Crescendo, heureusement…
Quatuor Ebène (Pierre Colombet et Gabriel Le Magadure, violons ; Adrien Boisseau, alto ; Raphaël Merlin, violoncelle)
Mozart, Quatuor à cordes n° 15, en ré mineur, KV 421 (1782)
Beethoven, Quatuor à cordes n°11, en fa mineur, opus 95, dit Quartetto serioso (1810) Ravel, Quatuor à cordes, en fa majeur (1903)
C’est quelquefois le(s) bis qui révèle(nt) la vérité d’un artiste. Ce soir, la salle a été majoritairement bluffée par les deux bis offerts par le Quatuor Ebène, deux œuvres de Miles Davis qu’il affectionne ; si la formation des quatre musiciens est on ne peut plus classique (leur discographie également), et reconnue comme telle par une Victoire en 2010, ils excellent aussi dans la création contemporaine, le jazz, et la musique populaire dont ils signent quelques arrangements. C’était aussi l’occasion d’un clin d’œil envers « un pays qui fait beaucoup parler de lui en ce moment » (Raphaël Merlin), quelque dix jours après l’entrée en fonction d’un Donald Trump qui multiplie les mesures autoritaires et décide de l’érection d’un mur de frontière avec le Mexique. Du coup, la remarque ancienne des Ebène à propos de Beethoven prend une saveur toute particulière : « La force de la musique de Beethoven réside probablement dans la conjonction d’un héritage toujours moderne. […] Probable que Beethoven lui-même aurait préféré détruire des murs plutôt qu’en ériger… »
Le Quatuor Ebène s’est constitué au tournant du siècle, de quatre élèves d’un conservatoire de la région parisienne, qui aujourd’hui s’exportent en Europe, aux Etats-Unis, au Brésil… Depuis 1999, les deux violons Pierre Colombet et Gabriel Le Magadure n’ont pas changé ; en revanche l’altiste Adrien Boisseau – qui « n’a pas encore l’habitude des bis », a plaisanté le violoncelliste, et a dû foncer chercher sa partition – n’a rejoint le groupe que le 1er janvier 2015, et Raphaël Merlin est arrivé, lui, avec son violoncelle en 2004.
Cet antépénultième concert chambriste de la saison avignonnaise avait une place particulière, puisqu’étant la seule formation en quatuor de cette année, à côté de quatre duos (après Radulovic/Favre-Kahn, les soeurs Labêque, et Moreau/Hodique, et avant Capuçon/Buniatishvili le 20 mai) et deux solos (après Rémi Geniet et avant Bertrand Chamayou le 14 mars). Et l’on connaît la difficulté propre du genre.
Si Mozart a causé au public les plus vives inquiétudes, chaque musicien semblant courir en solo – et en désordre – après des notes buissonnières, Beethoven, lui, a été mieux traité, plus homogène, vigoureux, avec notamment de belles modulations dans le 1er mouvement, et un son rond et chaud dans le 2e mouvement (sourdines). Dommage, se disait-on à l’entracte, pour le Quatuor n°15 de Mozart, le deuxième des six quatuors (1782-85) dédiés à Haydn rencontré en 1781, où règne – devrait régner – un bel équilibre entre les quatre instruments, particulièrement apprécié du dédicataire.
En revanche Ravel en seconde partie, chatoyant, coloré, multiple, a couronné (sauvé ?) la soirée. Son inspirateur Debussy avait eu raison de rassurer le jeune compositeur soucieux de retravailler son œuvre, qu’il avait dédiée à son professeur Gabriel Fauré : « Au nom des dieux de la musique, et au mien, ne touchez à rien de ce que vous avez écrit de votre Quatuor ».
Si la soirée est allée, heureusement, en crescendo, nous avions conservé à tout le moins un bien meilleur souvenir de la précédente prestation de cette sympathique formation en 2010. (G.ad.) (Photos G.ad.n°1, Michel Auberge n°2, 3, 4).