Alunissage réussi !
Le Voyage dans la lune, Jacques Offenbach
Opéra de Marseille. Cinq représentations, du 26 décembre 2021 au 4 janvier 2022.
Opéra-féerie en 4 actes. Livret d’Albert Vanloo, Eugène Leterrier et Arnold Mortier d’après Jules Verne
Direction musicale Pierre Dumoussaud. Mise en scène Olivier Fredj. Décors et Costumes Malika Chauveau. Chorégraphie Anouk Viale. Lumières Nathalie Perrier
Caprice Violette Polchi. Fantasia Sheva Tehoval. Flamma Ludivine Gombert. Popotte Cécile Galois
Quipasseparla Kaëlig Boché. Cosmos Érick Freulon. Cactus Christophe Poncet de Solages. Microscope Éric Vignau. V’lan Christophe Lacassagne, remplaçant Matthieu LÉCROART
Danseurs : Camerone Bida, Pierre Boileau-Sanchez, Davide Nvuyekure Bonetti Julien Desfonds, Edouard Ameiro, Aurélie Mignon. Direction, Fanny Rouyé
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Éditions musicales du Palazzetto Bru Zane
Création à Paris, Théâtre de la Gaîté, le 26 octobre 1875
Première représentation à l’Opéra de Marseille
NOUVELLE COPRODUCTION. Centre Français de Promotion Lyrique / Opéra Grand Avignon / Clermont Auvergne Opéra / Théâtre Impérial – Opéra de Compiègne / Opéra de Limoges / Opéra national de Lorraine / Opéra de Marseille / Opéra de Massy / Opéra – Théâtre de Metz Métropole / Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie / Opéra de Nice Côte d’Azur (12-17février 2022) / Opéra de Reims / Opéra de Rouen Normandie / Opéra de Toulon Provence Méditerranée / Opéra de Tours / Opéra de Vichy / L’avant-scène opéra – Neuchâtel / Palazzetto Bru Zane.
Avec le soutien du Ministère de la Culture / du Mécénat de la Caisse des Dépôts / de la Fondation Orange et en partenariat avec France Musique.
Alunissage réussi pour cette nouvelle co-production de 16 maisons d’opéra sous l’égide du CFOL devenu Génération-Opéra, aussi réussie que les précédentes. Elle commence à Marseille une tournée qui devrait durer deux années, sous réserve des conditions sanitaires. On apprendra plus tard que, malgré les conditions sanitaires difficiles, 6.700 spectateurs ont pu applaudir cette production à l’Opéra de Marseille.
A Marseille – dans la « vraie vie » – on n’est pas encore dans « le monde d’après ». Pas moins de six policiers en surveillance rapprochée des abords de l’Opéra, et les hôpitaux de la ville notoirement saturés ; pendant ce temps, entre la Place aux Herbes, le Vieux-Port et la place de l’Opéra, les masques – pourtant récemment redevenus obligatoires en extérieur dans les départements explosifs – se révèlent une denrée très rare…
En revanche, par bonheur « toutes les représentations sont actuellement maintenues », précise, en capitales et en rouge, le site Web de l’Opéra. On a plaisir à revenir « en présentiel », même en ayant suivi en mode électronique les productions marseillaises des deux années Covid. Mais la salle est à moitié vide en cette matinée dominicale, et le chauffage a oublié de se mettre en marche en ce deuxième jour de l’année 2022 !!! Beaucoup d’enfants pour ce spectacle familial, et l’on assiste, juste avant le lever de rideau, à des déplacements spontanés dans la salle pour combler les dents creuses des premiers rangs.
Du moins l’alunissage est totalement réussi pour ce spectacle !
Ce Voyage dans la lune est un beau spectacle, grâce au Centre Français de Promotion Lyrique, co-production de 16 maisons d’opéra qui l’accueilleront à tour de rôle, après les répétitions en plein confinement de 2020 à Montpellier. Arrêté en plein élan par la Covid, c’est donc en Provence à Marseille, et non en Occitanie à Montpellier comme prévu, que ce Voyage a pris son envol public, pour célébrer, en cette période de transition fin-début d’année, la joyeuse porosité des frontières de l’univers.
Témoignage de la vague de Jules-Verne-mania du XIXe siècle, ce Voyage dans la lune, créé en 1875, est une vraie féerie dans laquelle on entre de plain-pied et se laisse porter comme en apesanteur par l’obus du roi V’lan vers le royaume imaginaire des Sélénites. Voire ? Et si les Sélénites et les Terriens… ?
Mais non ! les Sélénites savent bien que « la Terre est inhabitable », tout comme les Terriens ont, eux, la conviction qu’il n’y a pas de vie sur la Lune. Et ainsi, tout tourne rond dans les deux meilleurs des mondes possibles.
