Né en 1995 à Paris de parents musiciens, Jean-Paul Gasparian est admis à l’unanimité au CNSM de Paris à 14 ans ; il y obtient brillamment son Master en 2015. Ses professeurs sont de grands noms du piano : Laurent Cabasso, Olivier Gardon, Jacques Rouvier, Michel Béroff et bien d’autres. Après un 3ème cycle avec Michel Dalberto et Claire Désert, ainsi qu’au Royal College of Music de Londres avec Vanessa Latarche, il se perfectionne auprès d’Elisso Virsaladze en Italie. Jean-Paul Gasparian se distingue non seulement par sa précocité, mais aussi par la diversité de ses centres d’intérêt. Si la musique occupe une place capitale dans son parcours, il se passionne également pour le cinéma, la littérature et la philosophie. C’est ainsi que le 1er prix de Philosophie au Concours Général des Lycéens de France lui est attribué en 2013. Il est attendu à l’Opéra Grand Avignon dans le cadre de la saison 2022-23 de l’Orchestre National Avignon Provence sous la direction de Rani Calderon le 25 novembre 2022, pour le premier concerto de Rachmaninov.
-Durant votre enfance, vous avez baigné dans la musique puisque vos parents sont musiciens ; vous souvenez-vous de votre première émotion musicale?
–En dégager une serait difficile mais j’ai quelques souvenirs un peu morcelés, notamment une émotion d’écoute : je devais avoir 7 ou 8 ans et mon père m’a fait écouter le très fameux enregistrement par Yevgeny Mravinsky et l’Orchestre Philharmonique de Léningrad des 4e, 5e et 6ème Symphonies de Tchaïkovski. Notamment, je me souviens du premier mouvement de la 4eme symphonie avec cette introduction aux cuivres avec les rythmes pointés ; cela m’avait beaucoup impressionné et j’ai encore en tête l’image du disque vinyle que l’on avait à la maison. Ça, c’est un souvenir discographique, mais par ailleurs, j’ai baigné dans la musique au sens où j’entendais la musique toute la journée, parce que mes parents travaillaient le piano à la maison, en particulier mon père. Ma mère donnait des cours, ainsi toute une série d’œuvres et de compositeurs ont fait partie de mon univers musical. J’entendais mon père travailler par exemple la Barcarolle de Chopin ou le 4eme concerto de Rachmaninov, c’était très varié avec soit des écoutes discographiques, soit des œuvres travaillées à la maison. Ma mère enseignait dans des académies musicales en Bretagne et très vite elle m’y a emmené dès la 1ère année où j’avais commencé le piano ; je devais avoir 6 ans, et plusieurs de ses élèves avaient joué les Suggestions diaboliques de Prokofiev. Je me souviens avoir été très impressionné aussi je voulais absolument travailler cette pièce, évidemment c’était beaucoup trop difficile pour un débutant, mais cela fait partie de ces moments musicaux qui m’ont ému ou du moins ont éveillé mon attention musicale.
-A quel moment avez-vous su que vous deviendriez pianiste, et auriez-vous pu exercer un autre métier ?
–Je ne peux pas vous le dire car il n’y a pas eu de moment de dilemme ou de choix à faire. J’ai commencé à 6 ans et tout s’est déroulé par étapes logiques, par paliers, mais à aucun moment j’ai sérieusement envisagé de faire autre chose, donc il n’y a pas eu un moment où je me suis dit « ça y est, je vais devenir pianiste ». Depuis toujours il était évident que j’allais continuer dans cette voie-là. Rien n’est venu perturber ce cours des choses. La seule interrogation qui n’en n’était pas vraiment une, c’est la poursuite de mes études en philosophie. J’avais été reçu en hypokhâgne au lycée Henri IV mais ça n’a pas duré très longtemps car c’était totalement incompatible avec mon travail pianistique. Durant une petite période la question aurait pu se poser, de poursuivre plus avant des études de philosophie ou pas, mais en réalité, ça n’a pas été un vrai dilemme. Je n’ai jamais envisagé de laisser le piano pour continuer dans cette voie-là !
