Du lyrique au théâtre
Natalie Dessay est une habituée des scènes de la région, de l’opéra au récital (avec son mari, le baryton-basse Laurent Naouri, aux Musicales du Luberon) ou en concert jazz avec Michel Legrand (Opéra Grand Avignon), et nous l’avons plusieurs fois interviewée. Tout semble lui être facile, tout lui réussit, tant son talent est multiple, et tant elle vit tous ses univers avec le même engagement passionné. Elle sera sur la scène de l’Opéra Grand Avignon mardi 12 avril 2022 dans un spectacle original, Pannonica.
-Natalie Dessay, parlez-nous de la femme qu’était Pannonica (la baronne Pannonnica de Koenigswarter, née Rothschild à Londres en 1913 et morte aux Etats-Unis en 1988, NDLR). Que sait-on d’elle et comment le sait-on ?
-La metteure en scène, Elsa Rooke, vous en parlerait beaucoup mieux que moi. Moi je me contente d’être l’exécutante. A l’origine, il y a un livre, écrit par une femme de la famille de Pannonica, qui retrace sa vie. Pannonica, c’est une figure méconnue, une figure parallèle, puisqu’elle-même n’est ni chanteuse ni musicienne ; elle a aimé et aidé des jazzmen, elle a tout quitté pour vivre auprès d’eux, et si on la connaît un peu, c’est parce que Charlie Parker est mort chez elle.
-Comment est né un tel projet ?
-Il avait commencé avant le confinement ; un projet lourd, avec huit musiciens, une chanteuse, une comédienne/narratrice, et puis la lumière, la technique… C’est très beau. On souhaiterait qu’il tourne davantage ; pour l’instant, nous ne l’avons joué que trois ou quatre fois.
-Vous y êtes entourée de musiciens.
-Oui, le Zoot Octet, un octet de jeunes musiciens, à peine trentenaires ; de merveilleux instrumentistes, et compositeurs pour certains. Ils ont composé 40 minutes de musique en hommage à Pannonica. C’est en fait l’un d’entre eux, Neil Saidi (saxophone baryton et direction, NDLR) qui est à l’origine de ce projet, autour de la figure de cette femme qui l’avait séduit.
-Va-t-on, à travers ce spectacle, revivre toute l’histoire du jazz ?
-Non, il s’agit simplement d’évoquer le parcours d’une femme particulière dans l’histoire de la musique des années 50 ; c’est le jazz de cette époque à New York. Il faut bien préciser que je ne chante pas, je suis la narratrice.
-Vous venez du classique, du lyrique ; comment passe-t-on néanmoins au jazz, qui est un autre univers dans lequel vous avez plongé depuis quelques années ?
-D’abord je ne suis pas chanteuse de jazz ; il faut des qualités spécifiques que je n’ai pas. J’adore le jazz et j’en écoute beaucoup, mais c’est une autre façon d’aborder la voix et les textes, beaucoup d’improvisation aussi, que je n’ai pas étudiés. Il faut une autre écoute de la partition, une connaissance du répertoire, des accords… J’adorerais mais je ne sais pas. Il faut apprendre, il faut du temps… En tant que chanteuse, c’est un domaine que je ne connais pas, mais dans Pannonica, en tant qu’actrice tout va bien.
-Vous avez quantité d’autres domaines…
-Je fais beaucoup de théâtre, je chante toujours, et je me forme à la comédie musicale et à la chanson.
-Il s’agit d’une formation spécifique ?
-Tout à fait. Il faut réapprendre à chanter avec une voix normale, à placer sa voix de poitrine plus haut… Tout ce qu’on a appris depuis trente ans, il faut l’oublier ! C’est très difficile. Les jeunes chanteurs ont plus de chance que nous : ils apprennent souvent en même temps les différents univers ; c’est comme l’apprentissage des langues : être bilingue à 3-4 ans, c’est plus facile qu’à 50 ! Mais je prépare aussi des concerts classiques, avec Philippe Cassard. Il n’y a que l’opéra que je ne pratique plus.
