La pastorale ? C’est un peu l’opérette de la Provence
Ringarde, la pastorale ? Il est certain que, cette année, les pastorales provençales se regarderont sur YouTube ou autres écrans, et non dans nos villes et villages. D’ailleurs ce spectacle-phare du mois de janvier n’est-il pas totalement obsolète ? Nous avons posé la question à Paulin Reynard, le plus jeune majoral de l’histoire du félibrige (élu en 2019, il a eu 30 ans en ce mois de décembre 2020).
-(amusé) Pas du tout ! C’est la pastorale que j’ai jouée en tant qu’acteur qui a été l’un des déclencheurs de mon apprentissage de la langue provençale. Comme je jouais du galoubet-tambourin, on m’a tout naturellement sollicité pour participer à la pastorale. Mais au début je récitais ce que j’apprenais à partir d’un enregistrement. Puis je me suis pris au jeu ; j’adorais être sur scène ; j’ai fait un stage de langue. Ce fut une expérience particulière et primordiale.
-Vous parlez de « la » pastorale ; mais laquelle ? La Maurel ? Une autre ?
–Je suis vauclusien. Certes, « la Maurel » est la toute première, on connaît l’histoire de son créateur, un vitrier marseillais, puis du formidable succès. Ici, en Vaucluse, nous tournons sur 8 ou 9 pastorales différentes, notamment pour moi ave Li Gènt dou Brès, de Mazan. On a notamment celles de Bénézet, de Bartoumièu, L’Oulo d’Arpian, Frifri….
–Frifri ? Je ne la connais pas.
–Elle est un peu plus contemporaine. Elle a été écrite en 1902 à Châteauneuf-de-Gadagne par Hippolyte Vatton. L’Oulo d’Arpian a été écrite par Marius Chabran en 1894, et Bénézet par Léon Daumier en 1924, donc encore plus récente, comme la Riboun, dans les années 1925-1930.
-Quelle est en fait l’histoire de la pastorale ?
–Traditionnellement elle se jouait le 26 décembre ; puis, pour des raisons logistiques, elle s’est étirée jusqu’à la Chandeleur. Il y a une série de pastorales qu’on pourrait appeler historiques. Mais il en existe des quantités d’autres qui ne sont pas connues. Depuis le début du XXe siècle on n’a jamais cessé d’en écrire ; il n’y a jamais eu de gros trou dans la production. Tous les ans on en a écrit, et on en écrit encore, comme Le Prodige aux alentours de 1930, La belle bugado en 1935, Sidoni en 1948 d’Elie Vidal, ou la Pastorale des Santons de Provence en 1960…
-… écrite par Yvan Audouard, la seule en français.
–D’autres encore, en provençal, comme celle de Pierre Vouland, celle de Guy Bonnet pour les enfants dans les années 1990, de Roger Pasturel Lou Camin de l’estello en 1990, et aussi Serge Beck, René Boyer… Tous les ans il s’en écrit. Il y a également celle de Pierre Pessenesse, la Pastorale de l’an 2200, écrite en 2002 ; toute l’action se situe dans le futur.
-C’est le 1984 des pastorales !
–Je l’ai vue à Draguignan ; on riait beaucoup ! Mais comme elle était très moderne à l’époque, elle s’est démodée très vite, elle est devenue très vite ringarde. Il n’y a rien qui se démode aussi vite que la mode !
-Je vous ai vu également l’an dernier à Sainte-Garde dans le Vaucluse dans un joli spectacle de Noël.
–J’étais acteur dans le spectacle de Noël de Thibaut Plantevin, le fils de Jean-Bernard…
-… professeur de musique à Vaison-la-Romaine, dont les élèves interviennent régulièrement aux Chorégies d’Orange.
–En effet. Il y avait deux pastorales, Lou Pantaï de Bédigas, et Trois jours pour y arriver, cette dernière que nous avons jouée le 3 décembre 2016 à l’Opéra d’Avignon ; c’était une pastorale bilingue, une création intégrale. L’association Li Vihado de Mountfavet, elle aussi crée chaque année une pastorale.
-Finalement, qu’est-ce qui assure le succès d’une pastorale ?
–Le noyau central est la Nativité. Mais il y a le plaisir de se retrouver : se retrouver entre acteurs et spectateurs, mais aussi le plaisir de retrouver les invariants de la Nativité. La crèche arrive au dernier acte, mais c’est tout ce qui précède, que le public attend, toutes les péripéties. On se demande qui va devenir muet, ou aveugle, pour permettre le miracle, ce que feront le berger, le boumian, les anges…avant la repentance finale.
-Et la partie musicale ?
–C’est justement une autre particularité : la pastorale c’est le théâtre et la musique. C’est une sorte d’opérette, l’opérette de la Provence. Toutefois l’équipe artistique est toujours faite d’amateurs, dans le sens premier : tout le monde peut frapper à la porte, et c’est sans doute aussi une part du succès.
-Elle n’est donc pas ringarde ?
–Pas du tout. Je suis tout de même lucide. La pastorale d’autrefois ne correspond plus à nos modes de vie. Je me souviens que c’était la distraction du dimanche après-midi, l’unique distraction ; elle durait 4 heures et demie, et jusqu’à 6 heures parfois ! Pour moi, c’est ma madeleine de Proust ; on commençait à 14h30 le dimanche après-midi par la tombola, avec des chichis, des oreillettes, et cela durait jusqu’au dîner ; dans la salle il y avait le bonheur des gens qui rient ou même qui chantent ensemble ; il y a des chants de Saboly que tout le monde connaît sans savoir pour autant d’où ils sortent ; c’est un patrimoine oral sur lequel veille l’Académie pour la langue d’oc, qui ne regroupe pas moins de 32 départements du Midi.
