Vero, un Barbiere di qualità à Cinecittà
Il Barbiere di Siviglia. Mardi 31 juillet, théâtre antique d’Orange. Durée 2h25.
Mélodrame bouffe en 2 actes. Musique de Gioachino Rossini (1792-1868)
Livret de Cesare Sterbini, d’après la comédie Le Barbier de Séville ou La Précaution inutile de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
Création : Rome, Teatro Argentina, 20 février 1816
Direction musicale, *Giampaolo Bisanti ; mise en scène, *Adriano Sinivia ; décors, Enzo Iorio & Adriano Sinivia ; costumes, Enzo Iorio ; éclairages, Patrick Méeüs ; vidéos, *Gabriel Grinda
Comte Almaviva, *Ioan Hotea ; Don Bartolo, Bruno De Simone ; Rosina, *Olga Peretyatko ; Figaro, Florian Sempey ; Don Basilio, *Alexeï Tikhomirov ; Berta, Annunziata Vestri ; Fiorello, *Gabriele Ribis ; Ambrogio, Enzo Iorio
Orchestre national de Lyon
Chœurs des Opéras d’Avignon et de Monte-Carlo
Coproduction Opéra de Lausanne
Vrais figurants ou faux techniciens… Rossini le facétieux eût apprécié ce Barbier festif, original. Un Barbier sur un plateau de Cinecittà dans les années 50. Avec la verve italienne (un plateau majoritairement péninsulaire), la gouaille des interprètes, et la fraîcheur qui devait être celle des (presque) débuts du cinéma. Un Barbier – le croirait-on ? – jamais joué au théâtre antique.
Voilà pas moins d’un orchestre de 30 musiciens s’extirpant – feignant de s’extirper – d’une Fiat 500. Un Figaro « crevant l’écran » dans une entrée spectaculaire sur une Vespa ; succès garanti ! Clapman, scripte tenant son scénario, perchman, camion de régie, changements d’éléments de décor à vue… Il eût fallu avoir l’œil partout, pour ne rien perdre de toutes les mini-saynètes, malicieuses, qui se jouaient d’un bout à l’autre de la scène.
Une telle production ne peut être que porteuse pour les artistes. Choristes – venus d’Avignon et de Nice -, solistes, orchestre, se sont immergés avec plein engagement.
Si Florian Sempey a évidemment dominé l’ensemble de la production, c’est en imposant magistralement sa présence généreuse, sa voix ronde, charpentée et impeccablement posée, son charme, son sens de la fantaisie, et… ses talents de guitariste ! Le rôle de Figaro (celui de Marseille cet hiver était déjà son 8e Barbier), lui est devenu comme une seconde nature. A peine trentenaire, le jeune baryton a inscrit en quelques années son nom à côté des plus grands, et il était déjà un talent très prometteur lorsque je l’avais interviewé en avril 2016 à l’Opéra Grand Avignon ; il incarnait Enrico, le frère, dans Lucia de Lammermoor, et ne rêvait de rien d’autre que de devenir Figaro… Deux ans plus tard, Figaro l’accompagne avec maestria sur diverses scènes du monde.
Figaro n’écrase pas pour autant le comte Almaviva. Le jeune ténor roumain (28 ans) Ioan Hoteau, à la voix plus légère que l’Américain Michaël Spyres souffrant qu’il a remplacé au pied levé, campe un Almaviva convaincant, tant en amoureux transi que dans la fantaisie de ses divers déguisements (Lindoro, Alonso). En Rosine, la soprano Olga Peretyatko, lauréate du prestigieux concours Operalia de Placido Domingo, incarne bien la complexité de son personnage, sa rouerie naïve, son impertinente ingénuité, après une attaque vocale hésitante du premier aria « Una voce poco fa » ; dans sa ligne de chant, solide et ample, les aigus triomphants n’ont pas effacé les médiums colorés. Je penche néanmoins pour la version « mezzo » de Rosine, comme la somptueuse Stéphanie d’Oustrac à Marseille cet hiver, mais qui suppose, elle, un Almaviva beaucoup plus consistant.
Pour morigéner la jeune pupille, le baryton napolitain Bruno De Simone, rossinien de longue date (il a reçu le Rossini d’Oro en 2007 pour divers rôles, dont celui de Bartolo) prête au barbon, pour la 49e fois, sa suspicion grimaçante, et sa dignité jusque dans ses excès mêmes.
La désopilante Annunziata Vestri (Berta), qui visiblement se régale, et Enzo Iorio (Ambrogio) apportent leur grain de sel comique, tirant l’œuvre vers l’opera buffa, sans exagération ni emphase.
En revanche le grand air de la calomnie ne restera pas dans les mémoires : Alexeï Tikhomirov, pourtant familier des beaux rôles de basses dans l’opera seria, et qu’on devrait revoir bientôt en Sparafucile (Rigoletto) à Marseille, n’a pas trouvé le ton juste ; plus comique que grinçant, hésitant visiblement entre seria et buffa, il manquait totalement de cette vigueur terrible, de cette tension dramatique qui donne à l’œuvre un arrière-plan redoutable et laisse poindre le mal sous la farce.
Les vidéos du jeune Gabriel Grinda (29 ans) dès le générique en forme de clin d’œil, ont magnifiquement éclaboussé le grand mur antique – mais avec une parcimonie jubilatoire -, de lumières, de couleurs, soulignant le choix cinématographique du metteur en scène Adriano Sinivia, qui jouait sur le plateau son propre rôle.
Les chœurs mâles d’Avignon et Nice ont fait honneur à leurs chefs de chant respectifs Aurore Marchand et Stefano Visconti.
La qualité de l’Orchestre national de Lyon, engagé en lieu et place de l’Orchestre national de France initialement prévu mais indisponible, entre pour une bonne part dans le succès de l’ensemble, sous la baguette allègre du jeune et brillant Milanais Giampaolo Bisanti, attentif au moindre détail, dans un rythme soutenu.
On pourrait seulement regretter que le parti pris originel, et original, de cette production ne soit pas davantage exploité tout au long des 2h30. Du moins celle-ci n’a-t-elle guère semblé souffrir de la canicule (« c’est le métier », nous disait en riant Florian Sempey le lendemain), alors que les gradins s’éventaient à qui mieux mieux, et qu’une ironie cinglante vantait, sur les écrans de surtitrage, les bienfaits des climatiseurs, un soir où le mercure affichait 35° à 21h et encore 27° à 1h du matin ! (G.ad. Photos Philippe Gromelle, http://grandangle84.fr/ )