« Si Dieu a oublié de mettre la paix à son agenda… »
Opéra Confluence Grand Avignon, Samedi 8 février, 20h30
En co-production avec l’Opéra Grand Avignon
Direction, Jean Deroyer
Direction musicale, Voix, Guitare, Goran Bregović
Violons Solistes, Mirjana Neskovic (Lettre chrétienne), Gershon Leeizerson (Lettre juive), Zied Zouari (Lettre musulmane)
Orchestre des Mariages et des Enterrements (2 trompettes, flûte, 2 trombones, saxophone, 3 voix, goc – instrument traditionnel -, clarinette, glockenspiel), certains étant polyvalents
Chœurs orthodoxes de Belgrade (6 chanteurs, 1 chef)
Orchestre Régional Avignon-Provence (8 violons 1, 6 violons 2, 4 altos, 4 violoncelles, 2 contrebasses)
Trois lettres de Sarajevo
[Une commande de Festival de Musique de St Denis]. Co-production avec l’Opéra Grand Avignon
Un concert haut en couleurs, composite (classique, contemporain, tzigane) mais cohérent, avec diverses formations vocales et instrumentales autour du charismatique Goran Bregović, pour « Trois lettres de Sarajevo », respectivement chrétienne, juive, musulmane.
« Si Dieu a oublié de mettre la paix à son agenda, c’est à nous d’apprendre à la faire » : le ton de la soirée est donné. Goran Bregović, a grandi dans la « petite Jérusalem des Balkans », à Sarajevo, où les trois monothéismes du Livre rythment conjointement la vie quotidienne.
C’est ainsi qu’il a organisé autour de ce qu’on pourrait appeler un concerto pour 3 violons une soirée prévue pour une heure, et qui en a duré plus du double. Un concerto en 3 mouvements pour 3 violons successifs, créé en 2016 au Festival de Saint-Denis, Trois Lettres de Sarajevo. Si les 3 solistes, originaires des Balkans, d’Israël et de Tunisie, – Mirjana Neskovic pour la Lettre chrétienne, Gershon Leeizerson pour la Lettre juive, et Zied Zouari pour la Lettre musulmane -, sont évidemment très différemment dans leur personnalité et leur jeu respectif, l’impression générale, celle qu’on éprouve in situ et celle qu’on en garde a posteriori, est celle de la grande parenté entre eux. Le pari est gagné. Rabbi Jacob musical, Goran Bregović a su montrer, à travers l’instrument commun, que la culture des Balkans et du pourtour de la Méditerranée – klezmer, classique, orientale – est bien « une », toutes multiples que soient ses formes locales.
Et le public ne s’y est pas trompé.
Ce fut une soirée mémorable, animée, rythmée, dansante, furieusement jeune.
Cette musique rythmée, qui vous donne envie de chanter, de tourner, de danser, a trouvé un écho, des centaines d’échos. A vue d’œil, c’est près d’un quart de la salle Confluence qui s’est levé, et qui s’est peu à peu rassemblé au pied de la scène. Puis revenu s’asseoir. Puis retourné danser… Le spectacle était aussi dans la salle, assez inattendu ce soir-là. Une impression proche de celle du concert sympho-électro aux Chorégies en 2018.
On est étonné d’abord, un peu désorienté, avouons-le, dans notre approche peut-être trop académique de la chose musicale. Et puis on se laisse porter. Pas jusqu’à aller danser autour de la scène – d’ailleurs c’est une gestuelle qui a sans doute ses codes spécifiques – mais se laisser traverser par ces diverses émotions, qui parfois se bousculent et se superposent : la plainte des violons-clarinettes, les chants a capella qu’on croirait venus des Météores, le swing des formations tziganes…
On admire le talent du chef Jean Deroyer, pour créer une vraie cohérence, non pas formelle, mais de chair et de sang, sans gommer la diversité. Six forces artistiques différentes, 6 univers : les 2 voix de femmes et les 6 instrumentistes de l’Orchestre des Mariages et des Enterrements fondé il y a 20 ans par Goran Bregović, les 6 voix d’hommes des Chœurs orthodoxes de Belgrade, les instruments-voix en garde rapprochée autour du chef charismatique, enfin l’Orchestre Régional Avignon-Provence dans sa tonique formation de cordes (24 musiciens). De ce creuset multiple jaillit une vie irrésistible, combinant cuivres gitans, percussions orientales, polyphonies féminines bulgares, chœur d’hommes classique, sections de cordes et programmations électroniques. Chaque spectateur y trouve un peu de sa musique originelle, de sa langue de cœur.
Et on a du mal à partir, après avoir scandé et chanté notamment « Bella ciao… » qui a retrouvé ce soir-là sa vigueur originelle.
Il faut rappeler que Goran Bregović le serbo-croate, avant de devenir l’interprète privilégié du cinéaste Emir Kusturica, était déjà, et tout à la fois, « compositeur contemporain, musicien traditionnel et rock star des Balkans ». Il a composé la musique de La Reine Margot de Patrice Chéreau (1994), dont l’intensité fulgurante faisait écho au siège en cours à Sarajevo. Le chant du cygne du tandem Bregović-Kusturica sera la palme d’or à Cannes en 1995, Underground. C’était donc une sacrée pointure sur la scène de la salle éphémère !
Ce soir-là, la musique était vraiment d’instinct, cœur et corps, et de tripes… (G.ad. Photos G.ad.)
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