Non essentiel, le monde de la culture ? Non essentiel, ce concert ? Non essentiel, l’agent artistique ?
Le monde de la culture, non essentiel ? Pendant toutes ces semaines, on avait bien faillir le croire… C’est pour prouver le contraire, et soutenir le moral des artistes et de son agence créée juste avant la pandémie, que Sophie Duffaut a monté un concert sur Facebook, qu’elle appelle en clin d’œil, « (non) essentiel ».
Et l’agent artistique, habituellement en coulisses, non essentiel aussi ? Sophie Duffaut, qui a créé il y a un an l’agence Limelight-Artistes-Sophie-Duffaut, nous répond.
-Au fait, Sophie Duffaut, faut-il dire agent artistique ou agente ?
–Je ne crois pas que mes collègues femmes souhaitent la féminisation du mot, même s’il la profession est majoritairement féminine.
-C’est une profession de l’ombre, très mal connue. Quel est le rôle d’un agent ?
–En effet, c’est même la première fois que je me prête au petit jeu de l’interview (sourire), je n’ai pas l’habitude d’être ainsi exposée… Pour moi j’envisage trois aspects essentiels de la profession : découvrir des artistes, les accompagner, et les promouvoir.
-Découvrir des artistes, comment ? Comment va-t-on en quelque sorte à la pêche des talents ?
–Certains artistes contactent directement une agence ; ils envoient leur bio, une vidéo, leur répertoire… J’ai la chance d’avoir beaucoup de demandes. On fait aussi passer des auditions : entendre les artistes en direct n’a rien à voir avec une vidéo. On va également voir des spectacles. Mon agence est toute neuve ; et dès sa première année elle a rencontré les directives sanitaires que tout le monde connaît, avec les difficultés qu’on peut imaginer. Il faut également compter avec le feeling ; car un artiste n’est pas qu’une voix, c’est un être humain global.
-Et l’accompagnement ? Vous soulagez les artistes de toute la partie matérielle ?
-Je les guide dans le métier, je leur mets en mains les clefs pour faciliter leur parcours, pour qu’ils puissent ne penser qu’à l’artistique. Je négocie les engagements, les contrats, je gère la logistique, les voyages, les réservations…
-Et le troisième volet, la promotion ?
–En fait c’est un peu un rôle à la carte, selon ce qu’attend chaque artiste : cela peut être seulement la gestion de son calendrier, ou la recherche plus pointue d’engagements.
-L’agent peut-il être amené à devenir une nounou, une maman de substitution ?
-(rire) Une maman de substitution, non. Mais parfois presque une nounou, oui (sourire). Toutefois mon jeune âge me permet d’avoir des relations de vraie proximité, une relation que j’appelle sans chichis, en toute transparence ; je suis disponible en permanence.
-Quelle est la proportion des chanteurs et des instrumentistes que vous avez dans votre écurie ?
–Pour l’instant, j’ai davantage de voix, parce que mon réseau en est plus proche : il est pour l’instant moins symphonique que lyrique, hérité de mon cursus antérieur, à l’Opéra de Marseille ou aux Chorégies d’Orange.
-Vous créez l’événement ce samedi (4 décembre 2020, NDLR) avec votre « concert (non) essentiel », au titre en forme de clin d’œil.
–Quand je l’ai conçu, en plein deuxième confinement, le monde du spectacle était encore considéré comme non essentiel ; depuis lors, la perspective a un peu changé, mais je n’ai pas voulu enlever totalement le « non ».
-Parlez-nous de concert, qui va être diffusé ce samedi sur la page Facebook de votre agence.
–L’organisation a été très rapide. La plupart des artistes ont été pendant des mois empêchés de se produire, la déprime n’était pas loin. Je n’ai contacté les artistes de mon agence qui sont à Paris, pour éviter des déplacements et des risques inutiles. J’avais prévu un enregistrement, et très vite le projet s’est transformé en concert. C’était là une opportunité importante, et dans de bonnes conditions. Les petites vidéos postées de chez eux, tout le monde en avait assez. On avait besoin de se retrouver, de partager entre nous, et d’offrir une heure de musique au plus grand nombre. Avant, nous l’espérons, de vraies retrouvailles sur les scènes.
-Vous avez donc enregistré le concert dans une salle magnifique.
-Oui, avec des conditions professionnelles, dans cette salle Gaveau mise à disposition, une salle exceptionnelle. C’est un très beau cadeau, qui a permis des images de toute beauté.
-La salle a été mise à disposition gratuitement ?
–Non, c’est une salle privée. Mais notre agence avait prévu le budget. Ce concert a bénéficié d’un élan de tous : le son, la vidéo, ont été réalisés par des amis, bénévolement, et les artistes, dont certains ont une carrière internationale, se sont tous produits gracieusement. Tout a été réalisé dans des conditions professionnelles, même si nous ne sommes ni France Télévision ni France Musique (sourire). Avec cœur et passion. Nous avons voulu un programme de qualité, mais aussi un répertoire festif, avec des airs d’opérette, de l’opéra, de la comédie musicale, et aussi Haendel : une palette très large, pour tous les goûts.
-C’est, je crois, un concert « solidaire » ?
–Nous sommes en lien avec l’association Music’O Seniors, qui a été présidée par Roselyne Bachelot avant qu’elle ne soit ministre ; l’association, qui travaille habituellement avec France Alzheimer, apporte la musique aux personnes âgées, dans les familles, dans les Ehpad. On a vu récemment cette vidéo où une ancienne danseuse entendant Le Lac des Cygnes retrouve dans son corps ses gestes de ballet, malgré Alzheimer ; la musique peut faire des miracles ! Et nos artistes, comme Erminie Blondel, Mathieu Justine ou Chloé Chaume, ont travaillé en amont avec des malades. Quand je travaillais à l’Opéra de Marseille, j’avais eu l’occasion de voir Emmanuel Trenque, le chef de chœur, mener des ateliers très constructifs avec les seniors.
-Concrètement, comment ce concert « (non) essentiel » est-il lié à Music’O Seniors ?
-D’abord par le programme, largement composé d’airs connus, que le public peut connaître et reconnaître. Ensuite le concert est visible sur YouTube en permanence à partie de ce 4 décembre, et, sur téléviseur, ordinateur ou tablette, tout le monde peut le télécharger : les familles, les Ehpad, diverses structures, et le diffuser à leur convenance. Ensuite, dès le déconfinement, que nous souhaitons comme tout le monde, et dès que possible, nous espérons, dans la proximité du spectacle vivant.
-Comment avez-vous choisi ce joli nom d’agence, et sans verser de droits, je présume ?
–C’est dans un taxi à Londres lors d’un week-end comédie musicale qu’Arthur, mon meilleur ami, a trouvé ce nom, qui m’a plu immédiatement. Je n’ai pas eu de droits à verser, parce que j’ai élargi l’appellation ; le nom complet de l’agence est Limelight Artists-Sophie Duffaut.
-Une dernière question : si vous n’aviez pas été ce que vous êtes, qu’auriez-vous aimé être ou faire ?
–Dans mon for intérieur, j’aimerais être à la tête d’une salle de spectacle. J’ai grandi dans ce milieu, dès le biberon. J’aime me trouver portée par l’énergie de la salle, monter une programmation. Dans un coin de ma tête, c’est un rêve que je garde.
Propos recueillis par G.ad. Portraits Capucine de Chocqueuse
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