-Vous avez reçu le 1er Prix de Philosophie au Concours Général des Lycéens de France en 2013. Quel lien faites-vous entre la philosophie et votre amour de la musique, du piano plus particulièrement ?
–C’est une vaste question à laquelle il va m’être difficile de répondre. Ce qui est certain, c’est que j’ai commencé à m’intéresser à la philosophie à la fin du collège et durant toutes mes années de lycée, qui ont coïncidé avec mes années de conservatoire. Je sais que la lecture de la philosophie, que je poursuis aujourd’hui encore dans un cadre moins académique, m’a aidé à grandir en tant que personne. C’est l’une des principales qualités de la philosophie, comme m’orienter dans l’existence et dans la pensée, mais cela m’a aussi aidé à avoir un rapport plus profond, à élargir ma perception de ma sensibilité musicale en allant vers d’autres répertoires. Par exemple la lecture de Nietzsche m’a fait aller vers les opéras wagnériens. Il y a toute une série de connections explicites entre la philosophie et la musique, notamment aux XIXe et XXe siècles, qui m’ont poussé à aller vers des répertoires que je connaissais moins et à approfondir ma relation à ma pratique d’instrumentiste.
-Vous avez fait paraître début 2022 votre 3ème album solo, un enregistrement entièrement consacré à Rachmaninov, compositeur avec lequel vous entretenez une affinité toute particulière depuis de longues années. Vendredi nous allons vous entendre dans Rachmaninov pour le premier concerto. Pouvez-vous nous parler de la place qu’occupe ce compositeur dans votre répertoire ?
–Rachmaninov occupe une place centrale. Mon début de discographie en est le meilleur exemple puisque j’ai consacré totalement ou partiellement 3 de mes 4 premiers disques à Rachmaninov. Mon tout premier disque était à moitié consacré à ce compositeur puisqu’il comportait les Etudes-Tableaux op39, et était ensuite complété avec du Scriabine et du Prokofiev. Ensuite j’ai fait un disque Chopin, puis un disque 100% Rachmaninov avec notamment la Seconde Sonate qui a un point commun avec le 1er concerto car c’est une œuvre qui a été révisée par l’auteur lui-même à des périodes différentes : la Sonate a été révisée au moment où Rachmaninov était exilé aux Etats-Unis, elle a été considérablement condensée, et le 1er Concerto aussi a été révisé en 1917. J’ai enregistré également un disque avec orchestre en début d’année avec le second concerto de Rachmaninov. Dans le répertoire concerto, il s’agit de l’œuvre que j’ai le plus jouée ; je l’ai étudiée très jeune et jouée plusieurs fois en public aussi ; c’était assez naturel pour moi de le mettre au programme de ce premier disque avec orchestre qui est complété par une œuvre beaucoup plus rare du compositeur arménien Arno Babadjanian « Heroic Ballad ». Ce Premier Concerto de Rachmaninov, je l’adore depuis des années et n’avais pas eu l’occasion de le jouer. Ça va être une grande première et ça me plaît de le jouer sur scène, en particulier avec un chef d’orchestre avec lequel je n’ai jamais joué. Cette œuvre reste populaire, mais elle est moins interprétée que le 2nd et le 3ème concertos. J’ai une affection toute particulière pour cette pièce qui condense ce qui fait la quintessence de l’art de Rachmaninov.
-Au printemps 2019, la sortie de votre album Chopin avait été accueillie avec enthousiasme par la presse internationale. Avez-vous envisagé comme d’autres pianistes procéder à l’enregistrement d’intégrales ?
