On ne change pas une Grèce qui gagne…
Marseille, Odéon (16 octobre 2016)
Opéra bouffe en 3 actes. Livret de Henri MEILHAC et Ludovic HALÉVY
Direction musicale Emmanuel TRENQUE, Chef de chant Caroline OLIVEROS, Mise en scène Bernard PISANI, Assistant mise en scène Sébastien OLIVEROS, Décors Eric CHEVALIER, Décors fabriqués par les Ateliers de l’Opéra de Marseille
Hélène Laurence JANOT, Bacchis Carole CLIN, Parthénis Nelly B, Loeena Lorrie GARCIA
Pâris Kévin AMIEL*, Oreste Samy CAMPS, Calchas Michel VAISSIERE, Agamemnon Philippe ERMELIER, Ménélas Dominique DESMONS, Achille Jean-Marie DELPAS, Ajax I Jacques LEMAIRE, Ajax II Yvan REBEYROL*
Chœur Phocéen, chef de chœur Rémy LITTOLFF
Orchestre du Théâtre de l’Odéon
NOUVELLE PRODUCTION
« Venez déguster cette succulente Belle-Hélène follement amoureuse de l’homme à la pomme et qui prend son époux Ménélas pour une poire ! »
Une Antiquité très convenue mais de bon aloi, accueillie avec ovations et chaleureux commentaires de couloirs. Drapés, plissés, jeunes-filles-aux-belles-boucles et guerriers-aux-éclatantes-cnémides, marbres et colonnes : on ne change pas une Grèce qui gagne…
J’avais été déçue de la Belle Hélène de Jérôme Savary à Avignon, donnée pour les fêtes de fin d’année 2014. Brouillonne et plate, elle n’avait été sauvée que par l’excellence de l’interprétation, chanteurs et danseurs – dont une Ludivine Gombert épatante sous l’habit (tout petit !) d’une suivante sexy en diable -.
En revanche la précédente Belle Hélène de Bernard Pisani, à Avignon également, m’avait séduite, par sa finesse et son inventivité. Cette nouvelle production du même metteur en scène-danseur-acteur-chorégraphe se révèle d’égale valeur. Certes, la configuration de la scène de l’Odéon à Marseille réduit le champ des possibles ; oubliés, les trois tableaux d’une délicieuse originalité : le miroir surplombant l’entrée des rois de la Grèce, l’immense jeu de l’oie, et les planches de Nauplie-Deauville. Mais, dans les mêmes costumes, issus de l’atelier de Saint-Etienne, et avec une nouvelle distribution dans de nouveaux décors, le même Bernard Pisani offre une Belle Hélène qu’on s’en voudrait de bouder. Même lecture élégante, jusque dans les cimiers cocasses des rois, le bonnet phrygien d’Oreste, la nudité furtive de la reine de Sparte, les déhanchements parodiques d’Agamemnon, la rencontre des rois au sommet. Tout est délicieusement suranné, d’une pétillante fraîcheur et furieusement intemporel. Toujours sur un fil délicat, toujours cocasse, jamais grotesque.
On y découvre un Jean-Marie Delpas jubilatoire – et jubilant – en « bouillant Achille »… même si la bouilloire ne monte pas tout de suite en pression.
Auteur-compositeur venu du music-hall, Dominique Desmons en Ménélas-De Funès, s’offre quelques beaux accents de ténor dont on espère se régaler aussi dans les futures productions de la saison sur la même scène, La Route fleurie en janvier 2017 et Violettes impériales en mai. Philippe Ermelier, solide ex-Cnipalien, se taille un joli succès en roi des rois majestueux ; un Agamemnon « aux belles jambières » qui aurait plu à Homère lui-même ! Les deux Ajax, les Dupond-Dupont de l’Antiquité, forment un duo de choc ; on a envie de revoir Jacques Lemaire et Yvan Rebeyrol dans les rôles plus consistants qu’ils endossent sur diverses scènes et dans des univers différents. Le Niçois Samy Camps, lui, dans le rôle du sautillant Oreste confirme en beauté sa nomination aux Victoires de la musique classique 2015 (Révélation artiste lyrique) ; une carrière déjà bien entamée, et dans des registres divers, laisse bien augurer de son parcours futur.
Le grand augure Calchas, sous les traits de Michel Vaissière, promène son « himation » blanc en… fil rouge de la pièce, et son humour ravageur lui confère un rôle de premier plan. Quant au ténor Kevin Amiel, Pâris le séducteur, déjà entendu à Avignon dans un Tremplin de Jeunes talents, et dans le Stabat Mater de Rossini, il m’a fait d’abord trembler dans un « Evohé » un peu court ; sa voix et son jeu ont pris ensuite consistance et crédibilité, jusqu’à des aigus conquérants au départ pour Cythère.
S’agissant de « la » femme d’entre les femmes, rôle redoutable qui hésite parfois entre nunuche et cougar, Laurence Janot, élève de Noureev et égérie de Lifar, puis magnifique soprano après un parcours aux rigueurs exceptionnelles, offre sa plastique parfaite et ses larges aigus à la chaleur colorée ; poussée vers le chant lyrique qui la tentait par une Claude Bessy au flair infaillible, elle a ensuite été repérée et engagée par d’autres formidables propulseurs de jeunes talents : Gabriel Dussurget, fondateur du Festival d’Aix-en-Provence, Raymond Duffaut, à Orange et Avignon, et Jean-Louis Grinda, récent successeur de Raymond Duffaut à la tête des Chorégies. Tous ont eu raison : Laurence Janot habite la scène et le rôle avec la vraie intelligence et la fausse naïveté d’une Arielle Dombale.
Carole Clin en raisonnable Bacchis, ainsi que Nelly B et Lorrie Garcia en pétillantes Parthénis et Léana, méritent leur bouquet d’applaudissements.
Emmanuel Trenque, chef de chœur de l’Opéra de Marseille depuis un an, imprime à un orchestre dynamique un tempo allègre pour sa première baguette dans la fosse de l’Odéon. Une baguette énergique et souple. (G.ad.) (Photos Christian Dresse)