Coupez-en une partie !
Die Entführung aus dem Serail (titre original), L’Enlèvement au sérail
Opéra Confluence du Grand Avignon (18 & 20 février 2018).
Opéra en trois actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Gottlieb Stéphanie, d’après la pièce de Christoph Friedrich Bretzner.
Editions musicales Bärenreiter-Verlag Kassel Basel London New York Paha
Nouvelle production du Centre Lyrique Clermont-Auvergne. En co-production avec les Opéras de Massy, Reims et Rouen Haute-Normandie
Direction musicale, Roberto Forés Veses. Chef des chœurs, Aurore Marchand. Etudes musicales, Thomas Palmer. Mise en scène, Emmanuelle Cordoliani. Chorégraphie Victor Duclos. Scénographie et accessoires, Emilie Roy. Réalisation du décor, Opéras de Reims et de Rouen Normandie. Costumes, Julie Scobeltzine. Réalisation des costumes, Ateliers du Centre lyrique Clermont-Auvergne et de l’Opéra Grand Avignon. Lumières, Pierre Daubigny
Konstanze, Katharine Dain*. Blondchen, Elisa Cenni
Belmonte, Blaise Rantoanina. Pedrillo, César Arrieta*. Osmin, Nils Gustén. Selim Bassa, Stéphane Mercayrol
Orchestre Régional Avignon-Provence
Choeur de l’Opéra Grand Avignon. Direction, Aurore Marchand
Ballet de l’Opéra Grand Avignon. Direction, Eric Belaud
Ouvrage chanté en allemand et textes parlés en allemand, français, espagnol, anglais et farsi (persan). Surtitré en français. Durée du spectacle 3h (entracte 20 minutes compris)
* Lauréats du 25ème Concours international de chant de Clermont-Ferrand
Création à Clermont-Ferrand janvier 2018, puis en tournée : Opéra du Grand Avignon (18 et 20 février 2018), Opéra de Rouen Normandie (3, 6, 8 et 10 avril 2018), Opéra de Massy (25 et 27 mai 2018), Opéra de Reims (13 et 15 janvier 2019).
Note d’intention d’Emmanuelle Cordoliani
- Le Tout-Vienne se damne pour une invitation au très sélect Sérail Cabaret. La réputation sulfureuse de son propriétaire, Selim le mystérieux, l’apatride, le nabab, le Pacha, expliquerait à elle seule ce furieux engouement. Que n’a-t-on pas dit sur le Sérail ?
Le Pacha y séquestrerait la Konstanze, sa meneuse de revue. Les invités ne pourraient en repartir qu’après s’être acquittés d’une rançon somptuaire… Tout le monde sait que depuis les débuts du cinéma de son chanteur de charme, Belmonte, tout est sens dessus-dessous au Sérail. Il paraît même que le célèbre duo comique Osmin et Pedrillo est sur le point de se séparer.
Mais ce soir, pour une représentation unique, Belmonte revient auréolé de ses succès hollywoodiens. Une soirée très privée aux airs des 1001 nuits, sur le toit du Sérail. Bien chanceux sont ceux qui pourront entendre la troupe reconstituée dans le chef-d’œuvre de Mozart… plus heureux encore ceux qui seront aux premières loges pour les retrouvailles de la belle Konstanze et de son premier amour. Ils verront de leurs yeux, jusqu’où la passion peut mener le Pacha.
« Trop de notes », déplorait ce faut naïf de Joseph II. « Pas une de trop », répondait le compositeur. Mais dans cette production du Centre Lyrique de Clermont-Ferrand, 20 minutes pour le moins – sans musique – ont été rajoutées inutilement.
C’était pourtant une idée fort séduisante, de faire du sérail un « Cabaret » (à l’emblème du croissant, évidemment), et d’y réunir tout un petit monde cosmopolite. Cosmopolite comme l’était la Vienne de 1930, comme l’est aussi la distribution : un chef espagnol installé en Auvergne, une Konstanze américaine installée aux Pays-Bas, une Blondchen italienne, un Belmonte malgache en troupe en Allemagne, un Pedrillo vénézuélien, un Osmin suédois, un Selim comédien français du Cours Florent.