-Je vous suppose quantité de projets…
–Une création bientôt, un spectacle autour de la figure d’Echo dans les Métamorphoses d’Ovide. A Florence, ce seront les Exils intérieurs, avec Philippe Cassard et plein d’acteurs, allemands, italiens notamment ; je dis des poèmes ; on le donnera déjà au théâtre de la Ville les 13-14 avril.
-Et pour l’été ?
-Une comédie musicale avec Yvan Cassard, avec ma fille Neïma, puisqu’elle chante aussi de la comédie musicale. Et également des concerts classiques, avec Philippe Cassard.
-Vos projets vous ramèneront-ils en Provence ?
-A Saint-Rémy-de-Provence, le 23 juillet, à Glanum, dans un spectacle sur Michel Legrand. Je serai également à La Ciotat, en Corse, à Castres, mais je n’ai pas toutes les dates en tête.
-Comme pour de nombreux artistes, certains de vos projets ont été arrêtés par la Covid. Comment avez-vous traversé la période du confinement ? Comme une pause forcée, comme un ressourcement ?
-Je l’ai vécu plutôt bien, en travaillant pour moi, mais avec beaucoup d’inquiétude, surtout pour mes enfants. J’ai beaucoup travaillé avec ma voix classique.
-Vous cultivez toujours votre univers classique ?
-Bien sûr, puisque je donne des concerts classiques, comme des mélodies de Clara Schumann. Ce n’est que l’opéra que je ne pratique plus.
-Et sous la douche, que chantez-vous ?
–Sous la douche je ne chante pas. Je ne chante que quand il le faut. Comme le dit mon mari, je ne suis pas une fredonneuse (sourire).
-Lui-même est-il un fredonneur ?
-Oui, comme notre fille.
-Et votre fils, qui est musicien, je crois ?
-Il joue du saxo, oui. Mais s’il chante, je ne sais pas, je lui demanderai.
-Une question que, je crois, je ne vous ai jamais posée : si vous n’aviez pas été ce que vous êtes, qu auriez-vous aimé être ou faire ?
-(réponse immédiate) Je ne sais pas du tout. Adolescente, je voulais être danseuse. Mais j’ai toujours voulu être sur scène.
Propos recueillis par G.ad.
-Mardi 12 avril, 20h30, Opera Grand Avignon. Tarifs : de 30€ à 5€. Réservations sur www.operagrandavignon.fr, ou 04 90 14 26 40.
Bio express
Née en 1965 à Lyon, Natalie Dessay a déjà eu mille vies dans une.
Elle qui se rêvait d’abord danseuse, se forme au Conservatoire de Paris (1er prix) puis dans la troupe du Staatsoper de Vienne.
Depuis 1992, elle a exploré l’ensemble du répertoire lyrique de sa tessiture (soprano colorature), laissant des souvenirs mémorables sur les scènes de France (Paris, Lyon, Aix-en-Provence…), et du monde (Metropolitan de New York, Vienne, Chicago, Barcelone, Covent Garden à Londres, Naxos, Salzbourg).
Elle quitte la scène lyrique en2013.
Elle cultive alors la mélodie française avec le pianiste Philippe Cassard. Se lance dans des univers variés (avec Michel Legrand), la chanson, le théâtre, toujours avec le même succès, fruit d’un travail constant. Ses multiples enregistrements (CD et DVD), en exclusivité avec EMI classics puis Sony Classical, sont couronnés de récompenses, dont plusieurs Disques d’Or.
Pas moins de 6 Victoires de la musique (Artiste lyrique de l’année en 1995, 1996, 1998, 2000, 2002, 2006).
Ainsi que d’autres récompenses, couronnant des dons de comédienne exceptionnelle autant qu’une voix d’une agilité hors du commun : Laurence Olivier Awards (2008), Opera news Award (2008), Prix in honorem Académie Charles Cros pour l’ensemble de sa carrière (2008), Chevalier de la Légion d’Honneur (2011)…
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