Recueillement hors du temps dans un lieu de mémoire, pour une émotion palpable
9e Festival de Pâques. Camp des Milles, Aix-en-Provence, dimanche 11 avril 2022
Renaud Capuçon, violon ; Kian Soltani, violoncelle ; Pascal Moraguès, clarinette ; Hélène Mercier, piano
Olivier Messiaen, Quatuor pour la fin du Temps. I. Liturgie de cristal. II. Vocalise, pour l’Ange qui annonce la fin du Temps. III. Abîme des oiseaux. IV. Intermède. V. Louange à l’Éternité de Jésus. VI. Danse de la fureur, pour les sept trompettes. VII. Fouillis d’arcs-en-ciel, pour l’Ange qui annonce la fin du Temps. VIII. Louange à l’Immortalité de Jésus
On peut lire « Un festival d’émotions » (voir notre présentation) sur les affiches du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence (site officiel), et c’est effectivement une double charge émotionnelle que porte le programme de cette soirée du 11 avril. D’abord le lieu de représentation est symbolique, le camp d’internement et de déportation des Milles, situé dans la banlieue immédiate d’Aix-en-Provence. Et le programme en lien avec ce lieu de mémoire, soit le Quatuor pour la fin du Temps composé par Olivier Messiaen et créé en 1941 dans le camp de prisonniers de Görlitz, quelques semaines avant sa libération.
Comme beaucoup de ses compositions, le Quatuor manifeste la foi chrétienne d’Olivier Messiaen, avec une forte dose de religieux et de mystique, ne serait-ce que dans le thème qui inspira la pièce, l’annonce de l’ange de l’Apocalypse « Il n’y aura plus de temps » décliné au cours de ses huit numéros successifs.
Les quatre musiciens réunis se montrent absolument remarquables, aussi bien individuellement qu’ensemble.
Après les chants d’oiseaux qu’on entend dans la première section, en particulier à la clarinette et au violon espiègle, la pianiste Hélène Mercier met une grande force dans ses attaques du II.
Le III, pour clarinette seule, donne l’occasion à Pascal Moraguès de briller doublement, dans l’exécution technique et aussi l’expressivité de l’instrument. L’écriture est variée, entre notes attaquées pianissimo puis enflées, et certains passages plus rapides où l’on entend même des bribes de conversations entre deux parties. L’émotion est palpable dans un silence absolu de la salle… ne serait-ce qu’une malheureuse sonnerie de téléphone portable, rapidement éteinte par son propriétaire en panique…
Après l’intermède du IV, un scherzo aux trois instruments sans piano, qui sonne relativement classique, on retrouve au V l’écriture typique de Messiaen dans le merveilleux solo de violoncelle de Kian Soltani, plein de sentiments et d’une impressionnante maîtrise du vibrato, parfois exécuté avec une extrême rapidité. Le violoncelle est accompagné par des accords au piano légèrement dissonants, formant l’un des meilleurs exemples du génie du compositeur, une simplicité d’écriture qui aboutit à une suprême beauté musicale.
Faisant suite au VI où les quatre instruments jouent le plus souvent la même ligne musicale, sur des changements et des cassures de rythmes parfaitement coordonnés, le VII sonne à nouveau typiquement comme du Messiaen, en particulier dans ses vigoureuses descentes au piano.
Le dernier mouvement est un nouveau moment de beauté pure, cette fois c’est Renaud Capuçon qui prend la partie de solo, sur un petit soutien du piano. Le violon dégage calme et recueillement, comme un chant suspendu hors du temps, pour se terminer dans un souffle, puis un silence qui plane encore pendant de nombreuses secondes avant les applaudissements.
F.J. Photos Caroline Doutre
D.G. dit
Très belle et très émouvante interprétation de cette oeuvre sublime et grandiose, unique par le témoignage qu’elle porte. On aimerait tant pouvoir en conserver la trace vivante sur un DVD !
Classique dit
Merci pour votre commentaire. Nous aimerions tous pouvoir prolonger, voire ressusciter, ces instants inoubliables. En l’occurrence, il existe divers enregistrements du « Quatuor » de Messiaen. Mais n’est-ce pas le prix inestimable du spectacle vivant que d’être, justement unique et non reproductible ? Nous vous souhaitons en tout cas une année riche en moments uniques comme celui-ci. N’hésitez pas à nous partager vos coups de coeur, ou suggestions (nous risquons toujours des oublis ou omissions)…