-Un tel étirement dans le temps est impossible aujourd’hui ?
–C’est aujourd’hui beaucoup trop long. On n’avait pas cent sollicitations directes à la minute ! Pendant cette minute, aujourd’hui le téléphone a sonné vingt fois, apportant autant de préoccupations. Or la pastorale est à la fois « The Voice » et « La France a un incroyable talent » de Provence. Et elle n’a pas vraiment de connotation religieuse, même si elle a pris son origine dans l’église ; l’essor de la crèche, la naissance des santons, les « santoun » ou petits saints, tout cela date de la Révolution, quand les grandes crèches ont quitté les églises pour se réfugier, en petit format, dans les maisons ; et c’est en 1803 qu’a eu lieu la première foire aux santons, à Marseille.
-Et en cette année de pandémie, d’annulation de tous les spectacles, que va-t-il se passer ?
–Ce qui est le plus vivant dans la culture provençale, c’est justement la chanson et la pastorale. De nombreuses troupes tournent habituellement avec des pièces différentes, et chacun peut faire son choix. Le groupe artistique de Barbentane, par exemple, a récemment innové : ce sont toujours des pastorales d’époque, mais sous-titrées en français, comme à l’opéra (Paulin Reynard travaille par ailleurs aux Chorégies d’Orange, NDLR). Ceux qui comprennent le provençal ont envie d’entendre la langue, et la pastorale en est un des lieux privilégiés, avec des calembours, des jeux de mots, des clins d’œil de l’un à l’autre, sur scène, et de la scène à la salle… ; tout cela est attendu, comme les formules toutes faites. Mais il faut penser aussi à un public plus large.
-Les provençalophones ne risquent-ils pas d’être déçus ?
–Ceux qui peuvent être déçus n’ont qu’à faire mieux ! J’assume totalement cet avis très tranché. Il y a une partie du public qui ne parle pas provençal : il faut en prendre conscience et penser à lui aussi. Mais moi qui vais avoir 30 ans dans quelques jours je sens un vrai regain d’intérêt, et la pastorale en est un élément. Ce regain se manifeste déjà depuis deux ans environ, et s’est amplifié et confirmé depuis le confinement du printemps. On le sent déjà dans les discours des hommes politiques…
-A partir du cas particulier du Premier Ministre Jean Castex, on veut en effet arrêter la discrimination des accents régionaux.
–C’est une des manifestations ; on veut aussi donner plus de pouvoir aux régions, aux territoires, privilégier les circuits courts, l’économie circulaire. En tant que majoral du félibrige, je retrouve aujourd’hui les débats qu’a connus Mistral en 1870. S’agissant des pastorales, il faut souligner certes le plaisir d’entendre la langue. Mais il faut être heureux que les troupes de pastoraliers se soient en quelque sorte professionnalisées, sinon dans le statut, du moins dans les exigences, pour les costumes, les décors, la musique ; sur ce dernier point par exemple, on a plusieurs musiciens, et dans les chants on a plusieurs voix. C’est d’autant plus facile que la langue est chantée même quand elle est parlée.
-Vous parliez du confinement. En quoi a-t-il permis un regain de la vie provençale ?
–A cause du déchirement de ne pouvoir se retrouver, il a fallu réagir ! Les années précédentes, par exemple pour les pastorales, dès septembre on répétait plusieurs fois par semaine. On avait sur ce sujet prévu de relancer avec Caromb et Mazan, on a renvoyé à l’année prochaine. Plus globalement, on a senti un frémissement. Au-delà du partage de la langue, on s’est recentrés sur le local ; on a acheté par exemple chez notre voisin agriculteur, on s’est rendu compte que notre rue, notre quartier… a un nom provençal ; on prend conscience que la langue est présente partout, dans les noms de lieux, dans les noms des gens… Bref, on s’interroge sur le monde qui nous entoure, le monde proche. Ce sont des questions à la fois d’histoire, de culture et de patrimoine familial ou personnel.
-Vous avez-vous-même été élu l’an dernier majoral du félibrige. Rappelez-nous ce que cela signifie.
–Mistral a a créé un Consistoire, qu’il a doté de 50 majoraux, élus à vie ; comme dans toute académie (du moins toute académie dite à fauteuil, NDLR), chaque décès est remplacé, et l’on se transmet le nom d’une cigale en or. J’ai en effet été élu en 2019, à 28 ans, le plus jeune majoral de l’histoire du félibrige. Mais c’est une énorme charge de travail (rire). A la suite de l’élection, le Capoulié Jacques Mouttet m’a nommé « baile » c’est-à-dire son secrétaire en janvier 2020, à la succession de Jean-Marc Courbet ; c’est une nomination à sa discrétion ; lui-même, nommé en 2006, a un mandat de quatre ans renouvelable.
-Permettez une question en forme de provocation : que peut attendre du passé un jeune trentenaire ?
-J’ai l’habitude de citer ces belles phrases : « Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient » Ou celle de Mistral dans Les Iles d’or « Les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut » ou « Pour partir haut et fort, il faut bien s’ancrer ».
Propos recueillis par G.ad. en décembre 2020. Photos Colas Declercq
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