Créer l’événement à tout prix
La Traviata, opéra en 3 actes (1853). D’après Alexandre Dumas Fils, La Dame aux camélias. Musique, Giuseppe Verdi. Livret, Francesco Maria Piave.
Direction musicale : Michele Mariotti / Carlo Montanaro (9, 12, 16 oct.). Mise en scène : Simon Stone. Décors : Bob Cousins. Costumes : Alice Babidge. Lumières : James Farncombe. Chef des Choeurs : José Luis Basso.
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Coproduction avec le Wiener Staatsoper
Violetta Valéry : Pretty Yende (12, 15, 21, 24, 28 sept., 1, 4 oct. 2019). Zuzana Markovà (18, 26 sept., 6, 9, 12, 16 oct. 2019). Flora Bervoix : Catherine Trottmann. Annina : Marion Lebègue.
Alfredo Germont : Benjamin Bernheim (12, 15, 21, 24, 28 sept., 1, 4 oct. 2019) / Atalla Ayan (18, 26 sept., 6, 9, 12, 16 oct. 2019). Giorgio Germont : Ludovic Tézier (12, 15 sept., 1 > 16 oct) / Jean-François Lapointe (18 > 28 sept.). Gastone : Julien Dran. Il Barone Douphol : Christian Helmer. Il Marchese d’Obigny : Marc Labonnette. Dottor Grenvil : Thomas Dear. Giuseppe : Luca Sannai. Domestico : Enzo Coro. Commissionario : Olivier Ayault.
Palais Garnier, Paris, du 09 septembre au 16 octobre 2019. 3h05 avec 2 entractes
Langue : Italien. Surtitrage : Français / Anglais
Première : 12 septembre 2019. Avant-première Jeunes : 9 septembre 2019
Certaines scènes peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes ainsi que des personnes non averties.
C’est une Traviata pour le moins controversée qui a été transmise dans les salles obscures depuis l’Opéra Garnier à Paris, où elle se joue du 9 septembre au 16 octobre ; en raison du mouvement de grève du mardi 24 septembre, c’est la représentation du samedi 21 – dans la même distribution – qui a été retransmise en différé. Sous la baguette de Michele Mariotti, et si le plateau est salué à l’unanimité, la mise en scène de Simon Stone veut créer l’événement à tout prix. L’Opéra de Paris a inscrit un avertissement sur son site…
Il faut créer l’événement à tout prix, surtout en début de saison où l’on programme traditionnellement les grands classiques du répertoire. Créer l’événement, et même – allons-y carrément – « faire le buzz ». Car c’est le monde d’aujourd’hui qui passe directement de la rue à la scène, par les yeux de celui qui se présente comme « un simple accoucheur », Simon Stone, metteur en scène de théâtre et de cinéma, et qui fait là ses débuts à l’Opéra Garnier.
Le monde d’aujourd’hui pour exprimer l’intemporalité de l’œuvre, alors que rien n’est plus rapidement obsolète que la modernité la plus criante, et que rien ne se démode plus vite que… la mode !
D’abord un monde hyper-connecté (I) – Violetta étant une « influenceuse » -, immergé jusqu’à la saturation dans le flot des Twitter, followers, selfies, tablettes, découvert bancaire, vidéos, émoticônes, hashtags, Uber et autres objets d’un quotidien invasif.
Puis un monde quasi pornographique (II), avec travestis, cuir, appendices sexuels ostentatoires pour les choristes, et surtout, en guise de décor sur fond noir, des silhouettes de néon multicolores, enchevêtrées, dans des scènes animées que n’auraient pas récusées les murs des lupanars de Pompéi ou le répertoire cinématographique X…
Enfin, un monde hospitalier angoissant (III), à la lumière glauque, où Violetta, en récidive de cancer, arrache sa perfusion et boit jusqu’à la lie sa solitude pendant que le monde extérieur continue à s’étourdir.
Tout cela était-il bien nécessaire ? L’indigence des échanges de textos rabaisse presque l’histoire d’amour à un « bon coup d’un soir ». La vulgarité de la boîte de nuit est à l’opposé des fêtes de Violetta et de Flora, coquines peut-être, mais élégamment aristocratiques. La voiture, immobile, censée emporter Violetta (fin I) est aussi incongrue que celle du Don Giovanni des Chorégies 2019. Et aurait-on imaginé que le premier duo d’amour se chante entre poubelles et caisses de vin, et le « Sempre libera » devant un kebab ? Quant à la vache – vivante, dans toute sa placidité – que Violetta, néo-rurbaine, est en train de traire quand arrive Germont père, on préfère ne rien dire !
