Toujours d’une surprenante modernité

Mercredi 16 avril 2025, Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence. Dans le cadre du Festival de Pâques (site officiel)
Ensemble I Gemelli
Shira Patchornik, Maud Gnidzaz, Cristina Fanelli, Laura Dausse, Alix Le Saux, Mayan Goldenfeld, Natalie Pérez, sopranos
Lidija Jovanovic, Chiara Brunello, Anouck Defontenay, Renata Dubinskaite, altos
Zachary Wilder, Jordan Mouaissia, Emiliano Gonzalez Toro, Iannis Gaussin, ténors
Fulvio Bettini, Nicolas Brooymans, Victor Cruz, basses
Emiliano Gonzalez Toro, direction
Claudio Monteverdi (1567-1643) : Vespro della Beata Vergine da concerto composta sopra canti fermi, SV 206 (Vêpres de la Vierge)
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L’ensemble I Gemelli a été fondé en 2018 par Emiliano Gonzalez Toro et Mathilde Etienne, en référence à leur signe zodiacal, les deux cofondateurs et codirecteurs étant « nés sous le signe des Gémeaux »… comme les sœurs jumelles du film Les demoiselles de Rochefort de Jacques Demy ! Vespro della Beata Vergine de Monteverdi est la dernière parution, dans un riche format de livre-disque, de leur label indépendant Gemelli Factory. Et c’est justement cette pièce que vient interpréter l’ensemble au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, le même programme ayant été joué, entre autres, à Barcelone et Amsterdam au mois de février.
A l’entrée des artistes, on est surpris par le nombre réduit de musiciens, en regard de l’effectif vocal, composé de onze femmes et huit hommes, en incluant le chef qui chante en tessiture de ténor, la globalité atteignant la vingtaine de choristes attendue usuellement. Répartis de part et d’autre de l’organiste Violaine Cochard qui tourne le dos au public, cinq instruments à cordes frottées prennent place à gauche, tandis qu’à droite sont installés la harpe, deux luths et les instruments à vent, trois trombones et trois cornets à bouquin. Tous les artistes sont habillés de noir, à l’exception d’Emiliano Gonzalez Toro en costume bleu, dirigeant face au public, depuis une plate-forme légèrement surélevée à l’arrière. Il faut dire que tous les choristes sont placés sur cette estrade en forme d’un large U, parfois à bonne distance les uns des autres, et que la bonne coordination de l’ensemble n’est pas forcément évidente dans cette configuration. Mais pas d’incident à signaler, hormis un léger et fugace flottement rythmique à l’entame d’un ou deux numéros collectifs (comme « Lauda Jerusalem dominum »).
L’instrumentarium réduit amène de fortes originalités lors de cette interprétation et de vraies beautés, à commencer par le « Nigra sum » chanté par le ténor Zachary Wilder, sur un accompagnement de la harpe seule. Cette voix délicate aux ineffables piani, ainsi que la poésie de la harpe, forment un moment de pur bonheur auditif, projeté dans un confort acoustique idéal. Autre passage pour ténor soliste, « Audi cœlum » est chanté par Emiliano Gonzalez Toro, voix sollicitée ici sur toute l’étendue, entre un grave barytonnant et un aigu ferme qui peut moduler en d’agréables nuances mezza voce. Zachary Wilder lui répond en écho, depuis les coulisses. Entre ces deux numéros, le « Duo Seraphim clamabant » rassemble ces deux voix, qui se répondent ou partent en canon, rejointes en fin d’air par le troisième ténor Jordan Mouaissia (« Il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel… »). Les interprètes font preuve d’une belle souplesse vocale pour répéter à l’envi la même note, ou passer certains traits d’agilité rapides.
Les femmes ne sont pas en reste, comme lorsqu’on apprécie la douceur du duo « Pulchra es amica mea » ou encore les quatre femmes qui répètent plus tard la même phrase « Sancta Maria, ora pro nobis », tandis que les vents sont confrontés à une partition virtuose. Les grands ensembles sont aussi réussis et bien équilibrés entre pupitres, quitte à ce que plusieurs changements de position s’opèrent pendant les courtes pauses entre numéros. Les nuances agrémentent l’interprétation, entre un forte tout de même limité en ampleur collective par l’épaisseur musicale et un piano subito bien maîtrisé. « Ave maris stella » a cappella nous rappelle le caractère religieux de cette pièce, dont l’interprétation ce soir tire généralement davantage vers le chant, voire un certain lyrisme. En tout cas, ces Vêpres de la Vierge de Monteverdi créées en 1610 nous paraissent plus de quatre siècles plus tard d’une surprenante modernité !
I.F. / F.J. © Caroline Doutre
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