Une ouverture marquante pour un Festival d’exception
Vendredi 11 avril 2025, 20h 30, Grand Théâtre de Provence. Dans le cadre du Festival de Pâques 2025
Martha Argerich, piano. Renaud Capuçon, direction. Orchestre national du Capitole de Toulouse
Charlotte Sohy, Danse mystique, op. 19. Ludwig van Beethoven, Concerto pour piano, op. 15. Antonin Dvorak, Symphonie n° 8, op.88
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C’est un concert exceptionnel que nous ont offert, en ouverture de ce treizième Festival de Pâques, Renaud Capuçon, qui inaugurait ainsi son propre festival, la grande Martha Argerich et les musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. Renaud Capuçon en chef d’orchestre, il faudra s’y habituer, tant son image est liée au violoniste. J’avais eu l’occasion de le voir une première fois dans ce nouveau rôle en août 2023, à La Roque d’Anthéron, à la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, dans un programme Beethoven, où il s’était déjà montré bien convaincant, et il a, ce soir encore, confirmé ses dispositions dans ce domaine. Baguette en main, mobile sur l’estrade, voire dansant, sa direction est énergique, passionnée, et sa gestuelle agitée sculpte la musique, entraîne l’orchestre, lui impose sa volonté.
Les Toulousains, sous sa direction, ont été parfaits, orchestre bien équilibré, aux pupitres sans failles. J’avoue lui être attaché, orchestre, que j’ai vu grandir, il y a déjà plus de cinquante ans, au temps de mes études à Toulouse, façonné par Michel Plasson et Yann-Pascal Tortelier, au premier violon. Quant à Martha Argerich, que dire ? Toujours égale à elle-même, que dire sans être dithyrambique ?
C’est donc Charlotte Sohy (1887-1955), née Durey, épouse Labey, qui avait pris pour sa vie artistique le nom de famille de sa mère, qui ouvrait le programme avec sa danse mystique. Charlotte Sohy fait partie de ces compositrices tombées dans l’oubli et redécouvertes ces dernières années, notamment, pour ce qui la concerne, grâce au travail effectué par notre cheffe avignonnaise, Débora Waldman, qui publia sur elle, en 2021, avec Pauline Sommelet, un ouvrage intitulé La symphonie oubliée. Cette œuvre datant de 1917, que son autrice n’entendit jamais, était restée dans les tiroirs et fut ainsi créée dans la foulée. Ce travail fut complété en 2022 par la parution d’un coffret de 3 CD proposant 14 des 35 numéros d’opus laissés par la compositrice, mais dans lequel ne figure pas cette danse mystique, qui venait donc opportunément compléter nos connaissances. Ce poème symphonique, créé en 1923 aux Concerts Lamoureux, évoque une danse sacrée, un appel à la lumière, une nuit sans lune, de femmes primitives apeurées dans l’obscurité. La nature s’éclaire peu à peu, alors que s’éteint, exténuée, la danseuse. L’œuvre, au riche langage post-romantique, impressionniste, vous enveloppe de son atmosphère prenante. Le début sombre et mystérieux s’enfle, s’anime puis se calme, d’amples élans mènent vers un climax passionné, vient un nouvel apaisement, un passage tempétueux signe le retour de la lumière, la danseuse épuisée, l’œuvre s’achève apaisée, Capuçon et l’orchestre l’ont parfaitement domptée.
Passée cette découverte, venait Martha Argerich, habituée du Festival, qui donnait l’un de ses concertos préférés, le premier de Beethoven, créé en 1801. Accompagnée par un orchestre bien en place et équilibré, elle fit montre encore de son immense talent, illuminant le concerto par son jeu clair, les doigts parcourant le clavier avec agilité et souplesse, facilité, dira-t-on, sur des tempi plutôt rapides dans les premier et troisième mouvements. Il est regrettable que des spectateurs se sentent obligés d’applaudir entre deux mouvements, croyant nécessaire de remercier là les artistes, mais cassant la tension, la magie du moment. A la fin du premier, la pianiste leur répondit par un court sourire gêné, avant d’attaquer un largo expressif, apaisé, tout en retenue, enchaînant immédiatement, pour éviter des applaudissements naissants, sur un époustouflant 3ème mouvement, joyeux, virtuose, maîtrisé dans tous ses aspects et nuances, sautillant, espiègle, s’achevant sur un final vainqueur. Je laisse imaginer les ovations.
Martha Argerich offrit en bis un Bach, sans doute (on aimerait bien que les titres des bis soient affichés quelque part), rapide et virtuose, bien dessiné, remarquable.
Changement d’ambiance et de monde, après l’entracte, avec la 8ème symphonie de Dvorak (1890). Renaud Capuçon et l’orchestre en ont donné une magnifique interprétation, vivante, lumineuse, expressive avec son atmosphère champêtre et bohémienne, aux dynamiques et nuances maîtrisées, mettant en valeur les bois, dans les 2ème et 3ème mouvements, les cors et les trompettes dans les 2ème et 4ème , les cordes dans le dernier. Le pépiement des bois, le chant du violon solo dans le 2ème mouvement, cette course, sorte de fuite en avant de l’orchestre vers la reprise de l’appel des trompettes, dans le 4ème, furent, entre autres, des instants de régal.
L’enthousiasme du public poussait à un bis, la neuvième (Nemrod) des variations Enigma d’Elgar, qui mettait encore en évidence les cordes dans cet ample et prenant crescendo.
Une soirée qui, en conclusion, aura marqué de son empreinte ce Festival 2025.
B.D. Photo Festival de Pâques 2025
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