Au Festival d’Aix-en-Provence : deux Iphigénie, sinon rien !
Grand Théâtre de Provence, Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence (5 juillet 2024)
Iphigénie en Aulide & Iphigénie en Tauride, opéras de Christoph Willibald Gluck,
Direction musicale, Emmanuelle Haïm. Mise en scène et scénographie, Dmitri Tcherniakov. Costumes, Elena Zaytseva. Lumière, Gleb Filshtinsky. Dramaturgie, Tatiana Werestchagina
Corinne Winters (Iphigénie en Aulide), Russell Braun (Agamemnon), Véronique Gens (Clytemnestre), Alasdair Kent (Achille), Nicolas Cavallier (Calchas), Soula Parassidis (Diane), Lukáš Zeman (Patrocle), Tomasz Kumięga (Arcas)
Corinne Winters (Iphigénie En Tauride), Florian Sempey (Oreste), Stanislas de Barbeyrac (Pylade), Alexandre Duhamel (Thoas), Soula Parassidis (Diane), Tomasz Kumięga (Un Ministre, Un Scythe), Laura Jarrell (Une Prêtresse)
Le Concert d’Astrée, chœur et orchestre
Richard Wilberforce, Chef de chœur
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Monter Iphigénie en Aulide et Iphigénie en Tauride de Gluck en une même soirée est chose extrêmement rare et une performance, à la fois pour les artistes et les spectateurs ! Le Festival d’Aix-en-Provence franchit le pas, les deux opéras formant un spectacle de près de 5h30, dont un unique entracte d’une heure trente entre les deux ouvrages pour reprendre des forces ! C’est apparemment le format qui plaît au directeur du festival Pierre Audi, qui avait déjà programmé cette double affiche en 2011 lorsqu’il était à la tête de l’Opéra d’Amsterdam.
Dmitri Tcherniakov met en scène ce soir et nous avouons notre déception à l’issue du premier opus, Iphigénie en Aulide. L’action se déroule dans une maison dépouillée d’à peu près tout mobilier, vue en transparence, les personnages y vont et viennent, mais on cherche en vain les idées, les nouveautés, ainsi que la tension dramatique, un comble alors qu’Iphigénie a été condamnée au sacrifice… Où est donc passé le trublion supposé de la mise en scène d’opéra ? Les variations des lumières rendent les cloisons opaques ou transparentes, avec, souvent, la désagréable vision du spectateur à travers un petit grillage. Un excellent choix à signaler tout de même, celui d’habiller Diane à l’image d’Iphigénie, avec de surcroît une petite ressemblance vocale ; et c’est la déesse à qui l’on tranche la gorge finalement, soit le presque sosie d’Iphigénie, qui revient, elle, bien vivante.
La distribution vocale de cette première partie est bonne, mais avec ses limites, comme l’Agamemnon de Russell Braun, bon français et style volontaire, mais d’une présence vocale réduite, surtout dans la partie grave. En comparaison, les bien plus brèves interventions de Nicolas Cavallier en Calchas dévoilent une ampleur et une autorité plus importantes. Alasdair Kent (Achille) est un ténor élégant mais léger, voire en limite de stabilité dans ses moments les plus vindicatifs et aigus. Véronique Gens en Clytemnestre fait quant à elle très belle impression, grande bourgeoise qui retire ses bijoux et se démaquille, montrant son épanouissement vocal le plus spectaculaire au cours de son air « Dieux puissants… Jupiter, lance la foudre ! »
Les satisfactions sont plus grandes après l’entracte, en particulier sur le plan visuel. Si l’ossature de la grande demeure est toujours en place, on ne la perçoit que par son squelette, soit ses arêtes éclairées par moments de manière fluorescente. Nous sommes en temps de guerre dans cette scénographie en noir et blanc, la violence est prégnante, avec, malheureusement, des cris et râles de lutte qui polluent parfois l’écoute de la musique. Une réalisation visuelle cette fois bien en ligne avec le drame qui se déroule sur scène, mais sans non plus d’innovation particulière, ni grande originalité, même lorsqu’Oreste revit plusieurs fois l’assassinat de sa mère Clytemnestre, qui converse gentiment au téléphone portable, allongée sur son lit.
La distribution vocale est supérieure à celle de la première partie, avec la présence de trois formidables chanteurs français, actuellement en pleine possession de leurs moyens. Le baryton Florian Sempey compose ainsi un Oreste le plus souvent halluciné, qui tourne parfois comme un fauve en cage, projetant sa voix avec vigueur, où la colère passe la majeure partie du temps. Le ténor Stanislas de Barbeyrac dispose en Pylade d’un instrument large et sait varier le style en passant quelque aigus en voix mixte. Puis en Thoas, Alexandre Duhamel fait très forte impression, développant avec une folle énergie une voix pleine de santé… et de décibels !
Rare prouesse, c’est Corinne Winters qui enchaîne les deux Iphigénie au cours de la même soirée. Sa diction est de bonne qualité et le chant soigné, l’interprète ne montrant d’ailleurs aucun signe de fatigue à l’issue du deuxième ouvrage. Ses airs sont chantés avec musicalité, d’une voix assez homogène sur la tessiture, mais peu d’émotion s’en dégage, comme par exemple au cours de son air « Ô malheureuse Iphigénie ».
Grande triomphatrice de l’entreprise, Emmanuelle Haïm remporte une ovation bien méritée, qu’elle partage avec ses musiciens et choristes de la formation Le Concert d’Astrée. La formation orchestrale d’essence baroque ménage un précieux équilibre avec les solistes sur le plateau, et l’on apprécie sans relâche sa musique dynamique, aux couleurs et nuances variées.
IF © Monika Rittershaus
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