Le claveciniste Kenneth Weiss (site officiel) est invité par Musique Baroque en Avignon, l’Opéra Grand Avignon, l’Orchestre National Avignon-Provence et la Scala (salle 600), pour interpréter, le 31 mai 2024, avec l’Onap et à sa tête, l’intégrale des Concertos brandebourgeois, un monument du répertoire. Echange avec un un très grand soliste.
-Kenneth Weiss, nous nous réjouissons d’entendre bientôt, en direct l’intégrale des Concertos brandebourgeois. Vous êtes le deuxième « baroqueux » américain que je rencontre, avec le ténor Zachary Wilder (voir notre entretien), venu étudier et travailler en Europe. L’Amérique n’a pas la même tradition que l’Europe ?
–Il est vrai que la tradition est née ici, et cela donne un autre aspect pour l’architecture, la langue, mais cette musique est étudiée et jouée en Amérique aussi.
-Vous qui avez l’occasion de parcourir le monde, comment la musique baroque est-elle reçue ailleurs ? Voyez-vous une différence de réception d’un pays à l’autre, ou peut-on parler d’universalité ?
–On peut vraiment parler de l’universalité de Bach, comme de toute la musique classique, mais, parmi tous les classiques, c’est sans doute Bach le plus universel. Mais j’aime particulièrement le jouer en France et en Espagne, où le public est particulièrement réceptif.
-Et quant aux Brandebourgeois précisément ? Vous les avez joués en Amérique, je crois.
–Il y a des pays où je ne les ai jamais joués, mais en Amérique oui. C’est d’ailleurs une tradition de les jouer pour Noël, aux Etats-Unis et en Nouvelle Angleterre.
-Avec quel type de formation ? Des orchestres permanents, des groupes occasionnels ?
–Des groupes constitués. C’est une tradition new-yorkaise pour les orchestres, mais pas toujours avec les mêmes musiciens.
-En tant que spécialiste de Bach, c’est une œuvre que vous connaissez bien, mais, me semble-t-il, ce n’est pas celle que vous avez le plus enregistrée.
–J’en ai fait l’enregistrement avec les solistes de l’Orchestre de Rouen, je ne sais plus sous quel label. En tout cas c’était avec le 1er violon de Rouen. Nous avons enregistré diverses pièces : le 5e Concerto, les 4 Saisons… Je ne les ai jamais enregistrés au complet, mais je les ai joués intégralement a New York.
-Jouer les six concertos, c’est un véritable marathon ? Quelles sont les difficultés particulières ?
–Les difficultés ne sont pas toujours où on le pensait. On pense parfois que telle chose va être facile (sourire), et on se trompe.
-Vous n’avez jamais joué avec l’Orchestre d’Avignon, je crois ?
–En effet.
-Avec quel état d’esprit arrivez-vous pour prendre en main un orchestre que vous ne connaissez pas, puisque vous allez également le diriger ?
–J’arrive avec un esprit ouvert. J’ai des idées, bien sûr, mais j’attends de voir ce qui va se passer : comment il va falloir travailler, ou bien où on va devoir passer le plus de temps…
-Quel est le type de formation pour cette œuvre ?
–A l’origine, 19 musiciens au complet. Mais la plupart d’entre eux ne jouent pas dans les 6 pièces. Seuls le clavecin et la contrebasse, qui font le continuo, jouent les 6 concertos. C’est pour les continuistes que c’est le plus exigeant.
-Et quand, de surcroît, on dirige…
-(sourire) Je préfère jouer tout le temps ; je suis incapable de rester à regarder ; je préfère participer (sourire). Il y a beaucoup à préparer, c’est une œuvre exigeante.
-Chaque musicien prépare évidemment en amont, et vous-même allez arriver peu de temps avant le concert. Combien de jours de répétitions vous sont nécessaires ?
–Trois ou quatre jours ; en fait, trois jours, plus le jour même du concert.
-Commencez-vous par un filage, par une répétition pupitre par pupitre ?
–Il y a plusieurs possibilités. Je ne choisis jamais en avance. En fait, c’est le continuo le plus important. C’est à partir de la ligne de basse que les choses se construisent. Les instruments les plus hauts sont bien guidés avec ce profil. Pour la direction certes j’ai des idées, mais seulement pour la première demi-heure (sourire). Ensuite, je suis souple, je m’adapte à la situation, aux musiciens. On voit alors quelles sont les priorités auxquelles il faut prêter le plus d’attention.
-Je pense que les principaux instruments solo, dans les Brandebourgeois, outre le clavecin, sont le violon, la flûte et la trompette, et sont différents selon les concertos. Mais je me trompe peut-être ?
–Pas du tout. Ce sont en effet la flûte et la trompette dans le 2e et dans 2 des 3 mouvements ; et la flûte dans le 5e, et 3 solos de clavecin et violon ; de fait, à l’époque c’était une flûte en bois, un traverso. Dans le 5e, ce sont 2 flûtes à bec ; dans le 6e, 2 violes de gambe, remplacées aujourd’hui par le violoncelle.
-Justement vous allez jouer avec des instruments modernes. Peut-on imaginer que le rendu soit fidèle à ce que Bach imaginait à l’époque ?
–Que le rendu soit différent ou pas, on n’en sait rien, puisque ces instruments n’existaient pas. Mais c’est une très grande question. Si on s’interdit de toucher au répertoire créé sur des instruments d’époque, on s’interdit énormément de répertoire ! Rien ne doit empêcher de tenter des expériences sur des instruments modernes.
-Vous-même, ces Brandebourgeois, vous les interprétez plutôt sur instruments d’époque ou modernes ?
–Les deux.
-Vous nous avez donné beaucoup de clefs d’écoute. Avez-vous envie d’ajouter quelque chose ?
–Oui, que les Brandebourgeois représentent quelque chose d’unique. Jusque-là Bach a beaucoup copié, Vivaldi en particulier ; il aimait particulièrement le genre du concerto italien, à un seul instrument. Mais il a fait des mélanges absolument incroyables ! Il n’a plus voulu un seul soliste devant un orchestre. Il a mis plusieurs solistes, ce qui donne une musique plus riche, avec plus de couleurs. Il a mélangé les personnalités de tous les timbres.
-C’est cette créativité qui explique que Bach soit une référence pour tous les musiciens ?
–C’était en effet un novateur. Ici par exemple, il a pris la tradition du concerto, mais il l’a poussée beaucoup plus loin.
-C’est ce qu’on appelle le concerto grosso ?
–Ce sont souvent de petits groupes de solistes comme dans un concertino. Mais il peut aussi y avoir un soliste devant.
-Vous avez été invite plusieurs fois au Festival de La Roque d’Anthéron (voir notre présentation de l’édition 2024). Je ne crois pas avoir vu votre nom dans la programmation cette année. Il est un peu tôt pour parler de l’année prochaine. Pouvez-vous nous parler de vos projets, à court et moyen termes ?
–Je vais faire l’ouverture du Festival de Saintes avec l’Art de la fugue. J’avais d’ailleurs enregistré cet Art de la fugue pendant la pandémie, et je vais en faire une tournée en août. Puis ce sera le festival de Santander (site officiel), et des concerts aux Etats-Unis.
Propos recueillis par G.ad.
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