Opéra Confluence Grand Avignon. Vendredi 17 janvier 2020, 20h30 ; dimanche 19 janvier, 14h30. Durée 2h30
Opéra-comique en deux actes de Gaetano Donizetti. Livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Jean-François Bayard. Création le 11 février 1840 à l’Opéra-Comique Paris
Direction musicale, Jérôme Pillement. Mise en scène, adaptation, conception scénographique et costumes, Gilles & Corinne Benizio (alias Shirley & Dino). Bientôt notre entretien. Assistante mise en scène Pauline Jolly. Assistante décors Marie André. Lumières Jacques Rouveyrollis. Assistante lumières Jessica Duclos. Vidéo ID SCENES. Vidéastes Julien Meyer & Julien Cano
Marie Anaïs Constans. Tonio Julien Dran. Sulpice Marc Labonnette. La marquise de Berkenfield Julie Pasturaud. Hortensius / La duchesse de Crakentorp João Ribeiro Fernandes
Orchestre Régional Avignon-Provence
Choeur de l’Opéra Grand Avignon
En coproduction avec Les Folies Lyriques et l’Opéra Royal de Wallonie-Liège
Le public n’a pas boudé son plaisir, à cette reprise de La Fille du régiment créée en 2018 à Montpellier. A mi-chemin entre opéra-bouffe et music-hall (avec Shirley et Dino en intermèdes de cinéma des années 50-60, tels qu’on les connaît et qu’on les attend), ce Donizetti est roboratif en ces temps de morosité hivernale.
Autour des deux belles voix lyriques – la soprano Anaïs Constans et le ténor Julien Dran, « militaire et mari » qui s’est joué des multiples contre-ut tant attendus) -, c’est tout un monde croquignolet voire irrésistible qui anime la scène pour accompagner un jeune couple jusqu’au bonheur espéré. Classiqueenprovence connaît bien la soprano et le ténor, depuis leur formation au CNIPAL et leurs premiers petits rôles, ainsi que les récompenses qui jalonnent déjà leurs jeunes carrières : divers prix internationaux, un très large répertoire, et Victoire de la musique (Révélation 2015), pour l’une ; de grandes scènes nationales – dont Marseille et les Chorégies d’Orange – et étrangères, et de solides productions pour l’autre. On a plaisir à les entendre désormais en premiers rôles et moteurs de spectacle. Si Anaïs Constans n’a ici guère été avantagée par ses costumes, du bleu-de-France et godillots au rose de petite-fille-modèle, son abattage et sa bonne humeur – et jusqu’aux colères et caprices de son personnage – ont séduit bien au-delà du régiment…
Un régiment napoléonien auquel les artistes des chœurs mixtes de l’Opéra Grand Avignon prêtent leurs voix et leur présence scénique dans un enthousiasme sans faille. Désoeuvrés en plein Tyrol mais toujours actifs, ils tuent le temps à défaut d’ennemis, ils jouent à la guerre dans une mise en scène décapante, sans jamais sur-jouer, et sont unis par une réelle tendresse vis-à-vis de la fille adoptive de leur sergent Sulpice (Marc Labonnette, chaude voix de basse et belle prestance, par ailleurs habitué des productions avec Hervé Niquet).
C’est Joao Ribeiro Fernandes également qui s’est taillé un très beau succès. Révélé par William Christie dans son premier Jardin des voix, il enchaîne les grands rôles et les scènes prestigieuses. Avec grand talent il a ici joué les « deux rôles, et pour le même prix », d’Hortensius et de la duchesse de Crakentorp, en travesti désopilant et jamais caricatural.
