Parc du Château de Florans, 13 et 14 août 2023. Festival International de Piano de La Roque d’Anthéron (site officiel)
Orchestre Consuelo. Victor Julien-Laferrière, direction
Adam Laloum, piano (concerto n° 1). Marie-Ange Nguci, piano (concerto n° 2)
Dimanche 13 août, 20h
J. Brahms, Sérénade pour orchestre n° 2 op. 16. J. Brahms, Concerto pour piano et orchestre n° 1, op. 15
Lundi 14 août, 21h
J. Brahms, Sérénade pour orchestre n° 1 op. 11. J. Brahms, Concerto pour piano et orchestre n° 2 op. 83
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Des interprètes convaincants, des solistes impériaux
Ce sont encore deux concerts d’exception, avec cette intégrale des concertos pour piano de Brahms, que nous a offerts le Festival de La Roque d’Anthéron. L’idée était bonne d’associer les deux sérénades aux deux concertos et plus particulièrement au premier, les compositions se situant dans une même période. Le premier concerto fut en effet composé entre 1854 et 1858, alors que la sérénade n° 1 était d’abord écrite pour 9 instruments (1 flûte, 2 clarinettes, 1 basson, 1 cor, quatuor à cordes) en 1857 avant d’être orchestrée en 1859, année également de la composition de la sérénade n° 2.
La sérénade n° 1, dans sa version pour orchestre, avec timbales, mais des cuivres limités aux deux trompettes et surtout aux quatre cors qui imposent leur présence tout au long de l’œuvre, approche la symphonie. Brahms, toutefois, inhibé par l’héritage beethovenien, en particulier la 9ème symphonie (1824), n’abordera le genre que bien plus tard, en 1876, date de création de sa première symphonie, après 14 ans de maturation, symphonie qui aura ainsi été travaillée en même temps que la révision de la Sérénade n° 2 (1875). Le concerto n° 2, lui, ne sera composé qu’en 1878-1881.
Pour ces raisons, j’aurais plutôt attendu un programme associant concerto n° 1 et sérénade n° 1, puis concerto n° 2 et sérénade n° 2, comme cela était d’ailleurs indiqué dans le programme général.
S’agissant de programme, dommage que la présentation de la sérénade n° 2 ait été oubliée dans les feuilles « de salle » distribuées au public du 13 août : c’eût été une aide précieuse pour l’écoute d’une œuvre moins fréquemment donnée que son aînée. A côté de la présentation des interprètes, une analyse rapide des œuvres serait bienvenue pour chaque concert, sans multiplier pour autant les documents… et en évitant peut-être les QR codes que tous les spectateurs n’ont pas les moyens de lire !
Mais ne boudons pas notre plaisir, car plaisir il y a eu ! D’abord, la découverte du jeune Orchestre Consuelo, dirigé par son créateur (2019), le violoncelliste Victor Julien-Laferrière qui, en l’occurrence, a fait preuve d’un réel talent de chef d’orchestre. Gestuelle posée, précise, sans mouvements excessifs, il a su maintenir ses musiciens sous tension, sans aucun temps de relâchement, dans des interprétations alliant puissance, énergie ou délicatesse, dans une approche maîtrisée des nuances et de la dynamique.
L’Orchestre Consuelo, initialement nommé « Orchestre des Amis de Brahms », ce qui se comprend aisément vu le programme proposé, a tiré son nom de celui d’une héroïne, une cantatrice, d’un roman éponyme de George Sand, elle-même une romancière proche des milieux musicaux. Un double parrainage musical, en quelque sorte, pour porter chance à cette toute jeune formation. On ne s’étonnera pas, non plus, de noter que son premier disque enregistré, sorti en janvier 2023, soit consacré aux deux sérénades de Brahms. Dans l’interprétation des œuvres données lors de ces deux soirées de son compositeur-fétiche, il a paru investi, concentré, attentif, équilibré, avec des pupitres irréprochables. Son engagement a été tel qu’il a fallu quelquefois réaccorder les instruments entre deux mouvements. Sur scène, il était disposé de la façon qui tend à se développer actuellement, de gauche à droite en regardant de face : 1ers violons, violoncelles, altos, 2nds violons ; contrebasses en position habituelle.
Les deux sérénades de Brahms, orchestrées pratiquement dans la même année, sont pourtant d’esprit bien différent. Si la première, la plus connue et jouée, avec son quatuor de cors et ses 6 mouvements, est conçue pour un orchestre quasi complet, la seconde, en 5 parties, est écrite pour un orchestre plus léger, de 25 musiciens (6 violons, 5 violoncelles, 3 contrebasses, les bois par deux, 1 piccolo et 2 cors).
