Séduisant, sinon « renversant »
Opéra bouffe en trois actes de Baldassare Galuppi. Livret de Carlo Goldoni. Création le 14 novembre 1750 au Teatro San Cassiano de Venise. L’édition de la partition a été réalisée par Michele Geremia. En co-production avec Akadêmia et l’Opéra de Reims
Direction musicale, Françoise Lasserre. Mise en scène, Vincent Tavernier. Scénographie, Claire Niquet. Costumes, Erick Plaza-Cochet. Lumières, Carlos Perez
Tullia, Marie Perbost. Rinaldinho, Armelle Marq. Aurora, Dagmar Saskova. Cintia, Alice Habellion
Graziosino, Olivier Bergeron. Giacinto, David Witczak. Ferramonte, Joao Pedro Coelho Cabral
Choeur de l’Opéra Grand Avignon
Orchestre Akadêmia
Reprises : Opéra de Reims le vendredi 8 février à 20h30. Philharmonie de Paris le vendredi 15 février à 20h30
Chanté en italien, surtitré en français. Durée du spectacle 3h30
Une heureuse découverte, que ce « monde à l’envers », pour les mélomanes curieux qui s’étaient laissé convaincre par Françoise Lasserre (notre entretien ici), même si une partie du public a quitté prématurément la salle.
Il faut dépasser la mise en condition du 1er acte, poussif comme dans beaucoup d’opéras ; en l’occurrence ici il ne se passe rien d’autre qu’un échange de lieux communs sur les femmes et leurs supposés défauts ou qualités ; des longueurs inutiles (l’équipe songe à tailler quelques dizaines de minutes pour les tournées ultérieures) mais pourtant jamais pesantes, par la grâce de la mise en scène mouvante de Vincent Tavernier, qui avait créé il y a quelques années à Avignon un Tancrède remarquable, alors secondé également par Claire Niquet. Il faut aussi accepter de découvrir à la dernière minute, dans la petite feuille de salle, que le spectacle ne dure pas 2h30 comme annoncé, mais 3h30 (il flirtait avec les 4h dans une version antérieure).
Mais quand on est pris par le jeu, on est du voyage. C’est frais, coloré, acidulé, caressé par les belles lumières Carlos Perez. Si c’est bien un opéra bouffe, c’est dans la légèreté souriante, mâtinée de fausse naïveté, toujours de belle facture, jamais outrancier.
Portés par une partition où Mozart pointe sans cesse le bout de son clavecin délicieux, et par l’ensemble orchestral Akadêmia (20 musiciens), de très solide et très délicate tenue, sous la direction empathique et précise de Françoise Lasserre, tous les artistes manifestent un bel engagement scénique, qui cisèle une totale cohésion.
Les chanteurs appartiennent à cette (jeune) génération aussi théâtreuse que vocale, se régalant de jouer la comédie, et les choeurs de l’Opéra Grand Avignon ne boudent pas non plus leur plaisir. Les voix sont globalement agréables, avec une diction intelligible, à deux exceptions près.
Les deux soprani (Marie Perbost/Tullia surtout, Révélation classique de l’Adami en2016, et Armelle Marq) sont excellentes, tout comme la mezzo tchèque (quasi soprano aussi) Dagmar Saskova, et les messieurs David Witczak et Joao Pedro Coelho Cabral ne déméritent point.
En revanche, la contralto Alice Habellion (photos : panache rouge) – jadis claveciniste – a agressé même les oreilles les plus indulgentes. Qu’elle soit collaboratrice régulière d’ensembles baroques aussi exigeants qu’Akadémia, Concert Spirituel, Concerto Soave, ou Centre de Musique Baroque de Versailles, laisse perplexe… Sombre, lourde, fermée, sa voix reste coincée entre pharynx et palais, et n’a ni charme ni projection.
Quant au jeune baryton québécois Olivier Bergeron (Graziosino, en charmant Pierrot), bon comédien, nous souhaitons qu’il acquière au fil des années – et de sa spécialisation dans le domaine baroque – la puissance vocale qui manque encore à ses 22 printemps.
Une belle réalisation d’ensemble, qui mérite de tourner, en version raccourcie. (G.ad.)