On peut toujours craindre le pire dans la comédie, opérette ou opéra-comique, toujours très marqués par leur époque. Quid du militarisme, dans notre époque plombante où terrorisme et exactions fleurissent partout dans le monde, et où l’on donne parfois bien peu pour une vie humaine. Après de récentes productions qui fourmillaient de tant d’allusions à l’actualité sombre qu’elles en obscurcissaient la démonstration, cette Fille du régiment a évité l’écueil du dérapage : l’irrévérence, face à l’Eglise et à l’armée, malgré quelques improvisations propres à l’opéra-comique, s’est maintenue dans la bienséance pétillante du « Ah, mes amis, quels jour de fête ! »…
L’utilisation judicieuse des projections en fond et tour de scène a su souligner la malice sans détourner l’attention, avec des clins d’œil tout en finesse, tout droit venus des brefs « D’art d’art » de Frédéric Taddéï qui font les beaux jours d’Arte. Charmante complicité aussi dans la présence sur scène – en concert privé chez la marquise de Berkenfieldn, sous les traits d’une Julie Pasturaud remarquablement castafioresque – et, au piano sur scène, de la délicieuse pianiste Kira Parfeevets, bien connue dans la région.
Quant à l’orchestre, sous l’habile direction de Jérôme Pillement, il semble s’être régalé aussi, exprimant avec le même talent les accents martiaux et les délicatesses du bel canto. Un spectacle réjouissant, pour tout public. (G.ad. Photos Cédric & Mikaël/ Studio Delestrade/ Avignon).
Quant à l’orchestre, sous l’habile direction de Jérôme Pillement, il semble s’être régalé aussi, exprimant avec le même talent les accents martiaux et les délicatesses du bel canto. Un spectacle réjouissant, pour tout public. (G.ad. Photos Cédric & Mikaël/ Studio Delestrade/ Avignon).
Synopsis
Au Tyrol, en 1805
Acte I. La marquise de Berkenfield rentre chez elle en pleine guerre napoléonienne. Un sergent français, Sulpice (basse), arrive, suivi de Marie (soprano), jeune vivandière adoptée par son régiment. La marquise, apeurée, se cache. Les soldats attrapent un tyrolien, Tonio (ténor), qui rode aux abords du camp. Marie reconnaît alors son ancien sauveur, qu’elle fait accueillir par le régiment. Une fois seuls, ils s’avouent leur amour. La marquise sort de l’ombre et se présente à Sulpice. Elle comprend qu’elle est la mère de Marie et l’emmène chez elle à la stupeur générale.
Acte II. Marie regrette son ancienne vie. La marquise avoue la vérité au sergent Sulpice et souhaite marier sa fille au duc de Crakentorp. Marie est contrainte d’accepter quand Tonio, devenu capitaine pour lui plaire, surgit pour s’y opposer. Marie confesse son amour publiquement. La marquise, émue, laisse sa fille épouser Tonio et rejoindre le régiment.
Présentation de l’œuvre
Avec La Fille du régiment, créée à Paris, salle Favart, le 11 février 1840, Donizetti compose sa première œuvre française depuis son installation à Paris en 1838. Malgré de vives critiques, son opéra-comique s’impose rapidement et devient, selon certains, « l’Everest de l’Art lyrique », grâce à l’un de ses plus célèbres airs : « Ah ! mes amis, quel jour de fête ! » avec ses neufs contre-ut chantés par Tonio. Compositeur italien, Donizetti concilie l’art du bel canto, marqué par sa virtuosité vocale, et celui de l’opéra-comique, genre typiquement français fondé sur des sujets légers et faisant alterner le chant et la déclamation. Œuvre majeure de l’opéra français, La Fille du régiment réunit habilement l’Italie et la France, la vocalité italienne et la romance. Elle rencontre un succès constant jusqu’à la Première Guerre mondiale en raison de ses résonnances patriotiques. (Mathieu Cabau-Muñoz, Université Lyon 2, Département Musicologie)
Note d’intention
A la suite d’une commande de l’Opéra-Comique, Donizetti compose La Fille du Régiment. Il est question d’armée français qui occupe le Tyrol. Mais Donizetti reste profondément italien. Tout, dans la musique, les dialogues rappellent la comédie à l’italienne.
