« L’On dit qu’Amors est dolce Chose… »
Dernier Concert de la saison 2018-2019 de Musique Baroque en Avignon. Dimanche 26 mai, 18h30. Cour du Petit Palais, Avignon (Chapelle de l’Oratoire en cas de mauvais temps)
Eugénie De Mey, chant et direction artistique (lire notre entretien). Pierre Hamon, flûtes. Julien Lahaye, percussions
En co-réalisation avec l’Opéra Grand Avignon
Les femmes du temps jadis se sont fait entendre au cœur du « Petit Palais », écrin délicat du XIVe siècle, frère cadet du Palais des papes tout proche…
Un public transgénérationnel a ainsi vécu un moment de grâce, de plain-pied avec ces textes en diverses langues (moyen français, langue d’oc et d’oïl, flamand…) et ces musiques si lointaines et si familières à la fois. Pièces à danser, complainte de l’amante attendant le retour du croisé, bonheur de l’étreinte, langueur de l’absence, ont pris voix et chair grâce à un trio original.
De fait, femmes trobaïritz et trouvères des XIIe et XIIIe siècles sont injustement méconnues. Or, en Provence d’abord, dans le Nord au siècle suivant, des femmes sont poétesses, chanteuses, compositrices, avec une visibilité que ne voile aucune misogynie. « Plus libérées et ornementales dans le Sud, plus rigoureuses et soucieuses de la forme du poème dans le Nord », dit Eugénie de Mey (notre entretien intégral ici) qui les a découvertes et mises en valeur, ces pièces sont délicates et d’une incroyable modernité.
C’était un projet dont la chanteuse rêvait depuis longtemps mais auquel Musique Baroque en Avignon, par son conseiller artistique Raymond Duffaut, a donné corps. Un projet original par son programme, et par ses interprètes.
Pierre Hamon (flûtes diverses : à bec, double bec, double flûte ou traversière, ancienne ou contemporaine, cornemuse) et Julien Lahaye (percussions digitales) sont les complices artistiques d’une jeune Eugénie de Mey enthousiaste et tout aussi talentueuse.
Fille du compositeur Thierry de Mey (qui travaille régulièrement avec Teresa de Keesmaker et le Festival d’Avignon) et d’une maman administratrice d’une compagnie, elle a « grandi sur les plateaux de danse, mais, piètre danseuse, [était] beaucoup plus intéressée par la scène de l’opéra ». Sa voix très particulière, d’abord passée par les chœurs d’enfants de Carmen puis par une formation de soprano lyrique, s’accommode mal des catégories et des étiquettes. Un don naturel, un « travail technique acharné, et la confiance de chefs prestigieux » ont fait émerger cette tonalité particulière, presque grave en émission de poitrine, jusqu’aux accents les plus cristallins dans les aigus, qui confère toute sa sensualité à la musique médiévale et au chant des femmes du temps jadis.
Ce magnifique concert, solidement construit, mais interprété avec une infinie délicatesse, mérite absolument d’être entendu le plus largement. Il marie avec intelligence et sensibilité un travail scrupuleux de recherche musicologique et paléographique, et une restitution – recréation ? – vocale et instrumentale d’une parfaite lisibilité. Et le document annexe au programme, avec textes, traductions et commentaires succincts, offre un accompagnement précieux.
Oui, « l’on dit qu’Amors est dolce chose »… (G.ad. Photos G.ad. & R.D.)