Rebecca Stella est une enfant de la balle. Fille et sœur de comédiens célèbres, elle a voulu se faire un nom et un prénom. Si son milieu lui a permis d’être sur les planches dès l’âge de 4 ans, elle a néanmoins suivi le cours Florent (classe libre) puis a développé de multiples activités artistiques : séries TV, publicités, à côté de rôles de comédienne de scène et de radio, et de mise en scène. Depuis 2013, sa compagnie au joli nom le Théâtre aux Etoiles (clin d’œil !) a créé plus d’une dizaine de spectacles, avec finesse et sensibilité.
-Rebecca, vos deux dernières créations sont Les petites filles modèles en 2022, et, cette année, Cendrillon (voir notre compte rendu). Les contes de fées ont-ils encore un message audible aujourd’hui ?
-Les contes ont cela d’extraordinaire, c’est que leurs adaptations prennent la couleur de la société dans laquelle ils sont contés.
-Est-ce le cas de cette Cendrillon toute récente et qui, après une mini-tournée, va faire son premier Avignon ?
-Pour cette adaptation théâtrale, les avertis retrouveront plusieurs références : chez Marivaux, le prince échange sa place avec son majordome; chez Shakespeare, la rencontre entre Cendrillon et le prince se passe sur un balcon ; enfin chez Feydeau, l’attachement à la tradition s’entrechoque avec les aspirations modernes du prince, créant un effet comique de situation et de mot. Mais à nos yeux, la question centrale soulevée par cette œuvre reste la place des jeunes filles dans la société. Et si Cendrillon n’était pas une pauvre jeune fille, que le destin a chahutée, qui passe de l’amour de son père à celui d’un prince sauveur ? Et si elle était intelligente et indépendante, forte et déterminée, malgré la perte de sa mère, le départ de son père et le harcèlement dont elle est victime ? Et si son histoire d’amour avec le prince était un véritable choix, une véritable histoire d’amour ? Partir de ce postulat voudrait dire que le prince ne serait pas un simple héritier, viril, beau et gentil, qui a pour seule fonction de sauver une jeune fille. Cela voudrait dire qu’il serait, par exemple, passionnant, trouble, torturé, joyeux, drôle… un simple humain en somme, dont l’histoire d’amour avec Cendrillon serait un véritable choix pour lui aussi.
-Donc l’histoire de Cendrillon, héritière de toute une tradition, est encore terriblement moderne ?
–À l’ère où la société patriarcale pèse autant pour les filles que pour les garçons, Cendrillon peut encore – et comme il l’a toujours été – être un conte de fées en phase avec son époque.
-Vous rappelez-vous comment cette histoire vous a accompagnée vous-même ?
–Comme beaucoup d’enfants de ma génération, j’ai découvert Cendrillon en dessin animé, celui de Disney. C’est seulement plus tard que j’ai lu le conte de Perrault, très policé, puis celui de Grimm, plus violent, puis de nombreuses autres versions dans le monde entier.
-Mais l’adaptation que vous en avez faite est audacieuse !
-Pour adapter ce conte millénaire, qui traverse les cultures et les époques, j’ai décidé de nous projeter dans un univers japonisant qui allie à merveille, selon moi, tradition et modernité. Cette esthétique saura parler avec son univers manga aux enfants d’aujourd’hui. Les thématiques traitées sont par ailleurs très présentes dans la culture asiatique. Il est ici question de classes sociales, de rêves, d’amour, d’injustice, de feu et d’esprits qui reviennent. Ce parti pris permettra de garder une certaine distance avec la réalité des jeunes spectateurs, et surtout d’offrir un voyage artistique et fantastique.
-Petits et grands y trouveront donc leur bonheur ?
–Mêlant burlesque et réalisme, humour et poésie, chant, jonglage, danse, etc., cette nouvelle création veut s’adresser avec élégance, intelligence et humour aux enfants, sans délaisser les parents grâce à la double lecture qui guide chacun de mes spectacles.
-Rebecca, votre activité artistique comporte un autre volet, dans le domaine de la santé et de la différence. Nous avons ainsi découvert avec émotion vos Iles désertes, autour du diabète infantile, au Centre hospitalier d’Avignon.
-En effet, nous nous attachons à des créations contemporaines autour de maladies chroniques, ainsi Les Îles Désertes, Les Éclipses, Les Drapeaux Blancs. Ces spectacles, que je co-écris, co-mets en scène et interprète avec Avela Guilloux se jouent dans toute la France, et ponctuellement à l’étranger, dans les théâtres mais aussi dans les hôpitaux, les laboratoires ou encore dans les écoles sur le thème de la différence et du handicap. Un documentaire Les Mères Veilleuses réalisé par Vanessa Gauthier, a récemment vu le jour, et retrace son parcours professionnel, personnel et artistique. D’autres projets verront d’ailleurs le jour prochainement.
-Un dernier message ?
-Avec la réalité financière toujours plus compliquée pour nos compagnies de théâtre, cela devient un engagement presque militant de proposer, en autoproduction, des spectacles exigeants avec un plateau artistique de plus de deux comédiens (quatre comédiens en l’occurrence pour nos dernières créations). J’espère de tout cœur que le public et les professionnels seront au rendez-vous pour soutenir notre engagement et apprécier notre travail lors de ce festival 2024. Dans le contexte actuel que nous traversons, le théâtre est une nécessité que nous nous devons de cultiver.
Propos recueillis par G.ad. en juin 2024
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