Pour notre mise en scène, nous nous inspirons de la grande époque du cinéma italien des années 50-60. Celui de Fellini, De Sica, Risi, Monicelli… Notre Marie rappelle la belle et colérique « Bersalière » interprétée par Gina Lollobrigida dans le film Pain, Amour et Fantaisie réalisé par Luigi Comencini et Tonio, le jeune et timide carabinier amoureux. Nous aimons cette période particulièrement riche, où la comédie croise le drame, le mélodrame, la farce. Les faiblesses de chacun, les petits travers, les joies, toutes les émotions, sont fouillées et laissent percevoir notre propre humanité. Les thèmes abordés sont profonds, graves, mais le vent de la dérision et l’ironie souffle en rafales. Le sujet même de La Fille du Régiment nous y invite : « Une femme riche, il y a de cela longtemps, a abandonné son bébé, afin d’échapper au déshonneur. L’enfant, une petite fille, fut recueillie et élevée par un brave sergent au sein même du régiment. Mais la petite Marie est aujourd’hui une jolie jeune fille et, à la manière des amoureux de la Comedia delle arte, elle tombe follement et naïvement amoureuse ».
Le chœur, très présent durant le long premier acte, représente un régiment militaire en attente interminable de combat. Afin d’illustrer l’ennui que peu susciter une telle situation, chacun exécute à sa façon une corvée ou s’adonne à son penchant. Le gourmet qui cuisine et déguste les pâtes, le méticuleux qui recoud ses chaussettes, le coquet tiré à quatre épingles, celui qui lave son linge, le barbier qui rase ses compagnons, les passionnés qui jouent aux cartes, le vendeur de bibelots… bref, une vibrante ambiance à l’italienne, chaleureuse et drôle.
Faire rire, émouvoir, enthousiasmer, reste notre unique désir. A cette fin notre imaginaire se déploie, les idées affluent, la comédie nous envahit. Il y a les idées qui naissent de l’histoire même, des situations écrites. Et puis les autres, celles qui sortent du contexte ; les plus loufoques, les plus surprenantes et sans doute, les plus drôles. Car pour nous, tout est permis ! A la façon des Marx Brothers, des Monthy Python, des Branquignols !
Et pour y réussir, il est nécessaire de respecter l’œuvre. Que les chanteurs soient irréprochables dans l’interprétation vocale et le jeu, que la musique soit superbe, que les costumes et les décors soient beaux. Nous utilisons un tout nouveau procédé de multi-projections de photos et de vidéos en maping. Encore peu utilisé dans la scénographie de spectacle vivant, nous sommes séduits par la beauté et la magie qui en résulte.
Lorsque le spectateur prend place, il découvre un décor blanc, composé de panneaux, de cubes, d’escalier. Une structure informe, abstraite. Et brusquement, les images projetées font surgir l’intérieur d’une église avec ses couleurs, ses dorures, ses lumières qui traversent les vitraux, le tout dans une réelle profondeur. Les différents panneaux ainsi que la projection en 3D, permettent aux acteurs d’évoluer comme dans un intérieur en volume. La vidéo d’une forêt, le vent dans les arbres, un animal qui traverse, le réalisme d’un tel décor contribue à la magie qui s’opère là, sous nos yeux.
Nous abordons cette œuvre, comme à notre habitude, avec l’envie et le plaisir de réaliser un grand divertissement (Gilles et Corinne Benizio alias Shirley et Dino, mise en scène).
Créée en 1840, première œuvre française de Donizetti, La Fille du régiment demeure profondément italienne. Elle s’est très vite imposée comme un monument, par (ou malgré) son patriotisme, la virtuosité du ténor, et le pétillant dynamisme de l’ensemble. Avignon a réservé le meilleur accueil à la mise en scène réalisée par Gilles et Corinne Benizio (Shirley & Dino) aux Folies lyriques de Montpellier.
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