Un bon Rossini rondement mené, chaleureusement applaudi… mais n’avait-on pas de distribution française disponible ?
Vendredi 3 mars, 20h. Dimanche 5 mars, 14h30. Durée du spectacle 2h40 (ou 2h55 ?). Opéra Grand Avignon
Il Turco in Italia. Opéra-bouffe en deux actes de Gioachino Rossini, livret de Felice Romani. Création à Milan le 14 août 1814. Opéra chanté en italien, surtitré en français
Direction musicale, Miguel Campos Neto. Mise en scène, Jean-Louis Grinda. Décors, Rudy Sabounghi. Costumes, Jorge Jara. Lumières, Laurent Castaingt. Vidéos, Gabriel Grinda et Julien Soulier. Etudes musicales, Bertille Monsellier
Selim, Guido Loconsolo. Fiorilla, Florina Ilie. Don Geronio, Gabriele Ribis. Don Narciso, Patrick Kabongo. Prosdocimo, Giovanni Romeo. Zaida, Josè Maria Lo Monaco. Albazar, Blaise Rantoanina. Figurants, Raphaële Andrieu, Anne-Sophie Roux
Chœur de l’Opéra Grand Avignon. Cheffe de chœurs : Aurore Marchand
Orchestre national Avignon-Provence
Production de l’Opéra de Monte-Carlo, janvier 2022
Voir aussi toute la saison 2022-2023 de l’Opéra Grand Avignon
Si le bateau à voiles qui vogue, immobile, sur une mer de toiles noires mouvantes ne peut se comparer à l’immense proue d’un Chanteur de Mexico de référence sur cette même scène, son escale à Avignon a été néanmoins fort appréciée.
Les classiques du répertoire sont assurés de remplir la salle, et même de refuser du monde : ce Turco in Italia l’a prouvé. C’eût été un spectacle bienvenu pour les fêtes de fin d’année, en proposant à une autre date de la saison une Sérénade que les curieux auraient eu alors grand plaisir à découvrir.
Le Turc en Italie (Il turco in Italia) est le 3e volet d’une sorte de triptyque de « turqueries italiennes » de Rossini, après La pietra del paragone et L’Italiana in Algeri. D’où une impression de déjà vu, déjà entendu, lors de la création à la Scala en 1814. Néanmoins, cet opéra bouffe, léger et parfois virtuose même si aucun des airs n’est vraiment passé à la postérité – sauf peut-être le début de l’ouverture, réutilisé plus tard par le compositeur dans son opera seria Otello -, explore joliment les rapports humains notamment amoureux.
Le sujet : un poète napolitain du XVIIIe siècle, Prosdocimo (baryton), raconte une histoire telle qu’il en fleurit autour de lui. Sélim un Turc, évidemment riche et séduisant (baryton), est aimé de Zaida, une bohémienne possessive, ex-pensionnaire de son harem (mezzo-soprano), et de Fiorella, une jeune dame napolitaine (soprano) ; mais Narciso, le soupirant de la première (ténor), et Geronio, le mari de la seconde (basse), ne l’entendent pas de cette oreille. Les épisodes, enlèvements et rebondissements, bal masqué et faux divorce, se succèdent, s’enchevêtrent, se bousculent…
Depuis la crise sanitaire, en deux ans il semble qu’un vent de turquerie souffle en Europe, avec des « Turcs » rossiniens montés dans diverses maisons d’opéra.
Cette production-ci avait été créée par Jean-Louis Grinda en janvier 2022 à l’Opéra de Monte Carlo dont il allait passer la direction quelques mois plus tard à Cecilia Bartoli… qu’il mit alors en scène en Fiorella (voir un extrait). Cecilia Bartoli succédait ainsi, sur d’autres scènes, à Maria Callas à la Scala (1954) puis à Montserrat Caballé (CD 1985 puis 1992).
S’il est vrai que le rôle de Fiorilla la Napolitaine coquette est un vrai pivot de l’action et de la couleur du Turc in Italia, centre et enjeu du chassé-croisé entre les 3 hommes et les 2 femmes, Fiorina Ilie assurément n’a pas démérité, malgré une indisposition tenace, nous l’apprendrons plus tard. Vocalement moins pugnace que ses illustres aînées, Callas, Caballe, ou Cécilia Bartoli il y a tout juste un an à Monte Carlo, elle a développé une jolie ligne de chant, un phrasé plein de souplesse et de vélocité, capable de damer le pion à tout interlocuteur. Le rôle-titre Sélim composé par Guido Loconsolo, à l’image d’Usbeck et Rica chez Montesquieu, promène sa joyeuse insouciance de Fiorilla à Zaida, et le grain précis du timbre se glisse avec une belle fluidité, à défaut de puissance, dans toutes les nuances des situations. La piquante mezzo italienne José Maria Lo Monaco en Zaida, seule voix restante de la création monégasque, et que l’on a déjà entendue à Avignon, passe avec naturel de l’amour déçu à la fureur, du dépit amoureux… Narciso (le fougueux Patrick Kabongo), qui courtise Fiorilla avec des succès fluctuants, a fait éclater l’applaudimètre par un timbre insolent, et une gouaille insolemment jubilatoire. Sans doute les autres voix masculines (Gabriele Ribis en Don Geronio le mari berné ; Giovanni Romeo en Prosdocimo le faux dramaturge pirandellien) n’ont-elles pas crevé les planches, mais le plateau international a été très applaudi (au fait, n’avait-on pas en France des voix idoines ?), ainsi que les chœurs de l’Opéra, menés eux aussi tambour battant.
La joyeuse mise en scène de Jean-Louis Grinda fait pétiller, dans cette narration en abyme très croquignolette, un orientalisme de bon aloi, avec l’exotisme des costumes magnifiquement colorés de Jorge Jara sublimés par les lumières toujours exquises de Laurent Castaing. Des éléments de décor descendent des cintres et y remontent, des tapis roulants accompagnent les entrées/sorties, un praticable en surplomb autour de la fosse d’orchestre abolit la distance scène/salle, et la vidéo – dont l’éruption du Vésuve – donne a minima une agréable profondeur de champ. Je lui suppose une belle homogénéité, mais j’en reste aux hypothèses pour la 1e partie, ma place me privant d’une bonne moitié de la scène…
La chaleureuse complicité du jeune chef Miguel Campo Neto insuffle à l’orchestre une énergique allégresse et toute la chaleur de l’âme latine : Avignon l’a déjà accueilli dans un concert symphonique avec l’Onap en mars 2019, en avril 2022, en juin 2022, dans des opéras (Cavalleria rusticana en 2020). La partition presque mozartienne de ce plaisantin de Rossini s’envole ainsi avec une légèreté véloce dans les duos, trios et autres ensembles, où chacun trouve son compte : si Rossini n’est sans doute pas, comme le souligne le metteur en scène, le plus grand compositeur de l’Histoire, pour autant il est « sans aucun doute […] le plus intelligent ».
Avec une intrigue en chassé-croisé rondement mené, une production tout en mouvement et en allégresse, baignée dans l’efficace partition rossinienne, voilà une recette réussie…. pour un compositeur qui préférait, dit-on, la cuisine à la musique !
G.ad. Photos Alain Hanel, Monte Carlo (OMC)
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