Or il suffit du désir, ou du caprice, de l’éponyme fils Caprice (Véronique Polchi) du bon roi V’lan (Christophe Lacassagne), pour que l’on glisse vers un univers où rien ne semble possible mais où tout devient imaginable. Une jolie fable, où – mutatis mutandis – sur la Lune arrivent les échos assourdis du monde terrestre d’aujourd’hui : c’est ainsi que Fantasia (Sheva Tehoval) plaide pour l’accueil des Terriens, migrants du cosmos. C’est ainsi que la production est insérée, par une mise en abyme désormais presque classique, dans le tournage présumé d’une captation cinématographique ; les décors néo-industriels installent celle-ci dans les couleurs gris/blanc/noir de Méliès. Et c’est à travers un objectif de caméra (ou une lune découpée ?), tendu d’un tulle peint où le visage malicieux d’Offenbach émerge des cratères lunaires, que se dessinent les nombreux changements de tableaux.
C’est ainsi également que tout le fil de la narration, dans la talentueuse mise en scène d’Olivier Fredj, peut se lire comme une image renversée de notre réalité, rhabillée de tulle, de flocons blancs et de légèreté diaphane, dans le Palais de verre, les galeries de nacre et sous le clair de terre…
Les interprètes sont portés par cette jolie fantaisie opératique.
Magistralement interprété par une Violette Polchi généreuse – que nous avions entendue en 2019 aux Saisons de la Voix de Gordes -, rôle travesti comme Zulma Bouffar maîtresse d’Offenbach et créatrice du rôle, le prince Caprice sait glisser de l’impertinente insouciance du fils à papa à l’impatience du jeune premier amoureux, dans le jeu comme dans la voix.
Les dames et demoiselles sélénites ne sont pas en reste ; Fantasia (Sheva Tehoval) se taille la part du lion, en jeune première pétillante découvrant l’amour, un sentiment inconnu sur la Lune, totale incongruité qui signe l’irruption du désordre incontrôlable dans ce monde bien réglé. Ludivine Gombert (qu’on reverra sur la même scène en février dans la Walkyrie et en mars dans Werther, par ailleurs très présente dans les pages de Classiqueenprovence.fr) – artiste confirmée capable de passer avec le même talent des Dialogues des Carmélites à une Vie parisienne totalement décomplexée, en passant par Mimi, Liù ou Micaëla -, ne boude pas son plaisir dans une Flamma pleine de fantaisie, avec son phrasé fluide, sa ligne mélodique lumineuse.
Le baryton Christophe Lacassagne, mi-théâtreux mi-lyrique, campe un brave roi V’Lan qui s’offre l’audace folle d’un obus de canon pour ce voyage dans l’inconnu ; image de la curiosité scientifico-technique qui titille tout le XIXe siècle, image de Jules Verne inspirateur de l’œuvre, dont l’imaginaire trouve encore des échos aujourd’hui.
L’alter ego sélénite du roi V’Lan, Eric Freulon, fait jaillir de son costume d’obésité la voix impérieuse du Roi Cosmos furieux de voir son domaine envahi… Les deux ministres, deux ténors, Microscope (Eric Vignau, familier aussi du répertoire baroque) et Cactus (Christophe Poncet de Solages), luttent autant contre la rigidité de leurs couvre-chefs que contre les diktats de leurs royaux employeurs. Quant au jeune ténor breton Kaëlig Boché (le bien nommé prince Quipasseparla), son timbre lumineux jette dans son sillage flonflons et paillettes imaginaires.
Les sept danseurs, masqués tout comme les choristes, participent par leur virtuosité multiforme, au kaléidoscope de la fable : costumes cocasses, acrobaties bondissantes, tissant un lien onirique d’un bout à l’autre de l’univers. L’Orchestre de l’Opéra de Marseille sous la direction de Pierre Dumoussaud décline les délicatesses allègres d’une riche partition. Enfin, lumières (Nathalie Perrier), costumes et décors (Malika Chauveau), signent une œuvre intelligemment interprétée.
« Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour la féerie. Amis de l’onirisme et amateurs de jeunes talents, ce Voyage dans la lune est fait pour vous », disait le dossier de présentation. Néanmoins, si les enfants présents en ce dimanche après-midi ont ri à quelques pitreries, il n’est pas certain qu’ils aient été sensibles à la poésie de l’ensemble. Alunissage parfaitement réussi pour le reste du public.
Alunissages suivants : à l’Opéra de Nice du 13 au 17 février 2022, à l’Opéra de Limoges du 9 au 13 mars 2022, à l’Opéra de Vichy le 10 mars 2022, à l’Opéra de Clermont-Ferrand le 27 mars 2022, au Théâtre impérial de Compiègne le 3 avril 2022.
Ce début de janvier 2022 est pour nous semaine faste, avec pas moins de 4 contes : onirique avec ce Le Voyage dans la lune à Marseille, écologique avec Ondin et la petite sirène à Vedène, contemporain avec Le Lac des cygnes à Carpentras, classique avec La Belle au bois dormant au Thor.
G.ad. Photos Christian Dresse
Laisser un commentaire