« Mademoiselle Julie »
Julie Fuchs et l’Orchestre National d’Île-de-France au GTP (Grand Théâtre de Provence), à Aix-en-Provence (9 mars 2019)
Julie Fuchs, soprano ; Enrique Mazzola, direction ; Orchestre National d’Île-de-France
Ce concert au Grand Théâtre de Provence s’inscrit dans une tournée de promotion du CD récent « Julie Fuchs – Mademoiselle » (1 CD Deutsche Grammophon). Le programme de la soirée reprend quelques airs de la nouvelle parution, en y intercalant des numéros purement instrumentaux, afin de laisser des temps de repos à l’artiste.
Dès l’ouverture de La gazza ladra de Rossini, on apprécie la qualité de l’Orchestre National d’Île-de-France et la direction du chef Enrique Mazzola : les cordes sont à la fois légères, audibles et techniquement aguerries, les bois virtuoses (le hautbois, le piccolo, le basson) montrent leur maîtrise dans ce morceau plein d’allant et d’espièglerie toute rossinienne.
L’extrait de I Zingari de Vincenzo Fioravanti voit arriver Julie Fuchs sur scène, déambulant entre les musiciens, avant de prendre sa place de soliste à la gauche du chef. La voix est très agile et souple dans cet air très fleuri, comme dans celui qui suivra, une vraie rareté tirée de La Cenerentola de Rossini : il s’agit de l’air de Clorinda « Sventurata mi credea », en général supprimé lorsque l’opéra est monté, le compositeur n’étant pas Rossini lui-même mais un de ses collaborateurs, Luca Agolini. On remarque tout de même quelques notes où l’intonation de la soprano paraît perfectible, souvent sur des attaques ou bien des passages de transition. Le chef et la chanteuse prennent tour à tour le micro pour annoncer que l’air « Una voce poco fa » du Barbiere di Siviglia est annulé et « remplacé » par la musique d’orage du même opus… les amateurs de chant y perdent au change ! La première partie – très courte – s’achève par « Il faut partir » de La Fille du régiment de Donizetti, où l’on admire la rondeur et la douceur du timbre, auxquelles répond la mélancolie du cor anglais.
Après l’entracte, les menus problèmes de justesse de ton semblent s’estomper dans une seconde partie plus généreuse. Celle-ci commence par la délicate cantilène « Amor cagion possente » extraite de l’Orfana russa de Pietro Raimondi. Après l’ouverture du Barbiere, dynamique et équilibrée – peut-être à l’exception de trompettes un peu trop présentes –, c’est au tour d’Hector Berlioz et son boléro de Zaïde, où l’on apprécie la qualité de prononciation du texte. Le caractère espagnol de cette deuxième partie est confirmé par le morceau qui suit, tout comme la couleur rouge de la robe de la soliste, qui a remplacé le blanc du début du concert. Dans la zarzuela Mis dos mujeres de Francisco Asenjo Berbieri, le superbe violoncelle solo plein de sentiments répond à la soprano, la voix s’épanouit et l’émotion passe. Rossini revient en conclusion du programme, un extrait des Péchés de vieillesse, puis « En proie à la tristesse » du Comte Ory, une brillante exécution de la cabalette, où l’artiste s’adresse par moments au chef et remplace même un « cher Isolier » par « cher Enrique ». L’abattage est bien en place, mais l’aigu final n’est pas tenté ce soir. En bis, Fiorilla du Turco in Italia montre à nouveau de tout petits temps faibles soit pour l’intonation, soit pour une baisse de volume. Mais avec le deuxième et dernier bis, on peut considérer que la salle passe dans une autre dimension. Julie Fuchs nous indique qu’elle va interpréter une berceuse islandaise, qu’elle a entendue il y a une vingtaine d’années. La salle est plongée dans le noir, elle se déchausse, s’agenouille, et interprète a cappella cette ballade dans un rond de lumière, accompagnée par les musiciens à bouche fermée. Un moment unique, d’émotion de simplicité et de génie musical… merci ! (I.F., texte et photo)