A mille lieues du « goût exquis » qu’évoque le ténor Benjamin Bernheim (Alfredo) dans son interview avec Alain Duault.
Rendons donc doublement grâce à la caméra de François Roussillon, dont l’intelligence et la sensibilité ont su choisir les meilleurs plans pour sublimer les artistes – un plateau remarquable – et accompagner l’émotion.
En effet, oubliés tous ces fatras frisant le contre-sens, les solistes, sublimés par la lumière blanche, épurée, ont véritablement illuminé la production.
Saluons la prise de rôle éblouissante d’une très belle Pretty Yende – qu’on reverra en Manon en fin de saison – , qui est un concentré d’émotions. Vivante, authentique, elle insuffle une fraîcheur délicieuse et une profondeur subtile à son personnage. Qualités d’autant plus exceptionnelles que la jeune Sud-Africaine n’a découvert l’opéra – et la naissance fulgurante d’une vocation – qu’en 2001, à 16 ans, par le Duo des fleurs de Lakmé au sein d’une publicité télévisée ! Son timbre chaleureux et coloré a su épouser successivement, et avec un naturel qui fait rêver – n’étaient quelques faiblesses ponctuelles de prononciation (masculin au lieu d’un féminin…) -, les « trois Violetta », colorature, lyrique et dramatique.
Le ténor français Benjamin Bernheim forme avec elle un couple fort réussi. Lui qui, en coulisses, regrette de n’avoir pas été formé dans le sérail (CNSM) et reconnaît en riant « être arrivé comme un boulet de canon il y a deux ans », a déjà incarné Alfredo sur de nombreuses scènes, françaises et étrangères, et a su nourrir son personnage de ses expériences successives, le guidant vers une bouleversante et complexe humanité de fils à papa irrésolu mais attachant. Il prend toute son assurance scénique et vocale au sommet de la fontaine à champagne (« Libiamo ») qui le propulse sous les projecteurs immaculés. Jean-François Lapointe (Germont père), lui, ne soulève pas l’enthousiasme ; trop compassé dans son costume alourdi d’une sacoche en bandoulière (?), il est néanmoins traversé de quelques lueurs d’empathie auprès de Violetta ou d’Alfredo.
Annina, pour sa part, prend, grâce à Marion Lebègue, une stature qui dépasse le simple faire-valoir de domestique et amie pleine de tendre sollicitude, grâce à un timbre solide et clair, et à une présence dans la quasi-totalité de la narration. La piquante mezzo Catherine Trottmann (Flora) orne avec brio, de sa plastique et de son timbre léger, des fêtes pétillantes.
Le Douphol de Christian Helmer a la suffisante désinvolture d’un aristocrate qui s’encanaille, sans fatuité et sans extravagance.
Julien Dran confirme sa belle légitimité sur les grandes scènes. Son Gaston a le timbre aérien et la ferme élégance du jeune ténor français, tant dans les fêtes que jusqu’au cœur de l’acte II en matador conquérant ; un artiste dont nous suivons avec plaisir la carrière brillamment ascendante.
Avec une telle distribution, majoritairement jeune et talentueuse, et un orchestre mené avec délicatesse et maestria par Michele Mariotti, on aurait volontiers préféré une version concertante. (G.ad. Photos G.ad. : capture d’écran hors représentation).
Seblon guy dit
Cette version moderne m’a époustouflé, personnellement aucune critique,tellement j’ai été emballé ; par malchance, mon enregistrement est défectueux ; malgré cela je l’ai regardé deux fois,et je serais absolument ravi de faire l’acquisition du DVD ; j’ai commencé mes recherches, mais aucune référence de ce DVD ; merci à celui qui pourra m’aider. (G.S.)
Classique dit
Merci pour ce commentaire. J’ai revu moi aussi cette version, et j’ai, comme vous, été « époustouflée » ; j’ai écrit un autre article en ce sens, qui sera bientôt en ligne ; j’y publierai votre commentaire, fort intéressant (en signature, vos nom et prénom, ou initiales, ou pseudo : que souhaitez-vous ?).
A ma connaissance, aucun DVD paru encore ; mais pourquoi pas un replay et enregistrement ? Mais un lecteur nous éclairera peut-être…
Cordialement,
G.ad.