Un vrai grand beau succès
L’Incoronazione di Poppea, opéra de Claudio Monteverdi, Festival d’Aix-en-Provence, Théâtre du Jeu de Paume (09-07-2022)
Direction musicale, Leonardo García Alarcón. Mise en scène, Ted Huffman. Décors, concept original, Johannes Schütz. Décors, adaptations, Anna Wörl, Costumes, Astrid Klein. Lumière, Bertrand Couderc. Collaborateur aux mouvements et maître d’armes, Pim Veulings. Dramaturgie, Antonio Cuenca Ruiz
Jacquelyn Stucker (Poppea) ; Jake Arditti (Nerone) ; Fleur Barron (Ottavia / Virtù) ; Paul-Antoine Bénos-Djian (Ottone) ; Alex Rosen (Seneca) ; Miles Mykkanen (Arnalta / Nutrice / Famigliare I) ; Maya Kherani (Fortuna / Drusilla) ; Julie Roset (Amore / Valletto) ; Laurence Kilsby (Lucano / Soldato I / Famigliare II) ; Riccardo Romeo (Liberto / Soldato II) ; Yannis François (Littore / Famigliare III)
Orchestre de la Cappella Mediterranea
Un tuyau suspendu, quelques tables et chaises, mais surtout un énorme travail de préparation théâtrale, vocale et musicale… et voici le plus gros succès jusqu’à présent de cette édition du festival d’Aix-en-Provence !
C’est une immense clameur du public qui vient saluer cette représentation de L’incoronazione di Poppea au rideau final, à vrai dire le succès le plus flagrant depuis le début du festival, où les soirées de premières ont été applaudies avec un mélange de huées plus ou moins intenses. Mais l’enthousiasme est unanime ce soir devant cette réussite à tous les plans, visuel, vocal et musical.
Ancien artiste de l’Académie du festival, Ted Huffman signe une mise en scène fluide, vivante, osée parfois, dans la scénographie réduite à l’essentiel de Johannes Schütz et Anna Wörl. L’action se déroule sur le plateau nu, les murs et équipements techniques du théâtre sont visibles à l’arrière, tandis que l’élément principal des décors est un tronçon de tuyau suspendu en son centre aux cintres, qui peut tourner lentement ou prendre un peu de hauteur. La symbolique est laissée à l’appréciation du spectateur – par exemple, une sorte d’épée de Damoclès qui pèse sur le destin des personnages –, mais pour le reste, ce sont quelques tables et chaises, ainsi qu’un renfoncement en forme de boîte en fond de scène qui font office de décor. Le jeu des acteurs est à la fois dense et naturel, Poppée topless et Néron torse nu dès leur premier duo amenant une sensualité inédite. Les chanteurs-acteurs vont et viennent sans saturation toutefois et dans des mouvements qu’on imagine très répétés, cet intense jeu de théâtre conservant son éternelle jeunesse à l’opéra créé à Venise en 1642-1643.
Pour incarner ces personnages de chair (signalons sur le sujet la voluptueuse partie à trois pendant la scène entre Poppée, Néron et Lucain, juste avant l’entracte… et qui fait parler dans les couloirs !) et de sang (qui coule souvent lorsque Néron est présent dans un opéra…), la distribution est composée de jeunes et fort valeureux interprètes, au physique avantageux. C’est le cas de la soprano puissante Jacquelyn Stucker (Poppea), à la plastique irréprochable et du contre-ténor Jake Arditti (Nerone) dont on imagine qu’il travaille sa musculature, la voix étant souvent mordante dans l’extrême aigu, ce qui correspond bien au cynisme et à l’agressivité du personnage. La mezzo Fleur Barron (Ottavia / Virtù) impressionne également, timbre beau et sombre aux accents vengeurs projetés avec vaillance, tandis que l’autre contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian (Ottone) développe un instrument élégant.
La basse Alex Rosen (Seneca) est profonde et sa mort par empoisonnement, commandée par Néron, est précédée d’une souffrance palpable quand le philosophe agonise sur le sol. Le ténor de caractère Miles Mykkanen (Arnalta / Nutrice / Famigliare I) fait un grand numéro en prenant un plaisir communicatif à endosser ses rôles travestis successifs. Les rôles principaux sont idéalement complétés par Maya Kherani (Fortuna / Drusilla) et Julie Roset (Amore / Valletto), très bien chantantes et très à l’aise en scène.
Pour mener à bien l’entreprise, il n’y a sans doute pas de meilleur choix aujourd’hui que le chef Leonardo García Alarcón et ses musiciens de la Cappella Mediterranea. On se souvient de leur venue dans ce théâtre du Jeu de Paume, écrin idéal pour le format baroque, pour servir le compositeur Francesco Cavalli à deux reprises, Elena en 2013 puis Erismena en 2017. On revient ce soir au maître Claudio Monteverdi, dont la musique nous a rarement paru aussi vivante, voire surprenante, tour à tour mélancolique ou dansante, la direction restant toujours attentive aux chanteurs sur scène.
I.F. Photos Ruth Walz
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