Michel Portal est une légende, même si le mot semble totalement incongru face à cet artiste si simple, toujours habité par sa passion. 10 récompenses comme musicien, 6 comme compositeur de musiques de films, nommé Commandeur des Arts et lettres en 2011. 15 albums studio, 12 albums live, divers enregistrements classiques ou contemporains…
Michel Portal pratique la clarinette, le saxophone, ou leur cousin hongrois le tárogató, voire le bandonéon. De formation classique, il a découvert le jazz qui allait bouleverser son approche de la musique, et ce métissage permanent lui a valu nombre de critiques de l’un et l’autre bord. Éternel duel du jazz et de la Java… Michel Portal témoigne du même bonheur à jouer Mozart ou Brahms que Berio ou Stockhausen, ou… Michel Portal. Et il est reconnu, tout autant que critiqué, dans tous ces domaines : Enregistrement français de musique classique de l’année aux Victoires classiques 2006, puis Album jazz instrumental aux Victoires du jazz, en 2007, et en 2021 pour MP85.
Nous avons eu la chance de nous entretenir par téléphone avec le musicien avant le début de sa tournée, dans le toujours actuel sillage de la parution du CD MP85, célébrant il y a 3 ans de façon assez transparente son 85e printemps. Michel Portal jouera à la Scala-Provence à Avignon (dimanche 22 janvier 2023, 16h, 1h30, Scala 600), après s’être produit la veille à Paris, toujours avec son complice Bojan Z.
-Michel Portal, vous jouerez sous peu à Avignon, avec Bojan Z. Je présume qu’il s’agit d’une reprise, à deux, de votre CD MP85, qui a d’ailleurs été distingué comme Album jazz de l’année aux Victoires du jazz en 2021 ? Au prix de transcriptions, de réductions, pour un duo ?
–Au départ, c’était un quintette (le « Michel Portal Quintet », composé de Bojan Z, Bruno Chevillon, Lander Gyselinck & Samuel Blaser, NDLR), et j’avais donc plusieurs musiciens avec moi. Mais ce sont de toute façon des musiques qu’on connaît, et on fait aussi des improvisations…
-Il est sans doute plus facile d’improviser à 2 qu’à 5 ?
–Peut-être, peut-être pas (rire)…
-Vous jouez régulièrement avec le pianiste-claviériste Bojan Z. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
-Il y a très longtemps. Nous avons eu immédiatement un contact facile. Dans la musique, c’est curieux, on travaille ensemble, puis les gens s’en vont, on ne sait pas où. Nous, nous poursuivons ensemble. Notre histoire s’est passée très tranquillement. Bojan est d’origine serbe, on n’a pas le même univers, mais on a commencé à jouer ensemble très naturellement. On a échangé des thèmes, dans une vraie complicité.
-Votre concert s’articule autour de votre CD MP85, sorti pour marquer votre 85e anniversaire. Les univers de chaque morceau sont très différents, et les titres sont souvent énigmatiques ; comment ces morceaux ont-ils été composés ?
-J’ai travaillé avec des musiciens très différents : un Serbe, un Allemand, un Basque, puisque moi je suis basque…
-Vous pouvez m’expliquer chacun des morceaux ? African wind, qui ouvre le CD ?
-Ce sont comme des souvenirs, quand j’étais jeune, lors d’un voyage en Afrique ; c’est ce qui m’est resté de ce moment.
-Puis Full half moon, qui avec clarinette et piano dessine une atmosphère ?
-Ça c’est Bojan.
–Armenia, avec de jolis accords au piano ?
-C’était il y a très longtemps. Nous étions dans des pays assez misérables, avec le soleil…
–Desertown, avec là aussi le piano bien présent ?
-Il n’y a pas que du piano… Ça c’est moi. J’étais en tournée ; j’ai voulu rendre cette atmosphère de villes désertiques, avec la poussière, avec presque rien, des villes malmenées par la vie.
