Un Requiem trop « réverbéré »
Collégiale Saint-Didier d’Avignon (samedi 30 octobre, 20h30) ; église de Monteux (dimanche 31 octobre, 17h).
Commémoration du centième anniversaire de la mort de Saint-Saëns (1921-2021)
Saint-Saëns, Requiem op. 54, orchestration de P. Calmelet
Franck, Grande Pièce Symphonique op.14 pour orgue, orchestration de Georges Guillard avec orgue concertant
Aurélie Jarjaye, soprano. Lisa Nannucci, alto. Camille Tresmontant, ténor. Adrien Djouadou, basse
Choeur Région Sud. Luc Antonini, orgue. Orchestre National Avignon Provence. Pierre Guiral, direction
En co-réalisation de Musique Sacrée/Orgue en Avignon dans le cadre des Automnales de l’orgue, avec l’Opéra Grand Avignon et l’Orchestre National en région Avignon-Provence. En partenariat avec les Amis de Monteux et l’association Soif de Culture
Pour célébrer le centenaire de la mort du prolifique Camille Saint-Saëns (1835-1921, plus de 600 œuvres), son Requiem, fervent et recueilli, apparaît presque comme un passage obligé, après une mélodie du même compositeur entendue quelques heures plus tôt dans le cadre de l’Apér’opéra#1. Plusieurs compositeurs français ont écrit un Requiem de référence : Berlioz (op. 5), et Saint-Saëns (op. 54) et Fauré (op. 48) au XIXe siècle ; en France toujours, Joseph-Guy Ropartz (1938) et Maurice Duruflé (1947) au XXe siècle, sans parler du Requiem imaginaire conçu en 2019 par Jean-François Zygel, mi-sérieux mi-amusé, à moins que ce ne fût pour lui une démarche apotropaïque…
Les Requiem français au XIXe siècle
Celui d’Hector Berlioz (1803-1869), ou Messe des Morts, œuvre à laquelle le compositeur tenait tout particulièrement, a été écrit en 1837, initialement en mémoire des soldats de la révolution de Juillet 1830 ; ce modèle de sérénité et d’équilibre se déroule en 10 mouvements, 90 minutes et pas moins de 440 musiciens (notamment beaucoup de bois et cuivres) et chanteurs à la création, le 5 décembre 1837, qui fut d’ailleurs marquée par un incident mémorable.
Le Requiem de Camille Saint-Saëns (1835-1921), en 8 mouvements, fut composé en 8 jours et sa création à Saint-Sulpice en 1878 passa presque inaperçue ; sinistre hasard : 6 jours plus tard, le fils du compositeur (2 ans) se tuait en tombant d’une fenêtre.
La Messe de Requiem, de Gabriel Fauré (1845-1924) – ancien élève de Saint-Saëns qui l’en félicita – fut écrite en plusieurs étapes de 1887 à 1901, et créée en 1888 à la Madeleine où Fauré était maître de chœur ; sa nouveauté n’eut pas l’heur de plaire au curé. En totale opposition avec la masse orchestrale de Berlioz, que Fauré détestait, cette messe dure une trentaine de minutes réparties en 7 mouvements, et ne comporte pas de « Dies irae ».
A Avignon…
C’est la collégiale Saint-Didier d’Avignon, exemple typique de l’art roman provençal, qui accueille l’Onrap (Orchestre National en Région Avignon-Provence) reconfiguré (35 instruments, dont la harpe d’Aliénor Girard-Guigas), le Chœur Sud-Paca de Michel Piquemal et Nicole Blanchi (l’un absent, l’autre simple choriste pour l’occasion), 4 solistes voix, un orgue dit d’accompagnement mais qui se révèle un partenaire à part entière, l’ensemble étant dirigé par Pierre Guiral.
En ouverture de concert, la Grande pièce symphonique de César Franck (1822-1890) fait miroiter toutes les couleurs de l’orchestre ; initialement écrite pour orgue, elle a été orchestrée par l’organiste Georges Guillard, sur le modèle de la Symphonie avec orgue de Saint-Saëns lui-même ; chaque pupitre, chaque instrument parfois (harpe, flûte traversière, violon super solo, violoncelle) y est tout à tour traité en soliste, et c’est une mise en condition bienvenue pour la suite du programme.
Pour le Requiem, l’orchestre revoit quelque peu sa formation (François Sluznis par exemple s’éclipse avec sa clarinette). Arrivent le chœur – presque une quarantaine de voix en 4 pupitres – et les 4 solistes. La formation est inférieure à celle que préconisait le compositeur, avec notamment ses 4 bassons, ses 4 harpes, mais elle est proportionnée au lieu d’accueil.
J’ai mesuré ce soir combien le placement dans la salle détermine profondément l’écoute du concert. Placée presque sous le buffet d’orgue, j’ai désagréablement ressenti la réverbération du son, et l’écrasement de l’orchestre par le souffle des tuyaux, sous les doigts et les pieds de Luc Antonini, pourtant un expert en ce domaine. Si le jaillissement multiple des instruments de l’orchestre a été coupé court par le tourbillon du son puissant de l’orgue, les 4 solistes, placés entre les deux masses sonores, ont été victimes du même phénomène, voix aiguës surtout : la soprano Aurélie Jarjaye a ainsi confondu puissance et couleur, et la voix du ténor Camille Tresmontant, pour sa part, s’est comme brisée en morceaux sans éclat. En revanche, basse (Adrien Djouadou) et alto (Lisa Nannucci) en ont presque réchappé.
La composition du Requiem de Saint-Saëns est équilibrée, sur le canon classique du genre, et ne comporte pas de page maîtresse comme le « Lacrymosa » de Mozart. Ce soir, toutes aspérités et nuances ont été comme lissées à mon oreille : la force terrible du « Dies irae » ou la douleur de l’« Oro supplex », pas plus que l’allégresse du « Gloria » ou la confiance du « Sanctus » n’ont vibré de couleurs particulières…
D’autres compagnons d’écoute, mélomanes confirmés, ont vécu en revanche un beau moment, étant plus précocement installés.
G.ad.
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