Le dernier concert de la saison à La Courroie,
avant la pause estivale, n’est pas (encore) le tout dernier
Lundi 17 et mardi 18 juin 2024, 20h24, La Courroie, Entraigues sur la Sorgue (84). Site officiel
« La vaghezza », Concerti per archi, Italie 1700-1750
Ensemble Les Récréations. Matthieu Camilleri, violon ; Sandrine Dupé, violon et alto ; Clara Mühlethaler, violon et alto ; Keiko Gomi, violoncelle
… and friends. Violons, Stéphan Dudermel, Emmanuelle Dauvin, Gwenaëlle Chouquet ; alto et violon, Josèphe Cottet ; contrebasse, Elodie Peudepièce ; théorbe, Bruno Helstroffer ; clavecin et orgue, Dominique Serve
Giuseppe Valentini (1681-1753), Concerto à 4 violons op. VII n° 11 en la mineur. Alessandro Scarlatti (1660-1725), Concerto in 7 parts en ré mineur (arrangement de Avison). Antonio Vivaldi (1678-1741), Concerto pour cordes RV 128, ré mineur. Francesco Durante (1684-1755), Concerto per archi en la Majeur, La Pazzia. Baldassare Galuppi (1706-1785), Concerto à 4 en do mineur. Charles Avison (1709-1770), Concerto in 7 parts done from the lessons of Domenico Scarlatti ; Concerto n°3 en ré mineur sur les sonates K.89, K.37, K.38 et K.1
C’est avec le plaisir habituel que nous nous sommes rendus à La Courroie, le 18 juin dernier, pour assister au dernier concert de la saison, avant la pause estivale. Donné dans ce lieu beau et étrange – une ancienne usine textile près d’Entraigues sur la Sorgue à quelques minutes d’Avignon – le programme de musique italienne du XVIIIème siècle, titré « La Vaghezza » – comprenez une beauté étrange, non canonique – s’annonçait comme tout à fait en accord avec le charme de cet espace singulier. Nous y sommes allés avec la certitude, acquise durant tant d’années d’excellentes programmations, que nous allions vivre un grand moment musical et convivial, une de ces soirées uniques dont Alice Piérot et Chantal de Corbiac, fondatrices et directrices de La Courroie, ont le secret (ça s’appelle « la classe »). C’est avec une profonde émotion, et une tristesse profonde, que nous avons quitté la salle, puis, les derniers, notre table au « foyer » et nos verres de vin à 1 euro, et c’est encore bien tristement que nous avons quitté le parking, au bout d’une soirée bellissima – non, vaghissima – et d’un concert dont l’intensité d’exécution a dépassé nos attentes.
Pourquoi de la tristesse, alors ? Cette soirée sous le signe de la vaghezza de la musique de Valentini, Scarlatti, Vivaldi, Durante, Gualuppi, Avison, a été belle, de cette beauté étrange que son titre annonçait ; mais elle a été, dans son début et sa fin, teintée d’une émotion inattendue. « C’est la fin de La Courroie, telle qu’on la connaît aujourd’hui. En décembre prochain. » Aussitôt son annonce faite – ah ! ces présentations inénarrables, d’une intelligence et d’une drôlerie dont elle seule a le secret ! (« la classe », encore) -, Chantal de Corbiac est passée à autre chose. Elle a « noyé le poisson » selon ses propres mots, pour donner les prix des CD de l’ensemble invité, Les Récréations, et ajouter : « Ils sont onze, ils ont bon appétit, ils sont là depuis trois jours. À La Courroie, on ne pose pas ses valises pour repartir le lendemain… » Décidément, les intro de la maîtresse des lieux font partie du spectacle : on vient aussi pour l’écouter, elle. Puis, très vite comme toujours, de Corbiac a laissé la parole aux musiciens. Le sentiment de participer à un événement d’exception a pris le dessus.
L’ensemble Les Récréations, mené par le violoniste Matthieu Camilleri, allait nous entraîner dans une traversée du siècle, le XVIIIème italien. Présenté par le violoniste et chef, ce voyage savant et excitant serait illustré par des compositions rendant compte de l’évolution musicale entre 1700 et 1750, évoluant du classicisme de l’école corellienne (Valentini) au sentimentalisme du milieu du siècle (Galuppi) en passant, bien entendu, par Scarlatti et Vivaldi. L’ensemble avait composé donc son programme autour d’une autre notion de bellezza, d’une beauté « mouvante et singulière ». « Ce sont des pièces un peu étranges que vous allez entendre, et fil du programme, le pourquoi du titre va peu à peu se préciser », a expliqué Camilleri.
Un très beau programme donc, surprenant même : « des choses concoctées pour vous, home-made, que l’on n’entend pas ailleurs » (toujours de Corbiac), portées par un formidable souffle collectif qui, comme très souvent à La Courroie, a enthousiasmé le public. Pour la première fois, l’ensemble s’est présenté en grand effectif. Matthieu Camilleri au violon, Sandrine Dupé, violon et alto, Clara Mühlethaler, alto et violon, et Keiko Gomi, violoncelle, avec leurs amis Stéphan Dudermel, Emmanuelle Dauvin, Gwenaëlle Chouquet, violons, Josèphe Cottet, alto et violon, la contrebasse Elodie Peudepièce, Bruno Helstroffer au théorbe et Dominique Serve au clavecin et à l’orgue, ont fait plus qu’exécuter les pièces au programme. Ils les ont interprétés, dans une démarche d’appropriation personnelle et actuelle, offrant une véritable re-création. Des « interludes » singuliers et vivants, à l’allure d’impro, mais savamment préparés, ont fait le « liant » entre les pièces anciennes. Tour à tour, entre une composition italienne et l’autre, se sont succédé les solos : l’alto de Josèphe Cottet, le théorbe Bruno Helstroffer, le violoncelle de Keiko Gomi (qui s’est amusée à citer L’Été de Vivaldi) et, formidables, le clavecin dialoguant avec le théorbe… c’est là que la joie a gagné l’assistance et tous ont éclaté de rire, alors que Dominique Serve et Bruno Helstroffer nous ont entraînés, entre flamenco et dissonances contemporaines, dans une musique vraiment vivante. Une réussite chorale, car parfois, un archet est aussi clair qu’une baguette. En bis, La Pazzia (La folie) de Francesco Durante. On corrige la prononciation du violoniste, une voix se lève du public (pas la mienne !) : « La Pazzía, pas la Pàzzia ! »
La Courroie, une folie qui a eu raison d’avoir été osée, qui a conquis son public et sa réputation, est en passe de devenir légendaire. Ce lieu unique a fermé ses portes, mais pas pour toujours, pas pour l’instant, sur un air de folie italienne, bissée pour le bonheur du public. « Réouverture en septembre. Profitez de nos quatre derniers mois, vous aurez des surprises », c’est l’invitation de Chantal de Corbiac. Nous sommes partis contents, et tristes. Nous reviendrons.
C.R.
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