Idée judicieuse aussi, et légitime, d’employer les forces artistiques locales (chœur – vocalement éphémère – et ballet) comme personnel du cabaret. Idée intéressante enfin d’abolir la séparation entre scène et salle.
D’autant qu’Emmanuelle Cordoliani la metteure en scène avait délicieusement titillé ma curiosité dans une interview en amont.
Pour autant…
Ce qui eût pu être foisonnement créatif ou bouillonnement de vitalité, tourne vite à un relatif désordre, à une confusion qui alourdit jusqu’aux insertions subtiles de marionnettes et d’ombres chinoises, et discrédite a posteriori la palpation pourtant gentiment malicieuse des invités (Vigipirate oblige) arrivant au cabaret. Les caprices du surtitrage n’ont par ailleurs guère facilité l’entrée dans le spectacle… Le petit nombre de répétitions n’ayant pas permis non plus d’affiner l’ensemble.
Mais surtout, surtout, le tempo s’étire jusqu’au ralenti, pesant, plus théâtral qu’opératique, même dans l’ode à Bacchus, interminable, d’autant que des poèmes soufis parlés surchargent inutilement une œuvre qui en perd toute lisibilité narrative.
Et pourtant, que diable ! Le compositeur est un Mozart a 25 ans, qui arrive à Vienne enfin libéré des tutelles paternelle et ecclésiastique, qui se prépare à épouser Constance, et qui laisse pleinement éclater son allégresse… même si l’on ne peut savoir si, comme Pedrillo, il est heureux ou seulement joyeux… Pas de trace ici de cette fraîcheur… Même la fumette est d’une tristesse !
Les huées finales qui ont été adressées à la seule metteure en scène, au milieu d’un concert d’applaudissements, ont bien traduit ce désappointement.
En revanche, les jeunes solistes, eux, ont bien tiré leur épingle du jeu : Katharine Dain* (Konstanze), qui a déjà offert ailleurs la ronde limpidité de sa voix à Lucia de Lammermoor, a su exprimer la palette de sentiments qui traversent son personnage, avec l’agilité virtuose d’une Reine de la Nuit. Elisa Cenni, souffrante jusqu’à la veille de la première, a fait bondir sa Blondchen, sur les traces d’une Natalie Dessay qu’elle admire, et dont elle rappelle joliment la morphologie et le timbre. Sa vivacité devrait pétiller dans La Fille du Régiment, rôle dont elle rêve et dont on l’a entendue interpréter un air le 1er août 2014, accompagnée par Jean-François Zygel et le Chœur de l’Armée française, dans le cadre de la 9e saison de La Boîte à musique.
Les deux ténors, malgré des vocalités proches, ont su typer leurs rôles : Blaise Rantoanina (Belmonte), qu’on a vu aux Chorégies 2017, a maintenu fièrement une jolie ligne de chant, précise dès les premières mesures. César Arrieta* (Pedrillo), dont le nom est déjà associé à Mozart, par ses rôles d’Ottavio, Tamino (un vrai cousin de Pedrillo) et Ferrando, peut sans doute se glisser dans un large répertoire.
Les deux basses ont campé des personnages qui ne manquent pas de complexité : Nils Gustén (Osmin), à la fois autoritaire voire brutal pour compenser la faiblesse affichée de son maître, et crédule jusqu’à se laisser enivrer et berner. Quant à Stéphane Mercayrol (Selim Bassa), comédien, seul français de la distribution, rôle parlé dès la création, pourquoi donc avons-nous été plusieurs à « l’entendre » chanter ? Par ailleurs la mise en scène l’entraîne auprès de Konstanze dans un numéro de charme grotesque, à grands renforts d’abdominaux et de contorsions, qui a divisé le public, les uns séduits les autres consternés.
(photo Clermont-Ferrand)
L’Orchestre Régional Avignon-Provence, en sa formation mozartienne habituelle, était dans son univers, et la direction de Roberto Forés Veses, a tenté d’accompagner au mieux une production qui ne sert pas vraiment la partition. (G.ad. Photos : Cédric Delestrade/ACM-Studio/Avignon).