Un « opératorio » intéressant, mais qui ne bousculera pas le Festival
Il Viaggio Dante, opéra de Pascal Dusapin, Festival d’Aix-en-Provence, au Grand Théâtre de Provence (13-07-2022)
Direction musicale, Kent Nagano. Mise en scène et Chorégraphie, Claus Guth. Décors, Étienne Pluss. Costumes, Gesine Völlm. Lumière, Fabrice Kebour. Vidéo, rocafilm. Dramaturgie, Yvonne Gebauer. Dispositif électroacoustique, Thierry Coduys
Jean-Sébastien Bou (Dante) ; Evan Hughes (Virgilio) ; Christel Loetzsch (Giovane Dante) ; Jennifer France (Beatrice) ; Maria Carla Pino Cury (Lucia) ; Dominique Visse (Voce dei dannati) ; Giacomo Prestia (Narratore)
Chœur et Orchestre de l’Opéra de Lyon
Création mondiale d’Il Viaggio, Dante, au festival d’Aix-en-Provence : intéressante partition de Pascal Dusapin et riche spectacle réglé par Claus Guth, qui emprunte toutefois régulièrement à l’esthétique du cinéaste David Lynch.
Après la création de Passion en 2008 au théâtre du Jeu de Paume, le compositeur Pascal Dusapin (né en 1955) propose un ouvrage d’encore plus grande ampleur, autour de Vita Nova et la Divine Comédie de Dante, mis en scène cette fois au Grand Théâtre de Provence. Au cours du livret en sept tableaux de Frédéric Boyer, on avoue avoir perdu un peu le fil lors du quatrième, « Les neuf cercles de l’enfer », plutôt ésotérique et interminable, qui dure à lui seul un large tiers des deux heures de la représentation donnée sans entracte. Jusqu’ici pourtant tout allait bien, le Narrateur – la basse Giacomo Prestia reconverti ce soir en diseur – intervenant au micro avec une voix posée et inquiétante. Un beau film nous montre un accident de voiture dans la forêt, Dante en sort ensanglanté et passe du film au plateau. Le rôle est tenu par le baryton Jean-Sébastien Bou, en scène quasiment tout du long, parfois un peu en inconfort dans sa partie chantée, tendue dans le registre le plus aigu et discrète dans le grave. L’artiste est en tout cas décidemment très sollicité dans la création contemporaine, après sa participation à Shirine de Thierry Escaich, à l’Opéra de Lyon en mai dernier. Le personnage est doublé par un Dante jeune, en costume et non pas selon l’iconographie habituelle – bonnet, sous-bonnet, couronne de laurier -, rôle défendu par la belle mezzo au timbre sombre Christel Loetzsch.
La mise en scène de Claus Guth est spectaculaire et bien en ligne avec la musique, même si de nombreuses images énigmatiques nous rappellent énormément les films de David Lynch, et plus précisément sa fameuse série Twin Peaks d’il y a trente ans : costume à paillettes du Narrateur, figure de femme blond platine au sourire figé, petites filles jumelles étranges, robe rouge de Béatrice, hauts rideaux cernant la scène, etc. De beaux tableaux donc avec un long voyage qui passe par l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis, mais une impression récurrente de déjà-vu.
La distribution vocale comprend également deux sopranos au chant puissant et tendu, Jennifer France en Beatrice, qui s’exprime parfois depuis le dernier balcon de la salle et Maria Carla Pino Cury en sainte Lucie, personnage très agité, voire comme possédé par moments, qui doit affronter une ligne colorature suraiguë. Le volume de la basse Evan Hughes en Virgile est curieusement trop réduit dans l’extrême grave – alors que l’ancien contre-ténor Dominique Visse complète la distribution en Voix des damnés, par ses interventions parlées, voire criées par séquences.
On reconnaît la musique de Pascal Dusapin, une ligne continue légère ou enrichie d’une orchestration plus conséquente, incluant certains climax aux percussions déchaînées. Très peu de silences dans cette écriture très linéaire, la partition n’hésitant pas à exploiter par ailleurs toutes les possibilités de la voix humaine en termes d’écarts et d’excursion des parties graves et aiguës. L’orchestre de l’Opéra de Lyon est dirigé par Kent Nagano, spécialiste des répertoires des XXème et XXIème siècles, pendant que les choristes sont invisibles du public, chantant depuis les profondeurs de la fosse d’orchestre.
Au bilan un intéressant « opératorio », comme le défini le compositeur, mais qui ne met pas en cause l’ordre établi des dernières créations au Festival d’Aix-en-Provence, en tête Written on Skin de George Benjamin (2012) ou encore Innocence de Kaija Saariaho l’année dernière dans ce même Grand Théâtre de Provence.
I.F. Monika Rittershaus
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