Pour un voyage vers les mers du Nord
Dans le cadre de la saison de l’Opéra Grand Avignon. Collégiale Saint-Didier, Avignon. Mardi 8 février 2022, 20h30, durée 1h15
Chœur de chambre Ekhô (site officiel)
Morten Lauridsen, O Magnum Mysterium. Otto Mortensen, Til Ungdommen. Vytautas Miškinis, O Salutaris Hostia. Arvo Pärt, Magnificat. Urmas Sisask, Benedictio. Johan Sibelius, Sydämeni Laulu ; Drömmarna. Jukka Kankainen, Alleluia. Gunnar Eriksson, Gjendines Bådnlåt. Ola Gjeilo, Northern Lights. Knut Nystedt, Immortal Bach. Lars Jansson arr. Gunnar Eriksson, Salve Regina
Nul besoin d’imagination pour mettre le cap au Nord, puisque tel était le programme annoncé. Dans la collégiale Saint-Didier d’Avignon, la température avoisinait la froidure extérieure, qui frisait gaillardement en fin de soirée les 5° ! On se sentait donc en plein cœur du Septentrion pour entendre les accents de Norvège, Finlande ou Danemark, et l’on se demande par quel miracle les voix ne se sont pas enrayées.
Néanmoins malgré le froid les spectateurs n’ont pas regretté leur soirée, avec la découverte d’un répertoire rare et magistralement interprété, les déplacements des choristes dessinant une sobre chorégraphie.
C’est en 2017 que Caroline Semont-Gaulon, cheffe de chœur et directrice artistique, a réuni sous le patronage d’une nymphe grecque des choristes et des solistes habitués des scènes d’opéra (Avignon, Montpellier, Chorégies d’Orange) ou des festivals (Saint-Céré, Radio-France, abbaye de Sylvanès) ; montpelliérain et occitanien à sa création, le chœur Ekhô (site officiel) s’est ensuite enrichi de voix venues de diverses régions et d’univers musicaux différents. Déjà entendu à Avignon, il se donne aussi une mission de partage auprès des publics dits « empêchés ». Le concert a cappella ce mardi à la collégiale Saint-Didier d’Avignon a proposé un voyage vers les mers du Nord, en compagnie de compositeurs d’aujourd’hui : les deux Estoniens Arvo Pärt avec son Magnificat (né en 1935) et Urmas Sisask (1960), le Danois Otto Mortensen (1907-1986), l’Américano-danois Morten Lauridsen (1943), les Finlandais Johan Sibelius (1865-1957) et Jukka Kankainen (1932-2019), le Lituanien Vytautas Miskinis (1954), les Suédois Lars Janssonn (1951) et Gunnar Eriksson (1921-1982), et, chez les Norvégiens, Knut Nystedt et son Immortal Bach (1915-2014) ou encore le jeune Ola Gjeilo (prononc. iélo, né en 1978), bien connu des Avignonnais grâce aussi au chœur Homilius.
C’est avec un chœur très homogène que nous avons mis le cap au Nord, de vingt-cinq choristes présents – treize hommes, douze femmes – ; les pupitres étaient mêlés, sauf dans le Bénédictio d’Urmas Sisask, dont le jeu rythmique entre les voix repose notamment sur les répons entre tessitures ; une pièce roborative qui n’est pas sans rappeler le « Fortuna mundi » des Carmina Burana, avec ses attaques d’occlusives, la répétitivité des partitions d’hommes, la jubilation des voix de femmes, et le final triomphant.
Si le O magnum mysterium introductif nous avait fait craindre qu’une des soprani n’écrasât ses consœurs… et nos oreilles, la suite nous a montré qu’il ne s’agissait que d’un excès d’enthousiasme en début de concert avec une acoustique du lieu mal évaluée… à moins qu’il n’y ait eu volonté délibérée de faire monter le thermomètre !
Car dans Til Ungdommen, où Otto Mortensen exhorte la jeunesse à lutter sans cesse pour la paix et la fraternité, alors que les bombes ne cessent, elles, d’éclater sourdement, les solos féminins avaient déjà retrouvé leur équilibre. Les voix féminines joueront ensuite au « réservoir aléatoire », comme l’a souligné la cheffe de chant, apportant des vibrations malencontreusement réverbérées par les voûtes, au chœur d’hommes dont la solidité était, elle, clairement assurée. Hommes et femmes se retrouveront à l’équilibre et à l’harmonie dans le célèbre Magnificat d’Arvo Pärt par lequel il suffisait de se laisser emporter…
Deux pièces de Sibelius ouvrent sans interruption la seconde partie, avec la poétique rêverie d’un parent dont l’enfant a rejoint la quiétude de la « forêt de la mort » (Sydämeni Laulu) puis la mélodie d’un rêve qui s’attarde (Drommarna), avec un Alleluia qui fera l’unanimité : un voyage réjouissant à travers différents styles vocaux, jusqu’à un gospel où l’on s’étonnerait à peine de voir apparaître Whoopi Goldberg !
Sans autre transition que les explications de Catherine Semont-Gaulon, concises mais suggestives, on passe à une jolie berceuse qui finit dans un souffle (Gjendines Bådnlåt), puis à l’«Aurore boréale » d’Ola Gjeilo, compositeur habité par la lumière, les Northern Lights inspirées du Cantique des cantiques, au final explosif. L’Immortal Bach sera impressionnant, avec les choristes déployés tout au long de la nef et des bas-côtés : les voix se déploient et habitent la totalité de l’espace, sans que l’on puisse identifier l’origine du son ; on ferme les yeux, on se laisse envahir, ce sont tout à la fois les grandes orgues, et chacun des instruments de l’orchestre. J’ai rarement eu cette impression physique d’être enveloppée d’une ample « Vimni », une sorte de « vibration musicale non identifiée », seul le recours à un néologisme pouvant traduire cette sensation si particulière.
Le Salve Regina final, emprunté au jazz, accompagné d’un tambourin, se déploie ensuite sur un joyeux Alleluia. C’est le Til Ungdommen qui sera repris en bis ; sans doute le morceau le plus original, chant de paix et d’espoir.
Dans ce répertoire d’une intense ferveur, le chœur Ekhô puise l’énergie des voix, la cohésion du groupe, et un élan sacré qui témoigne d’une spiritualité joyeuse, hors de toute religiosité.
Après avoir cinglé au Septentrion puis avoir quitté la collégiale, le retour au coin du feu sera le bienvenu, pour nous chauffer le corps, comme celui de l’hôtesse de Brassens, mais aussi prolonger le moment de grâce du concert.
G.ad. Photos G.ad
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