; Christo honoratus* ; *Manuscrit d’Ivrea (Italie)
MESSE DE BARCELONE, Kyrie ; Gloria tropé « Splendor Patris » ; Credo (Sortis) ; Sacro sanctus/ Sanctus miro gaudio ; Agnus dei
Co-réalisation Musique Baroque en Avignon, Opéra Grand Avignon, Avignon-Tourisme
Rajeunissons de 700 ans… Le 3e concert de saison de Musique Baroque en Avignon a offert un bijou, une œuvre rare, la Messe de Barcelone. « C’est un événement majeur, affirme Raymond Duffaut conseiller artistique, une des créations polyphoniques de la fin du XIVe siècle, qui appartient à la fois au répertoire de la chapelle liturgique du Palais des Papes, et à celui de la cour aragonaise de Barcelone ». Cette Messe de Barcelone, qui contient tout l’« ordinaire » de la messe (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei), a pris ce samedi un éclat tout particulier, sous les voûtes mêmes du Palais, où elle résonnait déjà il y a 700 ans, et les cinq chanteurs (et orgue) de l’excellent ensemble Musica Nova – invité de grandes scènes du monde et de labels de référence -, tout en l’interprétant avec des grilles d’analyse d’aujourd’hui (lui restituant par exemple des sonorités jusqu’ici inédites), ont lu directement leur partition sur le fac-similé du manuscrit d’époque.
Depuis trois ans en effet, le partenariat mis en place entre Musique Baroque en Avignon, l’Opéra Grand Avignon et Avignon-Tourisme gestionnaire du Palais des papes, propose aux amateurs de musique ancienne un rendez-vous d’exception, qui permet de redécouvrir la musique au temps des Papes, au coeur même du Palais.
C’est donc l’ensemble lyonnais Musica Nova, dirigé par Lucien Kandel, qui a fait résonner la voûte en berceau lambrissée du Grand Tinel. Le nom de l’ensemble, Musica Nova, contient deux promesses : clin d’œil à l’Ars Nova (en référence au titre du traité attribué à Philippe de Vitry) qui correspond à la période du XIVème siècle et coïncide avec la « captivité babylonienne » de la papauté en Avignon, il propose une interprétation renouvelée de ce répertoire musical, en lui donnant des couleurs et des éclairages exceptionnels.
Le programme, en deux parties, a été élaboré à partir de manuscrits conservant des œuvres musicales provenant de la cour papale avignonnaise.
La première partie du concert était constituée d’une sélection de motets de Philippe de Vitry, Pierre de Bruges ou encore Guillaume de Machaut, et faisait alterner l’ensemble du chœur avec des trios, a capella, avec le soutien de l’orgue ou encore avec ses interludes en soliste. Le motet polyphonique de cette époque n’est pas toujours facilement abordable pour le public : superposition de différents textes (latin et français) dans les voix ornementales, au-dessus d’une voix de teneur, sobre, en valeurs longues et sans paroles. Ici, l’équilibre parfait des voix a permis de rendre lisible et accessible cette forme complexe.
La deuxième partie du concert proposait La Messe de Barcelone, œuvre compilée de divers auteurs, comme la Messe de Tournai, la Messe de Toulouse ou la Messe de la Sorbonne. Ce sont les premières messes polyphoniques qui marquent les débuts de cette forme liturgique dans l’histoire de la musique. D’un point de vue stylistique, la Messe de Barcelone résonne de façon particulière pour nous, puisqu’elle cultive une certaine proximité avec le manuscrit d’Apt.
Samedi soir, la douceur et l’élégance, la souplesse et la fluidité de l’interprétation de l’ensemble Musica Nova ont été servies dans un écrin, par une acoustique à la réverbération parfaitement adaptée. Les chanteurs bénéficient également du soutien et des ponctuations savamment dosées de l’organiste Joseph Rassam, grâce à l’instrument unique que lui a construit le facteur d’orgue Quentin Blumenroeder d’après la tapisserie de la Dame à l’orgue du château d’Angers.
Enfin, il ne faudrait pas oublier que les sources musicales de cette époque posent un certain nombre de questions à résoudre, dont les principales sont : des fautes de copies, une lisibilité parfois délicate des manuscrits, et enfin l’absence d’altérations notées sur les partitions. Sans le travail de recherche effectué par Gérard Geay, conseiller musical de l’ensemble, il aurait été impossible de savourer ce moment magique. (MV.D. et G.ad.)