Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence, mercredi 19 juillet 2023. Festival d’Aix-en-Provence (site officiel)
Mahler Chamber Orchestra. Direction musicale et piano, Sir George Benjamin. Soprano, Jacquelyn Stucker. Mezzo-soprano, Ema Nikolovska
György Ligeti, Kammerkonzert. Hans Abrahamsen, Walden. Maurice Ravel, Chansons madécasses. Hans Abrahamsen, Two Inger Christensen Songs, Création française. George Benjamin, At First Light
Carte blanche donnée ce soir à George Benjamin : promenade musicale entre 20ème et 21ème siècles
En écho à la création de Picture a day like this, une carte blanche a été donnée au compositeur George Benjamin. Celui-ci retrouve, dans l’auditorium du Conservatoire Darius Milhaud, la formation du Mahler Chamber Orchestra qui joue ces jours encore son nouvel opéra au Théâtre du Jeu de Paume.
Le programme débute avec György Ligeti (1923-2006) et son Kammerkonzert en quatre parties. Les treize musiciens placés sous la baguette de Benjamin y déroulent une ligne musicale continue, mettant bien en évidence le travail sur les différentes sonorités (une petite flûte qui démarre, rejointe par les bois, les cordes qui prennent le relais, l’orgue et le célesta …), ainsi que la variété des nuances. La gamme est en effet large, entre certains accords puissants aux cuivres, le piano ou l’orgue en contrepoint, les trois bois (flûte, hautbois, clarinette) qui pépient comme des oiseaux au deuxième mouvement, ou encore les pizzicati déchaînés du suivant.
C’est ensuite « Walden » du compositeur contemporain Hans Abrahamsen (né en 1952) qui est joué par un quintette à vent, soit les quatre bois et un cor. Deux notes passent ainsi d’abord d’instrument en instrument, avant d’évoluer vers une composition collective aux lignes davantage entrelacées. Cette musique séduit par sa richesse et sa diversité, parfois une mélodie qui court, avec le hautbois en contrepoint, à un autre instant des notes répétées en ostinato par la flûte et le basson, puis pour conclure, le quatrième et dernier mouvement qui virevolte.
Si l’on songe au Boléro de Maurice Ravel (1875-1937), on pourrait penser que le compositeur s’est un peu égaré au sein de cette affiche de musique dite « moderne ». Mais ses Chansons madécasses ne déparent absolument pas, composées en 1925 et 1926 et faisant preuve d’originalité et d’audace. Avec trois instruments – flûte, violoncelle et George Benjamin au piano -, l’orchestration est certes réduite, mais d’une grande richesse pour évoquer idéalement l’exotisme de Madagascar. La mezzo-soprano Ema Nikolovska possède un timbre suffisamment riche et une qualité d’élocution du texte suffisamment claire pour comprendre les sujets de ces mélodies, entre sentiment amoureux (« Nahandove ») et impression de chaleur étouffante dans la troisième (« Il est doux »). La chanson centrale « Aoua » est bien moins pacifique, dès ses deux « Aoua » envoyés à pleine voix, en nous plongeant au cœur des conflits coloniaux (« Méfiez-vous des blancs, habitants du rivage »).
Hans Abrahamsen est de retour avec une partie également chantée, ses Two Inger Christensen Songs accompagnées par sept instrumentistes. Vue l’année dernière dans L’incoronazione di Poppea, la soprano Jacquelyn Stucker se montre aussi à l’aise dans Monteverdi que pour défendre cette pièce écrite en 2017. La première chanson « I see how lightly the clouds » fait entendre certains aigus très hauts perchés et parfaits d’intonation, sur une délicate musique ponctuée par les cloches tubes. La seconde « See the small, limpid well-spring » est une charmante berceuse aux jolies sonorités émises par les xylophone et célesta. Ceci sur un texte en mezza voce, retenu dans son volume. Présent dans la salle, le compositeur danois vient sur scène pour recueillir les applaudissements du public.
Le George Benjamin compositeur conclut le programme, avec « At First Light » une œuvre de jeunesse écrite en 1982. Le nuancier sonore se pare à nouveau de nombreuses couleurs, les 15 musiciens du Mahler Chamber Orchestra variant les techniques de jeu (percussions frottées, cuivres qui soufflent « à vide » de son, claviers tantôt piano, tantôt célesta, etc). Cette musique accroche en tout cas l’oreille, une partition surprenante, mystérieuse souvent, dissonante parfois, entre grands tutti et dialogues entre instruments… un compositeur décidemment au sommet depuis plus de 40 ans !
I.F. Crédit photo : © Vincent Beaume
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