Tout provençal qu’il est, Lionel Ginoux semble d’un tempérament calme. Mais son catalogue est celui d’un boulimique. Depuis une vingtaine d’années, il a composé : 5 musiques de scène (2005-2013) dont la 1e d’après un texte du poète Philippe Jaccottet ; 5 bandes-sons de courts-métrages (1999-2015) ; 10 spectacles pédagogiques (2007-2012) ; 4 pièces de « musique actuelle » (2005-2018) ; 12 œuvres symphoniques (2004-2019), dont le concerto Les Indociles (2014) créé par Nemanja Radulovic et l’orchestre philharmonique de Marseille dirigé par Eun Sun Kim, puis sa 1e symphonie, Dualités (2016), inspirée d’une chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui, créée à l’Opéra Grand Avignon par l’Orchestre Régional Avignon-Provence dirigé par Samuel Jean). ; 11 pièces de chambre (2003-2017) ; 5 opéras (2015-2019) dont Vanda (2018), un opéra de chambre qui nous a enthousiasmée ; 17 œuvres vocales (2003-2018) ; 11 œuvres brèves pour instrument solo : clarinette, guitare électrique, violon, saxophone, orgue, piano (2), alto, basson (2), viole de gambe (2003-2018) ; 2 pièces électroacoustiques. Soit 82 en 20 ans.
En février 2020, l’Orchestre symphonique de Toulon crée sous la direction de Lio Kuokman sa 3e symphonie, qu’il lui a commandée : une « sinfonietta » de 20 minutes.
Rencontre avec un compositeur prolifique.
-Lionel Ginoux, vous allez assister bientôt à la création de votre Sinfonieta par l’Orchestre symphonique de Toulon. Comment pourriez-vous la présenter ?
-C’est une commande, une œuvre que j’ai dédiée à Jérôme Gay, le directeur-adjoint de l’Opéra ; nous avons réfléchi ensemble, et nous sommes arrivés à l’idée d’une œuvre courte, de quinze minutes. Ce sera ma symphonie numéro 3 : j’aime bien cette idée de progression marquée dans mes œuvres, avec des numéros, même s’il s’agit d’une « sinfonieta ». Elle comporte trois mouvements – vif, lent, vif -, un format classique, chaque mouvement comptant cinq minutes. Et sur ce travail-là, j’ai décidé de n’avoir qu’une seule idée.
-C’est-à-dire ?
-J’aime les formats longs, sans distinction de mouvements, comme ma première symphonie. Ici pourtant j’ai travaillé sur les mouvements, avec une seule idée par mouvement, mais une cohérence d’ensemble.
-Une seule idée, c’est-à-dire ? Une thématique musicale, formelle ou autre ?
-Plutôt une thématique musicale, soit sur une note polaire, prédominante, soit sur une idée rythmique, surtout ici sur le schéma vif/lent/rapide.
-Dans l’histoire, certaines œuvres se sont vu attribuer des titres par des commentateurs, à l’Insu voire en dépit de leur auteur. Si vous donniez un titre à votre Sinfonieta, que choisiriez-vous ?
-(Sourire) Je ne suis pas un littéraire ; je travaille avec des notes, avec un matériau musical ; après, traduire en mots, je ne sais pas le faire. Peut-être après la création (sourire) ? Quand je serai dans le public, sans la partition sous les yeux, et que j’aurai pris du recul, peut-être. A moins que ce ne soit le public qui le propose ? En tout cas, cela reste à inventer…
-Quand et comment devient-on compositeur ?
-On est toujours en train de le chercher, non ? En tout cas, cela m’a pris très jeune, même avant de commencer la musique. Car j’ai commencé tard. Mais tout de suite, dès que j’ai pris ma guitare, j’ai composé, dès que j’ai eu quelques notions, quelques accords et quelques mélodies… Tout cela se constitue petit à petit : on développe sa technique, les formes grandissent, on a une meilleure notion du temps.
-Avez-vous eu des professeurs de composition marquants ?
-Oui, mais sur de courtes périodes. Quand j’ai eu mon premier prix avec mention au Conservatoire de Marseille, j’ai eu Georges Bœuf et Régis Compo. Et en cours d’écriture à Valenciennes, j’ai eu Barnabé Janin qui m’a marqué, pas seulement sur le plan de la technique d’écriture, mais dans tout le reste, comme l’écoute intérieure.
-Vous êtes passé de Marseille à Valenciennes ? Et vous étiez avignonnais d’origine ?
-D’Avignon, où je suis né, je suis allé à Montpellier, puis Valenciennes, puis le Golgsmith Collège à Londres où j’ai suivi notamment un cours de jazz, et enfin Marseille.
