Intelligence et inventivité
Opéra de Marseille
Opéra en 5 actes et 7 tableaux d’ Ambroise THOMAS. Livret de Jules BARBIER et Michel CARRÉ, d’après le drame de SHAKESPEARE.
Création à Paris, Académie Impériale de Musique (Salle Le Peletier), le 9 mars 1868. Dernière représentation à l’Opéra de Marseille, le 6 juin 2010
Direction musicale, Lawrence FOSTER ; mise en scène, Vincent BOUSSARD – Scénographie Vincent LEMAIRE ; costumes Katia DUFLOT ; lumières, Guido LEVI
Ophélie, Patrizia CIOFI ; Gertrude, Sylvie BRUNET-GRUPPOSO
Hamlet, Jean-François LAPOINTE ; Claudius, Marc BARRARD ; Laërte, Rémy MATHIEU ; Le Spectre, Patrick BOLLEIRE ; Marcellus, Samy CAMPS ; Horatio, Christophe GAY ; Polonius, Jean-Marie DELPAS ; 1er fossoyeur, Antoine GARCIN ; 2nd fossoyeur, Florian CAFIERO
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Coproduction Opéra de Marseille / Opéra National du Rhin
Les quatre représentations seront dédiées au baryton Bernard IMBERT, qui devait interpréter le rôle d’Horatio, disparu le 2 juillet dernier.
La jalousie est un vilain défaut et le très wagnérien Chabrier aurait pu se dispenser de sa célèbre phrase assassine : « Il y a 3 musiques : la bonne, la mauvaise et celle d’Ambroise Thomas ». Si effectivement cette musique n’entre pas totalement dans la pure tradition de cette fin du XIXème siècle, elle n’en est pas moins inventive. Elle possède également de très belles arias très populaires, souvent reprises dans des airs de concert comme «Ne doute jamais de mon amour», «Je t’implore oh mon frère » ou l’air de Willis. Heureusement, Georges Bizet en 1870, soit 12 ans après sa création, est venu au secours d’Ambroise Thomas en affirmant que son opéra était un chef-d’œuvre, permettant ainsi à Hamlet d’être accueilli chaleureusement sur les scènes internationales. De nos jours, après une longue période de sommeil, l’Opéra de Marseille l’a réveillé en 2010, suivi la saison passée par l’Opéra du Grand Avignon. Cette production se trouvera aussi sur la scène de Lausanne en 2017.
Pour cette reprise marseillaise, Lawrence Foster devait diriger l’ouvrage. A la suite d’une indisposition le jour de la répétition générale, c’est son assistant Victorien Vanoosten qui l’a remplacé au pied levé et ce avec beaucoup de talent. Lawrence Foster, dont on connaît la gentillesse et le charisme, lui a laissé la baguette pour cette représentation du 29 septembre. A l’ouverture Victorien Vanoosten est apparu ému et quelque peu tendu sur sa partition ; il n’a pas tardé à entrer pleinement dans l’ouvrage et c’est avec beaucoup de fougue et d’intelligence qu’il a pris en main orchestre, chœurs et solistes dans une direction souple, ample et vigoureuse, sachant équilibrer la puissance sonore entre fosse et plateau. Un nom à retenir et certainement une carrière prometteuse, en tout cas une belle ovation au salut final.
Vincent Boussard n’a pas apporté de changements notoires à la mise en scène élégante qu’il avait créée ici en 2010 ; elle reste dépouillée et il s’éloigne toujours de la didascalie en situant l’œuvre en un lieu unique où les murs d’un brillant froid contribuent à donner cette atmosphère glaciale qui domine tout l’opéra. On peut reprocher une scénographie parfois éloignée du texte, tel le duo d’amour entre Hamlet et Ophélie où les tourtereaux se tiennent certes par la main mais sans se regarder. De même les acteurs traversent trop souvent la scène en coup de vent sans que l’on en comprenne la raison. Il reste tout de même à souligner des idées fortes représentées, par exemple par la boue noire qui envahit le bas des murs de la pièce et qui décrit fortement la noirceur des personnages. Egalement le grand cadre qui se transforme en miroir, portrait ou apparition. Comment comprendre la descente au mur du spectre avec sa voix amplifiée ou le suicide d’Ophélie dans sa baignoire : originalité du metteur en scène ou intention inventive plus ou moins bien reçue par le public ?
Quant aux chœurs, au fur et à mesure des représentations à Marseille on sent que sous la direction d’Emmanuel Trenque ils prennent de la consistance et de la cohésion ; on se souvient qu’il n’y pas si longtemps, certaines sopranos essayaient de rivaliser avec les divas !
La distribution nous a permis d’entendre un superbe Hamlet en la personne de Jean-François Lapointe dont la révolte vengeresse mais qui répugne à verser le sang s’exprime par une projection vocale qui part vers l’infini. Sa voix de baryton lyrique puissante et claire lui permet d’exprimer avant la chute finale du rideau la solitude d’un homme qui devient roi mais qui a tout perdu. Gertrude est magnifiquement interprétée par Sylvie Brunet-Grupposo ; son timbre coloré de mezzo dramatique donne toute l’ampleur du traumatisme qu’elle vit en tant qu’assassin de son mari et de la crainte d’être découverte comme meurtrière par son fils auquel elle voue un amour fusionnel. Dans le duo/duel avec son fils « mensonge cruel ! Ah je tremble à mon tour » de l’acte III, la violence de cette confrontation éclate de façon éblouissante ; les deux protagonistes par leur puissance persuasive qui brille rendent ce moment intense. Patricia Ciofi (Ophélie) est toujours chaleureusement appréciée ; sa sensibilité, son sens de la dramaturgie, sa manière de saisir d’un seul coup une note aiguë, ses vocalises font oublier un médium qui manque d’ampleur tant il est étouffé. Marc Barrard dont la stature et la voix collent au personnage à la fois royal, machiavélique et sordide, ne maîtrise pas assez ses vibratos. Seul l’air : « je t’implore oh mon frère » autorise ces vibratos en raison du mode complainte, air qu’il a interprété en donnant beaucoup d’émotion. Remy Mathieu (Laërte) dont on apprécie de plus en plus la voix a ce timbre de ténor pur et frais ; malheureusement au cours de sa première apparition sur scène, un léger chat dans la gorge est venu le perturber, accident de parcours qui peut arriver à tous ! Les autres rôles secondaires interprétés par Patrick Bolleire, Samy Camps, Christophe Gay, Jean Marie Delpas, Antoine Garcin et Florian Cafiero complètent harmonieusement cette distribution.
Duo 84.