L’actualité a parfois des raccourcis troublants. Vendredi 12 août 2022, Salman Rushdie était poignardé lors d’une conférence aux Etats-Unis. Le lendemain soir samedi 13 août, dans le village vauclusien de Lacoste au cœur du Luberon, Isabelle Adjani, en clôture du Festival d’été fondé par Pierre Cardin il y a 21 ans, jouait son spectacle Le Vertige Marylin, l’histoire d’une étoile qui vacille.
Or en 1989, recevant le César de la meilleure actrice – césarisée également en 1984 et 2010 -, elle avait bousculé la cérémonie, de sa voix douce et son regard candide, regrettant de devoir alourdir l’atmosphère par la tragédie ; elle avait alors lu un beau texte défendant la liberté d’expression, artistique notamment : « la volonté, c’est de ne pas être d’accord, de ne pas se soumettre, de s’opposer », un texte signé de… Salman Rushdie. Quelques jours plus tôt, le 14 février 1989, l’ayatollah Khomeiny avait déclaré contre l’auteur de ces Versets sataniques une fatwa jamais levée depuis lors.
La vidéo, et les articles de presse d’alors, tout resurgit en ce moment, à la suite de l’agression de l’écrivain. Le hasard – même si quelqu’un a prétendu qu’il n’y avait jamais de hasard… – avait programmé Isabelle Adjani ce samedi 13 août 2022 en clôture du Festival Pierre Cardin à Lacoste. Et le hasard nous a placée sur les gradins des Carrières de Lacoste ce même soir.
A l’issue du spectacle, dans les Carrières du château du marquis de Sade – aujourd’hui propriété de la famille de Pierre Cardin – à Lacoste, nous avons pu échanger quelques mots très rapides en tête-à-tête avec l’actrice. Au simple nom de Salman Rushdie, son sourire a disparu. Visiblement très émue, après un long silence, elle n’a exprimé que quelques mots : « Il est difficile de dire ce que je ressens. Nous sommes tous choqués, bouleversés. Il se savait menacé, mais on ne peut pas toujours vivre comme si on était menacé ». Silence chargé, encore. En référence à son intervention d’il y a 33 ans, nous lui demandons si les artistes ont un rôle particulier dans le monde : « Sans le vouloir, oui, nous sommes des révélateurs (autre silence) … malgré nous ». Les propos tenus alors, les tiendrait-elle encore aujourd’hui ? « Bien sûr, sans hésitation ». Tout en ajoutant, esquissant un sourire : « Excusez-moi, je suis encore un peu au-dessus du sol après le spectacle. Je dois redescendre… » Elle a déjà été interrogée par quelques confrères, nous confirme-t-elle, et son émotion en dit plus long qu’une déclaration mûrement préparée.
G.ad. Photo Julien Hekimian
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