Un très grand moment de ce festival !
Jeudi 24 avril 2025, 20h 30, Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
Festival de Pâques, Aix en Provence (site officiel)
Orchestre Philharmonique de Radio-France. Béatrice Rana, piano. Mikko Franck, direction
Piotr Ilitch Tchaïkovski, Concerto pour piano n° 1, op. 23
Dmitri Chostakovitch, Symphonie n° 10, op.93
Musique russe donc pour ce concert proposé par le chef finlandais Mikko Franck, l’Orchestre Philharmonique de Radio-France et la pianiste italienne Béatrice Rana. Et quelle musique ! Et quel concert, qui aura été un grand moment de ce festival 2025 !
Il y a longtemps que je n’avais entendu le concerto de Tchaïkovski joué avec une telle intelligence, une telle sensibilité, une telle réflexion. Ecartant tout clinquant, tout effet spectaculaire, toute superficialité virtuose, Béatrice Rana, Mikko Franck et ses musiciens ont mis tout leur art au service de l’œuvre, en en délivrant toute l’intériorité, la variété des atmosphères, par la maîtrise de nuances bien dosées, des élans passionnés jusqu’aux instants apaisés et de délicate retenue.
Béatrice Rana a illuminé l’ensemble par son jeu virtuose, son doigté agile et clair, sachant forcer le son, résister aux tutti de l’orchestre dans les climax, ou au contraire exprimer avec finesse les passages les plus réfléchis. On retiendra la cadence du premier mouvement, menée avec clarté, mêlant calme et passion, sensualité et réflexion, et même interrogation, qui tint le public en haleine.
Le deuxième mouvement fut lui aussi une réussite. Belle introduction à la flûte, beau solo des deux violoncelles, l’atmosphère est sereine, champêtre, le piano s’agite avec délicatesse, se lance en une course virtuose, et le tout revient vers une lenteur lyrique et une fin apaisée. Tchaïkovski lui-même, je crois, aurait apprécié cette approche de son œuvre.
L’énergie revient avec le troisième mouvement, alternance d’affirmations fortes et de délicatesse, qui garde l’auditeur en permanence sous tension, mais où le chef conserve un certain lyrisme, jusqu’à cette belle ascension finale de l’orchestre qui ouvre sur un solo endiablé du piano et se clôt sur la fusion des deux acteurs.
L’ovation que l’on peut imaginer donna droit à un bis, une transcription pour piano de la danse de la fée Dragée du Casse-Noisette du même Tchaïkovski, interprétation délicate, dans laquelle on crut entendre le célesta dans la netteté des notes et les aigus extrêmes du piano.
La dixième symphonie de Chostakovitch, qui trouva le succès dès sa création en décembre 1953, est parmi les plus connues et appréciées de son auteur. Elle porte encore en elle le poids, l’atmosphère des années staliniennes et de la guerre froide, mais, écrite dans les mois qui ont suivi la mort, en mars, du dictateur, elle laisse échapper, dans les deux derniers mouvements, et surtout le final, des élans plus enjoués, signant comme un soulagement, comme une libération.
Mikko Franck, à la direction sobre, assis, ou debout sur son estrade dans les moments intenses, et le Philharmonique de Radio France, déployant toute sa virtuosité, ont su parfaitement rendre toute la force et la profondeur de cette partition, qui met particulièrement en valeur les cordes et les pupitres des bois. Le premier mouvement, moderato, sombre, parfois funèbre, déploie son intensité dramatique. Passe un deuxième thème, plus chantant et léger, mais la tension demeure, se développe, parvient à se calmer après un long combat, le pessimisme revient avec les cordes, la flûte piccolo achève le tout.
Le scherzo qui suit, énergique, violent, genre de chevauchée infernale brutalement conclue, serait un portrait terrifiant de Staline. Le troisième mouvement, allegretto, sur un rythme plus ou moins assumé de valse, détend quelque peu l’ambiance. Le compositeur y introduit sa signature DSCH (ré, mib, do, si), puis, annoncée par le cor, lente et recueillie aux cordes, celle d’ELMIRA (Nazirova), mi, la, mi, ré, la, l’une de ses élèves qui conserva avec lui de forts liens d’amitié. Les cors, les bois de l’orchestre, les cordes (bel accompagnement en pizzicati) assurent leurs interventions. Après un temps apaisé, l’orchestre accélère, tourbillonne, virtuose, interrompu par des appels de cors, se calme sur le jeu mystérieux du violon solo, la flûte piccolo égrène ses notes et tout se tait.
Le dernier mouvement débute aux cordes graves et développe un andante sombre et froid. L’humour, comme un pied-de-nez à Staline, s’y introduit, provocateur, grinçant et sarcastique, jusqu’à cette explosion finale victorieuse, libératoire, exposant toute la virtuosité de l’orchestre.
Magnifique interprétation, enthousiasme du public, un bis était prévu, la valse triste de Sibelius, occasion encore de mettre en évidence la belle sonorité et l’homogénéité des cordes de l’orchestre, dans cette valse au lyrisme nostalgique. Beau final pour une belle soirée !
B.D.
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