Voir aussi : Toute la saison chorégraphique de l’Opéra Grand Avignon
Ballet Issue, L’Autre Scène, Vedène, samedi 17 octobre 2020. Saison Opéra Grand Avignon
Chorégraphie, Eugénie Andrin (notre entretien ici). Scénographie et lumières, Roxane Garzelli-Ducruet. Musique, Tarik Benouarka
Danseuses, Jeanne Chossat, Marie-Pierre Génovèse, Morena Di Vico, Sophie Boursier, Delphine Pouilly, Manon Pizzardini, Eugénie Andrin
Production, Anthéa / Cie Eugénie Andrin. Soutiens : Ville d’Antibes, Espace Magnan, La Fabrique Mimont. Création Espace Magnan 26 et 27 mai 2017, Anthéa 30 et 31 mai 2017
Le 1er spectacle chorégraphique de la saison, « Issue », inspiré par les printemps arabes, confronte quatre danseuses de la Cie Eugénie Andrin à des portes suspendues et mobiles, images de notre condition. Avec notre entretien.
Des portes et quatre danseuses (six dans la version originelle, en 2017), dont la chorégraphe Eugénie Andrin. Des portes suspendues dans l’espace, toutes différentes comme le sont les danseuses, portes pleines, chambranles vides, que l’on pousse, frôle, empoigne, affronte, escalade avec désespoir, cajole comme une espérance…
Qu’on l’assortisse ou non d’une ponctuation (interrogation, exclamation, suspension), Issue est d’abord un régal pour les yeux. Un spectacle d’une parfaite beauté plastique, vibrant d’intelligence et de sensibilité, inventif et dense.
Jeux de lumière et partition musicale sont des composantes de grande qualité : variations subtiles, de la quasi-obscurité jusqu’à une aube radieuse, de la caresse cotonneuse à la clarté impitoyable ; de la multiplication agressive de sons indistincts à la plainte du violoncelle ou la fraîcheur limpide du piano… La voix même de la benjamine devient musique.
Inspiré par les chroniques d’un journaliste tunisien, Shiran Ben Abderrazac, écrites pendant les printemps arabes, Issue évoque, en évitant le double piège narratif et prosélyte, espoirs et désillusions. Né dans un contexte particulier, il exprime le renversement du tyran et le difficile apprentissage de la liberté, avec ses inévitables demi-ratages, pleins échecs et demi-succès.
Nous avons pris Issue de plein fouet dans un autre contexte, sombre, terrible, ignoble : l’assassinat d’un professeur d’histoire, la veille du spectacle, par un terroriste qui refusait tout simplement la liberté, celle de penser, de critiquer, voire de blasphémer. Immergés, alourdis par la plombante actualité, nous redoutions de recevoir au spectacle un autre coup de poing.
Miracle. Certes, l’inévitable rapprochement entre les deux contextes donne à cette Issue plus de force poignante. Néanmoins, parfois tragique, parfois souriant, ce spectacle Issue est toujours d’une insoutenable légèreté. Vigoureusement actuel et lumineusement universel. Les quatre danseuses, si différentes mais également talentueuses, sont habitées des mêmes envies, mues par la même énergie, utilisant les portes suspendues, comme paravent, barrière, planche de salut, voire escarpolette. Chaque infime mouvement des doigts, des pieds nus, des corps, s’inscrit dans des tableaux fluides d’une plasticité et d’une finesse exquises. Chacune des danseuses doit, pour se libérer du « tyran » et ouvrir des lendemains qui chantent, compter sur les autres et la dynamique collective ; mais elle doit aussi construire sa propre liberté en se libérant des autres, fussent-elles bienveillantes et proches.
Une heure intense et roborative qui aide à trouver en soi sa propre libération, sa propre « faculté de résilience », pour utiliser un terme qui brille depuis quelques mois au hit-parade du lexique branché.
Eugénie Andrin, qui fut danseuse soliste au sein du Ballet de l’Opéra Grand Avignon avant de fonder sa propre compagnie installée à Antibes depuis 2014, est régulièrement invitée sur tous les continents, mais revient régulièrement en terre vauclusienne (Opéra Grand Avignon, Chorégies d’Orange, Hivernales d’Avignon). De formation classique, elle est aussi profondément ancrée dans le monde contemporain. Avec ce projet Issue, créé en 2017, premier spectacle chorégraphique de la saison 2020-2021 de l’Opéra Grand Avignon, mené avec un compositeur algérien Tarik Benouarka, et une scénographe multiculturelle Roxane Ducruet, dans des couleurs sable du désert, Eugénie Andrin signe une œuvre intimement actuelle et totalement universelle, le combat de l’humanité, et de chaque homme, pour sa liberté, contre des portes qui ne cessent de se réinventer. Eugénie Andrin nous avait accordé un entretien quelques jours avant le spectacle.
Elle reviendra chorégraphier ses anciens camarades du Ballet de l’Opéra Grand Avignon dans L’Histoire du soldat, de Stravinsky, le 14 novembre, et elle nous parle déjà de ce projet (sous peu en ligne).
G.ad. Photos Roxane Ducruet & Laura Dievart
Laisser un commentaire