–A ce stade non, mais ce n’est pas une position de principe que j’ai ! Il se peut que dans le futur je me lance dans une intégrale. Alors tout dépend s’il s’agit de l’intégrale des compositions d’un compositeur ou d’une intégrale plus ciblée, par exemple, l’intégrale des Concertos de Rachmaninov, ou l’intégrale des Préludes. Pour l’instant, même si j’ai des affinités électives avec quelques compositeurs, Rachmaninov, Chopin, Debussy, Brahms, …cela peut changer au fil de la vie et de la carrière. Il y a des compositeurs que j’ai moins joués jusqu’ici, non pas parce que je les aime moins mais c’est aussi le hasard des programmations de festivals, de salles de concerts et les envies du moment. Par exemple, j’ai un peu moins joué Schubert, Scarlatti, Saint-Saëns, mais cela ne veut pas dire que je ne jouerai pas plus à l’avenir ces compositeurs-là ! A mon âge, il y a encore beaucoup de compositeurs que je n’ai jamais joués et auxquels j’ai envie de me confronter. Pour l’instant, les projets d’intégrales ne sont pas à l’ordre du jour !
-Au printemps 2023 vous allez enregistrer des œuvres de Claude Debussy ; nous sommes loin du romantisme d’un Chopin ou de Rachmaninov, pouvez-vous nous en parler ?
–Nous sommes loin de Chopin et Rachmaninov ? Oui et non ! Il y a un lien qui est assez réel avec Chopin. On sait que Debussy a appris le piano auprès d’une élève de Chopin. La forme des œuvres de Debussy fait référence à Chopin comme notamment les Préludes On peut considérer Debussy comme l’un des héritiers de Chopin. Pour ce qu’il en est de consacrer un disque à Debussy, il y avait plusieurs raisons à cela : j’avais envie d’aborder un autre répertoire, de montrer une autre facette de mon jeu et de ma personnalité. Après avoir fait 4 disques consacrés au répertoire russe et romantique, je ne voulais pas m’enfermer dans une seule esthétique. D’autre part, c’est en cohérence avec ce que je suis, avec ma formation et l’héritage que j’ai reçu : durant toutes mes études au conservatoire de Paris, j’ai étudié avec des professeurs issus de « l’école française », qui sont eux-mêmes rattachés à une tradition pianistique et pédagogique. Plusieurs de mes professeurs ont été élèves par exemple de Pierre Sancan, d’autres de Perlemuter, ils sont porteurs de traditions d’interprétation du répertoire français notamment, Debussy, Ravel, Fauré, Poulenc et autres. Pour les Préludes et les Estampes, j’ai eu la chance de pouvoir les travailler depuis des années auprès de professeurs comme Michel Beroff, Jacques Rouvier, Michel Dalberto. Dans mon prochain disque Debussy, il y aura le Premier Livre des Préludes, les Estampes et une transcription mondiale « Rondes de Pintemps » écrite par mon père. Debussy fait aussi partie de mes compositeurs de prédilection, et donc je pense que c’est un disque qui me représente en tant que musicien vis à vis de l’héritage pianistique et pédagogique que j’ai reçu.
-Et après Debussy, quels sont vos projets ?
–Cela reste en réflexion pour l’instant. Il est très probable que je consacre un disque à la musique arménienne avec d’autres pièces d’Arno Babadjanian, peut-être des pièces de Komitas, des pièces brèves, des compositions de mon père et des transcriptions. Cela reste encore flou, mais c’est une chose que je ferai à plus ou moins brève échéance parce que c’est un répertoire avec lequel j’entretiens un rapport privilégié du fait de mes racines. En plus, l’intérêt additionnel, c’est que c’est une musique assez peu connue en Europe occidentale, par exemple la Ballade Héroïque de Babadjanian que nous avons enregistrée en début d’année avec l’orchestre symphonique de Bern, c’est le premier enregistrement occidental de cette œuvre. Il y a donc intérêt à faire découvrir cette musique auprès du public européen. J’ai toujours eu des retours très positifs en jouant ces musiques inconnues. C’est un projet que j’ai et que je réaliserai très prochainement. Je ferai également un enregistrement de musique germanique car j’aime jouer Brahms, les 1ère et 3ème sonates notamment, mais tout cela reste à préciser.
Propos recueillis par D.B. Photos Bernard Martinez
Concert le vendredi 25 novembre à l’Opéra Théâtre d’Avignon à 20h30. Notre compte rendu.
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