Marie-Christine Barrault est une enfant de la balle, « elle vit dans une valise », dit en plaisantant l’une de ses complices de scène ; elle est une habituée d’Avignon, du Festival Off, du Musée Angladon, et elle sera bientôt au théâtre du Balcon. Les trois jours qui précèdent, elle sera à Rome, « pas pour des vacances, précise-t-elle dans un éclat de rire, pour travailler. Un film italien magnifique, ou je serai la seule Française. On me dit que j’ai de la chance d’aller à Rome ; mais, vous savez, quand on tourne on quitte l’hôtel le matin à 7h, le soir on rentre, c’est le room service, on ne voit rien de la ville. Mais il est vrai que, comme on tourne en extérieur, c’est plus agréable s’il fait beau ».
Dimanche 26 novembre 2023, Marie-Christine Barrault joue donc un spectacle musical De rocs et d’écume à Avignon, au théâtre du Balcon.
-Marie-Christine Barrault, on ne peut éviter la question de la genèse : comment est né ce spectacle ?
–C’est un projet de la famille Audax. Gérard Audax, mon partenaire de scène, était très ami avec le poète Guillevic, mort en 1997 ; ils avaient monté ensemble plusieurs projets, plusieurs spectacles musicaux ; et Gérard avait alors très envie de faire un autre spectacle sur Guillevic. Mais ça ne s’est pas fait tout de suite, ça a duré très longtemps. C’est sa fille qui a fait une adaptation formidable et a mis en scène, en mêlant prose et poésie. Ce n’est pas un récital de poèmes, c’est beaucoup plus que cela, c’est une vision de la vie, c’est une façon de mettre la poésie dans la vie quotidienne, c’est ce que faisait Guillevic lui-même. Nous sommes trois sur scène, Gérard et moi, avec un violoniste qui nous accompagne, nous suit, parce que c’est très vivant, il y a du mouvement. Nous l’avons joué à Avignon il y a 2 ans, et nous l’avons repris de temps en temps.
-A Avignon, au Petit Chien en 2021 c’était une création ?
-C’était presque une création. Nous l’avions vaguement jouée près d’Orleans, dans la région de la petite troupe, la cie Clin d’Oeil. Mais à Avignon nous avons eu un véritable problème d’information cette année-là. C’était le 1er festival après l’année blanche, on a eu un problème de fréquentation, pas comme cette année, où les gens sont vraiment revenus. J’avais même rencontré des amis en milieu de festival qui m’ont dit : « Mais tu es là ? Et tu joues où ? » La communication a été très mal faite ; c’est une petite troupe, qui ne savait pas trop comment faire. Maintenant on est en tournée, on était récemment en Suisse, c’est toujours devant des salles pleines.
-Comment le public reçoit-il le spectacle ? Avez-vous eu des retours ?
–Les gens sortent bouleversés. C’est un spectacle très vivant, qui bouge ; le violoniste est avec nous, il bouge avec nous, il interprète Guillevic à sa manière. Guillevic était très proche de la nature, il aimait la vie. Ce spectacle, c’est beaucoup de joie, l’envie de profiter de la vie, de demander à la vie le maximum qu’elle peut nous donner.
-Et pour le prochain festival d’Avignon, avez-vous des projets ?
–Il y a quinze jours je vous aurais dit que je venais avec une création, le Malentendu de Camus. Mais finalement on va créer la pièce à Paris en mai-juin, et on ne viendra pas à Avignon cette année. Nous avons tous très peur de cette édition 2024 dont nous ne savons rien. Avec les J.O., les changements de date, les troupes jeunes notamment sont très inquiètes. Nous, nous reviendrons l’année d’après ; moi je viens presque tous les ans ; je ferai autre chose pendant ce temps-là (rire). Il ne faut pas se leurrer : la majeure partie de notre public, ce sont les enseignants ; or en 2024, la première semaine les enseignants ne seront pas là, puisque l’année scolaire ne sera pas terminée. Et, avec un festival qui durera quelques jours de moins, les théâtres ne diminueront pas leur prix de location ! Le grand regret, c’est que le In et le Off s’ignorent, c’est navrant. Le Off n’est pas le parent pauvre ! Tous les ans, quand le In s’arrête, j’entends des journalistes dire que le Festival est fini. Chaque fois j’en ai le cœur brisé.
-Ce sont essentiellement des journalistes parisiens ; sur place, nous savons très bien que les derniers jours attirent encore du monde. Le Off est d’autant moins le parent pauvre, qu’il draine quelque 750.000 spectateurs, et le In environ 250.000, certes pour une quarantaine de spectacles alors que le Off en a presque 1.500. Mais le In et le Off semblent vouloir se rapprocher. Toutefois, pour 2024, les théâtres du Off ne sont pas d’accord entre eux : les scènes historiques s’alignent sur le In, les indépendants commencent 5 ou 6 jours plus tard.
–Ah ça je l’ignorais… J’étais venue aussi avec Jacques Fabri, avec un autre spectacle sur Guillevic. Mais pour Gérard Audax c’est différent, Guillevic était pour lui un ami ; ils ont partagé beaucoup de choses, beaucoup de temps, beaucoup de vie en commun.
-Y a-t-il un fil rouge, une narration dans votre spectacle très joliment nommé De rocs et d’écume ?
–Aurélie, qui a conçu le spectacle, n’a, elle, pas connu Guillevic. C’est elle qui a tissé un fil rouge, mais sans vraiment raconter une histoire. Pour nous qui disons le texte, nous sentons de l’intérieur une vraie continuité ; une chose en entraîne une autre : les rapports avec la nature, mer ou terre… tout arrive naturellement. Mais nous avons posé 1.000 questions à Aurélie : pourquoi on dit ça, à ce moment ? Pourquoi on fait ça dans la mise en scène ? Et elle avait toujours la réponse (rire). Elle a fait un travail intérieur sur le texte, dont je suis impressionnée. En fait, ce spectacle est impressionniste, sans début ni fin, mais avec de petites touches côte à côte : la poésie arrive sans qu’on s’en aperçoive.