–Jazzoulie, comme son titre l’indique, est plus jazzy…
-(rires) ça, voyez-vous, c’est « jalousie » : on s’est amusés ! On s’amuse souvent… C’est moi qui ai écrit la musique.
–Split the différence…?
–Là c’est le côté allemand…
–Mino miro, dont j’aime bien les passages aux cordes ?
-Là aussi, ce sont des souvenirs : Mino, c’est Mino Cinelu (né en 1957 à Saint-Cloud, multi-instrumentiste, NDLR), avec lequel je jouais ; et Miro, c’est Miroslav (Miroslav Ladislav Vitouš, contrebassiste né à Prague en 1947, NDLR).
-Et Mister Pharmacy, très rythmé, c’est un drôle de titre ?
-(éclat de rire) Vous savez, parfois quand on fait un CD, on hésite, on s’interroge, on se demande : est-ce que c’est bien ? Là, quand je jouais pour ce disque, on était tous pas bien, il y avait du vent, de la pluie, on était désemparés ; j’ai dit : bon, je vais à la pharmacie, et voilà…
-Dans No Hay, on sent diverses influences…
–No Hay, ce sont des souvenirs d’Espagne. Je suis espagnol d’origine. C’est quelque chose qui m’est venu en tête. Quand on se rencontre, on se dit : « Comment ça va chez vous ? » Il y a quelqu’un qui a répondu : « No hay… », il voulait dire : « No hay trabajo ». J’ai donc écrit une musique puissante, pour exprimer cette vie difficile ; vous comprenez, on ne nous ouvre pas de portes… Et cette idée n’arrête pas de venir, c’est têtu chez moi : pas de travail, on ne va pas y arriver…
–Euskal kantua, lui, est plus « classique », avec quelques jolies phrases de contrebasse…
–Ça c’est mon côté basque, un retour à mes origines. C’est un air traditionnel que je connais depuis très longtemps. (Il chante).
-Vous êtes resté très attaché à votre région. Et la Provence, est-ce que vous y êtes venu, revenu ?
–Oui, j’adore la Provence, pour des milliers de raisons. J’y suis venu il y a très longtemps, quand je jouais de la musique contemporaine, mais petit à petit j’y suis moins venu. Comme je n’y vais pas souvent, je ne me rappelle pas beaucoup. Donnez- moi des noms de lieux précis.
-Avignon, Arles, Marseille…
–Oui, je connais…
-Orange…
–Oui, là je me rappelle bien, je suis allé écouter de la musique dans le théâtre, j’ai adoré, le souvenir m’est resté…
-Aujourd’hui, avez-vous un rituel d’avant-concert ?
–Ça dépend… On joue des musiques assez libres. Mais il faut qu’on se mette ensemble, qu’on s’y prépare…
-Vous faites le grand écart entre classique et jazz, et on vous l’a souvent reproché de part et d’autre…
-(rire) J’en ai vu d’autres… Je viens du classique, vous savez, du Conservatoire du Pays basque. Je suis né à Bayonne, j’étais au Conservatoire à Bordeaux. J’ai eu beaucoup de prix (dont, plus tard, le 1er prix de clarinette en 1959 au CNSM de Paris, NDLR).
-Ne pensez-vous pas qu’aujourd’hui ce métissage musical soit totalement accepté ? Le « free jazz », que vous avez plus ou moins créé, est maintenant totalement reconnu.
–Je n’en suis pas si sûr.
-Vous commencez une tournée…
–Oui, je vois dans mes projets Thonon, Levallois-Perret, Bourges… Excusez-moi, j’ai vraiment mal à la gorge…
-Heureusement vous ne chantez pas !
–Mais si, on ne vous l’a pas dit ? (rire) Mais non, rassurez-vous...
–C’est là que vous devriez être vraiment Mister Pharmacy…
-(éclat de rire ).
Propos recueillis par G.ad. Photo Radio-France
Laisser un commentaire