La première sérénade, à l’orchestration plus dense, et par son caractère et ses thèmes, est la plus populaire avec un allegro enjoué et festif (qui me rappelait quelque peu la future Ouverture pour une fête académique, de 1880), un scherzo plus inquiet, peut-être, mettant en valeur la belle sonorité et homogénéité des cordes, un adagio ample, secret et méditatif, des menuets légers, un scherzo vif et engagé, un rondo allegro festif, alerte, véritable galop. Et les cors participent au charme de cette œuvre. Fait peu habituel pour une première partie introductive d’un concert, le public se montra particulièrement emballé à la suite de son écoute.
La sérénade n° 2 accroche moins, les bois sont plus dominants, les thèmes moins précis. Elle suit le même plan que la première, 2ème scherzo en moins. J’en aurai quand même retenu un adagio d’une belle intensité et un joli final (rondo allegro) avec son jeu entre les cordes et les vents et l’intervention du piccolo.
Les concertos de Brahms sont de véritables monuments que les interprètes et solistes ont su prendre victorieusement à bras-le-corps. Adam Laloum s’est chargé du premier. L’attaque, à l’orchestre, est énergique, puissante, comme un moment de révolte. Elle était peut-être, dans le cas présent, un peu trop brutale. Pour le reste, les interprètes et le soliste ont parfaitement assumé, ensemble bien en place, masses orchestrales équilibrées, ne couvrant jamais le piano, même dans les fortissimi. Disposant d’un piano Steinway, à la belle sonorité, Adam Laloum a fait preuve de son intelligence de jeu, maîtrisant les nuances, du forte aux passages les plus délicats, fougue et retenue, jusqu’à l’introspection, notamment dans l’adagio, mené avec grâce et douceur, preuve aussi de sa virtuosité, surtout dans l’allegro final avec ses doigts courant sur le clavier.
Le public ne pouvait que manifester bruyamment son enthousiasme, obtenant en premier bis l’Intermezzo op. 118 n° 2 du même Brahms, beaucoup plus calme, rêveur et pensif. Mais à l’issue – spectacle inédit pour moi ! -, l’orchestre se leva, se congratula, se préparant à sortir de scène, alors que le public réclamait toujours intensément l’artiste, ce qui poussa les musiciens à se rasseoir et permit à Adam Laloum de donner un deuxième bis, également calme et méditatif, le Moment musical op. 94 n° 2, de Schubert. Ovations encore, puis le pianiste, l’orchestre n’osant plus bouger, donna lui-même le signal du départ en fermant le couvercle du clavier. Le mouvement de départ tenté par l’orchestre l’était-il en accord avec l’artiste, qui aurait souhaité raccourcir le temps d’applaudissements ? Excès d’humilité ou avait-il une autre obligation en attente ? Quoi qu’il en soit, ce fut ressenti comme inélégant de la part de l’orchestre envers le pianiste et le public.
Le concerto n° 2 était confié à Marie-Ange Nguci, ancienne élève du très regretté Nicholas Angelich, et maintenant devenue une habituée du Festival de La Roque d’Anthéron. Elle aussi a pu mettre en évidence tout son talent. Doigté agile, net, précis, puissant ou délicat, elle s’est montrée totalement habitée par l’œuvre. Elle avait choisi un piano Fazioli, d’une belle sonorité également. L’orchestre, fougueux, énergique ou plus doux et discret a été un excellent partenaire, quoique pouvant légèrement couvrir le piano dans certains passages fortissimo. Dans le 3ème mouvement (andante), le violoncelle a fait valoir un joli chant qui en fit presque oublier le piano qui l’accompagnait tout en douceur.
Une ovation enthousiaste a bien sûr salué cette interprétation et l’ensemble des musiciens, Marie-Ange Nguci offrant volontiers au public trois bis, devant un orchestre qui, cette fois, ne bougea pas. Le premier était un extrait de la partie de piano du Concerto pour la main gauche de Maurice Ravel, mettant en évidence une belle dextérité ; le deuxième, extrêmement virtuose et endiablé, maîtrisé avec brio, l’étude n° 6 de l’opus 111 de Camille Saint-Saëns, Toccata d’après le 5ème concerto (L’Egyptien) ; le troisième enfin d’un tout autre genre et d’une autre époque, lent, méditatif et introverti, le Tombeau sur la mort de Monsieur Blancheroche FbWV632 de Froberger (1616-1667), une façon, peut-être, d’indiquer la fin du concert.
Un bon point dans tout cela, aucun applaudissement intempestif entre les mouvements, et belle réussite, en tout cas, que l’ensemble de ce cycle.
B.D. Photos Valentine Chauvin
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