-Il est vrai que la poésie de Guillevic, qu’elle soit en vers libres ou plus académique comme dans « Chanson » par exemple. Respire la liberté.
–Il a d’ailleurs écrit un ouvrage, Vivre en poésie, où il explique, justement, comment il entend que la poésie élève nos âmes. Et on marche dans ses pas. Mais je suis très admirative de la démarche d’Aurélie. Et en scène je me sens en liberté comme je l’ai été rarement. Dans le spectacle on est toujours dans la liberté, c’est très jouissif.
-Vous-même, lisez-vous de la poésie ? Relisez-vous des textes qui vous ont aidée, soutenue, dans le passé, ou préférez-vous en découvrir de nouveaux ?
–En ce moment je déménage ; je regarde ma bibliothèque, j’ai près de 3.000 livres, et des rayons entiers de poésie ! La poésie est très présente dans ma vie. Mais je ne suis pas comme Gérard Audax ; lui il lit de la poésie pendant des heures. Moi non, je ne m’installe pas pour lire de la poésie, mais j’ai toujours des poèmes auprès de moi ; ils m’apprennent comment vivre.
-Ecrivez-vous des poèmes vous-même ?
–Pas du tout, je n’écris rien. Il y a plein de gens qui en écrivent, moi je partage la poésie, je la fais vivre, je la transmets.
-Certains poèmes de Guillevic sont édités spécialement pour les enfants ; qu’en pensez-vous ?
–Je suis très contente, parce qu’ils peuvent partager cette joie et cette liberté. Récemment Gérard Audax est allé dans une école, qui est venue voir le spectacle ; il y est allé 2 fois 2h ; il a demandé aux enfants de revenir avec leur poème préféré ; une petite fille est venue et a dit : « moi j’ai choisi celui-là ; je ne comprends pas tout, mais je trouve que c’est beau ». Il faut faire comme eux, se laisser aller, se laisser emporter par cette langue magnifique. Quand je lis Claudel c’est pareil… C’est un vrai bonheur ! Je ne vous cache pas qu’au début j’avais un peu peur d’apprendre de la poésie ; et puis j’ai découvert que c’est beaucoup plus facile que je ne pensais, plus facile que d’apprendre des textes triviaux comme « passe-moi le sel » !
-Vous évoquez Claudel. Justement, dans son opuscule Réflexions sur la poésie, il explique le mythe d’Animus et Anima. Anima, c’est l’âme, mais c’est aussi l’inspiration, dans le double sens de sujet qu’on traite et de respiration du corps. La poésie, c’est un peu ça : elle suit notre respiration, elle nous aide à respirer plus naturellement.
–Tout à fait. C’est une langue simple et riche, libre et joyeuse, une vraie cure de jouvence. Et quant aux enfants, les éditions qui leur sont destinées choisissent les textes qu’un enfant comprend peut-être mieux. Mallarmé, par exemple, je ne suis pas certaine qu’un enfant y entre facilement (rire) ! Comme Saint John Perse, ou René Char. En revanche, Victor Hugo, les enfants adorent ; je le vois bien, moi qui ai beaucoup de petits-enfants. Ils aiment spontanément la poésie, puis ils perdent cette faculté ; certains la gardent ou la retrouvent.
-Un peu comme le dessin…
–La poésie c’est plus facile que le dessin, on n’a pas besoin de matériel, que d’un livre.
-Guillevic a traduit Goethe, Hölderlin… Que pensez-vous de la poésie traduite ?
–C’est un moindre mal (sourire). Traduire un poète étranger donne un accès à ses textes.
-C’est le cas aussi de Philippe Jaccottet, qui était presque notre voisin…
-Oui, il vivait à Grignan.
-Il a traduit de l’italien, de l’allemand, du grec ancien…
–Oui, j’adore sa traduction de l’Odyssée ; j’ai d’ailleurs monté un spectacle sur son Odyssée avec des musiciennes, il y a une dizaine d’années.
-Il tourne toujours ?
-(rire) C’est très difficile, les musiciennes sont à Montpellier, moi à Paris ; il faudrait l’occasion, que quelqu’un se dise : « tiens, on pourrait programmer un spectacle sur l’Odyssée ». Mais si vous deviez faire la liste de tous les spectacles que j’ai montés autour de la poésie, et avec des musiciens, vous n’auriez pas assez de papier (rire) !
-J’en ai vu quelques-uns en effet.
–On ne peut pas toujours les reprendre, il faudrait jouer au minimum 4 spectacles par jour !
-Il y a une question que je crois ne vous avoir jamais posée, même si nous nous sommes parlé déjà plusieurs fois. Si vous n’aviez pas été ce que vous êtes, qu’auriez-vous aimé être ou faire ?
–Autre chose ? Sincèrement non. Dans quoi trouver ma vie, ma joie, ailleurs que dans ce que je fais ? Non. J’ai la sensation que mon métier est fait pour moi, et moi pour lui. J’aurais pu passer sous un autobus, être défigurée, ne pas pouvoir faire du théâtre ? Mais non, je ne peux pas l’imaginer. ET ce n’est pas un métier, c’est ma manière d’être au monde. J’ai eu la révélation étant toute petite, vers 11 ans ; j’aime les textes, j’aime les faire passer, j’aime qu’on les écoute.
-Et cela vous sied bien… Nous vous attendons donc au théâtre du Balcon.
Propos recueillis par G.ad.
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