Toujours imprévisible, et talentueux
Vendredi 11 juillet 2025. Grand Théâtre de Provence. Festival d’Aix-en-Provence
Contre-ténor, Jakub Józef Orliński
Piano, Michał Biel
Johann Joseph Fux, Henry Purcell, Henryk Czyż, Luca Antonio Predieri, Mieczysław Karłowicz, Stanisław Moniuszko, Georg Friedrich Händel
Le contre-ténor Jakub Józef Orliński s’était révélé au public du Festival d’Aix-en-Provence en juillet 2017, d’abord dans la formidable Erismena de Francesco Cavalli donnée au Théâtre du Jeu de Paume, mais aussi et surtout vis-à-vis d’un plus large public, à l’occasion d’une émission enregistrée par France Musique. Invité à la dernière minute par la radio à venir chanter un air du Giustino de Vivaldi, le chanteur pose la question du code vestimentaire. « Venez comme vous êtes !» (… selon le slogan d’une célèbre chaîne de fast-food américaine…) et Orliński débarque, en cette journée de forte chaleur, en large chemise, bermuda et sneakers. La suite est aussi connue : le concert est filmé et fait le buzz sur internet, avec plus de 11 millions de vues à la dernière comptabilisation de mai 2024. Cet épisode a sans doute contribué à la starisation de l’artiste, qui fait le plein du Grand Théâtre de Provence ce soir, pour un récital accompagné par son fidèle pianiste Michał Biel.
Le programme est largement extrait de plusieurs de ses enregistrements réalisés pour le label ERATO, en équilibrant entre musique baroque et compositeurs polonais. On commence avec le rare Johann Joseph Fux (1660-1741) et l’extrait d’un oratorio « Non t’amo per il ciel » (« Je ne t’aime pas pour le Ciel »), avant d’enchaîner avec Henry Purcell (1659-1695), pour plusieurs airs : « If music be the food of love » (« Si la musique est la nourriture de l’amour »), « Sweeter than roses » (« Plus doux que roses »), « O, lead me to some peaceful gloom » (« Oh mène-moi vers ces ténèbres paisibles »), « Your awful voice I hear and obey » (« J’entends votre voix terrible et j’obéis »). Dans un registre qui évite l’extrême aigu, la voix se montre le plus souvent élégiaque, dans un silence très respectueux de la salle, avec par moments certaines notes enflées plus puissamment, tandis que ses qualités de souplesse lui permettent de passer sans encombre les quelques traits d’agilité. On fait ensuite un bond dans le temps en passant à Henryk Czyż (1923-2003) et ses trois mélodies de Pożegnania (Les Adieux), au contour plutôt dramatique.
On reste en majorité dans le répertoire polonais après l’entracte, avec dix mélodies de Mieczysław Karłowicz (1876-1909), suite de miniatures plus tristes les unes que les autres (« Ne me pleure pas », « Dans le silence », « Avant la nuit éternelle », …), puis deux airs du plus connu Stanisław Moniuszko (1819-1872). Pas spécialement gais non plus, ces deux extraits sont magnifiques, en particulier le premier « Łza » (Larme), chanté avec sentiment, entre graves en voix de poitrine et notes allégées, filées, avant le second « Prząśniczka » (« La Fileuse »), plus rapide comme le rouet qui tourne.
Luca Antonio Predieri (1688-1767) ouvre avant cela la seconde partie avec, pour rester dans les larmes, « Dovrian quest’occhi piangere » (« Mes yeux devraient pleurer »), bel air da capo où l’on apprécie plutôt les longues notes tenues sur le souffle que les vocalises. Georg Friedrich Händel (1685-1759) conclut le programme par un « Alleluja, Amen » (« Alléluia, Amen ») bien précis d’intonation pour gérer les grands intervalles. Les deux artistes accordent quatre courts bis, dont la célèbre « Cold song » de Purcell, toujours appréciée du public. Mais il manquait encore une petite performance de la part d’Orliński, par ailleurs danseur de break dance émérite… qu’à cela ne tienne, il effectue, à la surprise générale et comme à l’improviste, un saut périlleux arrière avant d’entamer l’un de ses bis… succès assuré auprès d’un auditoire déjà conquis !
I.F. & F.J. © Vincent Beaume
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