Un artiste, trois casquettes
Qui ne connaît pas Jean-François Zygel, son énergie communicative, sa passion dévorante pour la musique, et sa volonté, inlassable, de partager, l’une et l’autre avec le plus grand nombre. Ces jours-ci, il sera dans le Vaucluse : vendredi 17 août 2018, il sera à Gordes pour un match d’impro, lundi et mardi à Viens pour de la musique sacrée, et le 28 il reprendra à la télévision sa mission de vulgarisateur de haut vol. Rencontre avec un « monsieur 100.000 pianos »…
-Jean-François Zygel, vous disiez l’an dernier aux Chorégies d’Orange, en amont de votre ciné-concert sur Le Fantôme de l’Opéra, que « improviser ne s’improvise pas ». Et je vous avais déjà interrogé il y a quelques années lorsque vous donniez un concert à Ménerbes dans le cadre des Musicales du Luberon.
-Oui, je me souviens de cette petite église.
-C’était l’époque où l’improvisation prenait son essor….
-L’improvisation a presque toujours existé. Moi-même j’ai toujours joué, toujours improvisé. J’ai bâti ma carrière sur l’improvisation. C’est une question d’image. Peut-être à ce moment-là ai-je été plus visible. Il est vrai que, pour moi qui donne 130 concerts par an depuis 10 ans, j’ai peut-être changé, en ce que je donne maintenant beaucoup plus de concerts à l’étranger. Et comme vous parliez des Chorégies, j’y reviendrai en 2019, avec un autre ciné-concert, sur le Faust de Murnao. Et beaucoup d’autres projets… Mais je préfère vous parler de mon actualité, notamment le concert donné pour le Rotary à Gordes : une bataille d’improvisation. Je fais venir 3 de mes élèves du CNSM, avec comme titre « Impro au cœur ». Savez-vous qu’autrefois presque tout le monde improvisait, dans la musique classique des XVII et XVIIIe siècles ? Avec des duels d’improvisation célèbres, comme celui de Mozart et Clementi à Vienne devant l’empereur; Mozart dit du mal de Clementi, mais c’est par pure jalousie, car Clementi était très doué, grand virtuose. Bach aussi a rivalisé d’improvisation contre Louis Marchand… et a gagné. Liszt également a mené des batailles de ce type contre divers protagonistes. Avant Liszt, il n’y avait pas de concerts d’interprétation, seulement de l’improvisation.
En fait c’est évidemment une joute musicale amicale. Moi-même j’en ai mené avec Gabriela Montero, la grande pianiste vénézuélienne, ou contre Chilly Gonzalès, ou Thomas Enhco… Vous trouvez tout cela sur Youtube, avec des millions de vues : c’est quelque chose qui passionne le public.
-Quelle a été la genèse de ce concert ?
-Yves Lucas (du Rotary Club de Gordes, ndlr) est venu me chercher. Ce sera un concert original, une démonstration entièrement festive.
-Huit mains, cela suppose jusqu’à quatre pianos ?
-Nous ne jouerons qu’à deux pianos, mais avec toutes les combinaisons possibles. Mais savez-vous que l’improvisation s’enseigne désormais ? Il ya des cours d’improvisation dans les conservatoires, même dans les petites écoles de musique. Moi-même j’ai créé il y a 15 ans ma première classe d’improvisation, mais aujourd’hui il y a partout de plus en plus de cours. C’est un atout considérable, ça « libère » toute la pratique musicale.
-Est-ce propre à la France, ou est-ce une tendance plus générale ?
-C’est surtout en France et en Angleterre.
-Comment, concrètement, allez-vous procéder à Gordes ? Vous partirez d’une note, d’un mot, d’une phrase, de vous-même, d’une proposition du public ?
-(rire) Nous ne le savons pas encore, mais tout est possible dans ce cadre. Nous demanderons sans doute au public. Le public adore « voir » la musique en train de se faire ; l’improvisation, en fait, c’est de la composition instantanée. J’ai diverses pratiques en ce domaine. Je vais dans des musées, pour mettre en musique des tableaux, ou des danseurs, ou des ciné-concerts, comme le ciné-concert que je donnerai l’an prochain aux Chorégies. Je joue un peu partout, à Monte Carlo également.
Je participerai aussi cette année au petit Festival Ferréo-folies, dans la très jolie petite chapelle Saint-Ferréol à Viens, en Vaucluse, les 20 et 21 août.
-Avec un programme bien différent de Gordes ?
-Totalement ! Je vais célébrer mes propres funérailles (rire) ! Je fais ma propre play list. C’est une fantaisie évidemment, que ce « Requiem imaginaire » (c’est son titre). Je joue le fantasme de mes propres funérailles. J’invente un rituel avec les plus grandes pages de la musique sacrée. Je serai avec le Chœur Spirito, l’un des meilleurs chœurs. Nous donnerons les plus belles pages de musique sacrée : Mozart, Purcell, Bach, Fauré… et j’alternerai au piano des improvisations, et même une œuvre de ma composition. Rendez-vous compte : le défunt joue ! C’est à la fois très fervent et très léger. Je commence même en m’excusant d’arriver en retard à mes propres funérailles (éclat de rire). Chaque belle page chorale sera entrecoupée d’improvisation pianistique, comme une sorte de méditation. Cinq siècles seront représentés, cinq langues, cinq religions, dont un codish en araméen.
-C’est une idée fort originale…
–Et il faudra signaler également ma prochaine émission, le 28 août, le retour de Zygel Académie. En fait, il y aura en quelques jours trois aspects de moi : à Gordes, l’improvisateur et le professeur d’improvisation ; à Viens, le soliste et le compositeur ; à la télévision, le vulgarisateur, mon métier. Dans les trois je me régale ! ». (Propos recueillis par G.ad.)
(Un autre entretien avec Jean-François Zygel, février 2018)