-Êtes-vous passé par le Conservatoire d’Avignon ?
-J’ai seulement suivi une classe de jazz à Avignon.
-Quel compositeur êtes-vous ? Comment travaillez-vous ? Tous les jours à heures fixes, ou par désir, par envie, par commande, ou par nécessité intérieure ?
-Un peu tout. Ce qui est sûr, c’est que je travaille tous les jours. Un travail d’écriture et de prospection, et de présentation de mes pièces . Oui, car nous, les compositeurs, on ne vient pas nous chercher. On doit contacter les chœurs, les orchestres, les chefs, les ensembles… Finalement, notre travail, c’est soit une commande, soit une envie qui devient une commande, soit un ensemble qui s’empare d’une de nos œuvres et la joue…
-Quand vous composez, avez-vous un schéma d’écriture, savez-vous où vous allez, ou l’œuvre vous échappe-t-elle parfois ?
-J’ai une idée générale du temps, une temporalité définie, et des envies de cohérence. Puis, dans l’écriture, des choses se passent, des idées jaillissent, que je n’attendais pas mais que je capte et que je développe. J’aime cette liberté… On se fait surprendre. L’œuvre n’est pas construite dès le départ, elle se construit peu à peu.
-Et s’il s’agit d’une commande et qu’elle vous échappe, en discutez-vous avec l’auteur de la commande ?
-Si le temps dépasse la commande, j’en rediscute avec le commanditaire. Il y a quelques années par exemple, je composais une pièce pour violoncelle et chœur de femmes ; j’étais parti sur trois poèmes, mais je me suis aperçu qu’il y avait sept textes du même auteur sur le même thème. J’ai donc proposé une composition modulable : soit les trois premiers morceaux indépendants soit le cycle complet. La violoncelliste était Emmanuelle Bertrand. La création s’est faite il y a deux ans, une commande des Amis de Saint-Victor (à Marseille, ndlr), mais dans la version courte de 10 minutes, car la version complète de 32 minutes n’a pas encore vu le jour.
-Vous parliez de démarchage vis à vis des interprètes. Comment un compositeur se fait-il connaître ?
-Par les gens qu’il rencontre, par les artistes qui en connaissent d’autres, et qui les lui présentent….
-Après la Sinfonieta, avez-vous des projets proches ?
-Une pièce pour le chœur de l’Opéra de Tours, Des cris, une pièce pour chœur et violoncelle, qui sera créée par Henri Demarquette. C’est Sandrine Abello, chef de chœur, qui me l’a demandée ; le chœur la créera le 12 juin.
-Vous avez des liens privilégiés avec l’Opéra de Tours ?
-Avec Sandrine Abello. Elle avait été la directrice artistique de l’enregistrement de Un brasier d’étoiles, avec Marion Liotard au piano et la soprano Jennifer Michel.
-Si vous n’aviez pas été ce que vous êtes, qu’auriez-vous aimé être ou faire ?
–Je ne sais pas bien (hésitation).
-Vous jouez votre joker ?
-J’aime tous les métiers qui se rapportent à l’audio-visuel. J’avais fait des études d’audio-visuel, plus particulièrement dans le domaine du son, de la régie. Je ne le referais pas maintenant, mais c’est un monde qui m’intéresse. Et si je devais faire autre chose… je ne sais pas du tout ! (Propos recueillis par G.ad., février 2020)
Deux créations à venir à l’Opéra de Toulon et à l’Opéra de Tours
Vendredi 28 février, 20h, Opéra de Toulon. Symphonie N°3 « une sinfonietta »[création]. Lio Kuokman direction. Orchestre Symphonique de l’Opéra de Toulon. (La Symphonie N°3 est éditée par Note en bulle Edition). Renseignement et réservation
Vendredi 12 juin, 20h, Opéra de Tours. Des Cris ! [création] pour violoncelle et chœur. Fast Rode (extrait de War is kind) pour violoncelle et chœur de femmes. Henri Demarquette violoncelle. Sandrine Abello direction. Chœur de l’Opéra de Tours. Renseignement et réservation
Plusieurs partitions ont été éditées ces derniers mois chez A coeur Joie Edition et Note en bulle édition. Les pièces pour choeur de femmes Make me a dream, Point de fuite, Les inattendus, Le roi a fait battre tambour et Entrechocs sont disponibles maintenant aux Editions A coeur joie. La troisième symphonie chez Note en bulle Edition
Et toujours dans les bacs ou en streaming le disque Un Brasier d’étoiles, avec Jennifer Michel (soprano) et Marion Liotard (piano)
Un brasier d’étoiles disponible également chez le label Maguelone Music
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