Jean-François Zygel est amoureux des mots autant que des notes. On perçoit autant de gourmandise dans sa parole que sur son clavier. Au mois d’août il revient comme chaque année animer le festival des Ferréofolies du village vauclusien de Viens, avec des improvisations dont il a le secret, sur des thèmes divers : géographie, histoire, musique, littérature, tout peut titiller son imagination fertile… Cette année, 400e anniversaire oblige, le fil rouge sera La Fontaine, né le 8 juillet 1621 – avec un peu de retard, dû à la pandémie..-.
-Jean-François Zygel, nous vous retrouvons comme chaque année en Vaucluse en ce mois d’août.
–Je reviens en effet chaque année avec une grande fidélité, et je donne toujours deux concerts deux jours de suite, depuis une vingtaine d’années. J’ai mis en musique le village de Viens en 2021, comme je l’avais fait aussi, pour la ville de Carpentras ; j’ai fait quantité de portraits de villes, que le public apprécie particulièrement : jusqu’à La Paz en Bolivie, ou Bucarest en Roumanie… A Viens encore j’ai improvisé sur Beethoven en 2020, car les concerts y avaient été maintenus malgré le contexte (c’était l’année de toutes les annulations – Chorégies d’Orange, Festival d’Avignon, Festival de Lacoste, Musicales du Luberon, etc..; seul avait été maintenu le Festival de piano de La Roque-d’Anthéron) ; sur deux poètes, Rimbaud et Apollinaire en 2019 ; en 2018, c’était mon Requiem imaginaire, avec le magnifique chœur Spirito ; en 2017, c’était un « tour du monde en 80 minutes », à partir de mélodies venues de divers pays, avec percussions, vents et piano. En 2016, East Side Story ; en 2015 c’était sur Schumann…
-C’est une palette très variée !
-Les deux prochains concerts, les 16 et 17 août à 19h30 se tiendront, comme d’habitude, au sein même d’une exposition de peinture, puisque c’est la particularité de cette chapelle. C’est Christine Ruiz-Picasso, la belle-fille de Picasso, la veuve de Paulo le fils aîné, depuis longtemps installée à Viens, qui a permis la restauration de la chapelle, et qui y a souhaité une programmation alliant musique et peinture. Et c’est Viviane Dargery, adjointe au maire, chargée de la culture, qui est devenue présidente des Ferréofolies ; plusieurs expositions se succèdent ainsi tout l’été, en ce moment avec des œuvres de Patricia Le Berre.
-Parlez-nous justement de votre double concert.
–Auparavant je voudrais évoquer le concert des Voix animées le 14 août. C’est un ensemble de Toulon, plein de talent, spécialisé dans les musiques de la Renaissance. Quand tous les concerts étaient suspendus à cause de la pandémie, et toutes les salles fermées, ils offraient sur le Net des bouquets de chansons, de façon originale et moderne, ainsi qu’un feuilleton radiophonique comme 1514, leur voyage musico-temporel (podcastable sur Radio-France), qui évoque ce qui s’est passé l’année avant 1515 !
-Le concert des Voix animées du 14 août n’était pas initialement prévu, même si l’ensemble vocal est lui aussi habitué de Viens.
–En effet. C’est une annulation de dernière minute qui les a libérés. En cette fin d’été, d’autres événements ont été annulés, comme au Festival des 1001 notes de Limoges, qui a annulé la moitié de ses concerts. C’est tout un art que de prévoir, d’anticiper, de préparer une programmation…
-Pourquoi, de votre part, une telle fidélité à ce petit festival ?
–Ce qui m’attache à ce lieu est multiple. D’abord j’aime toute cette région, et depuis toujours. Mais ici, c’est plus précisément l’aventure incroyable de cette chapelle. Et la programmation très variée : solo, trio… Au départ j’avais composé des pièces, avec chansons, avec jazz…, pour un spectacle intitulé Du coq à l’âne, illustré par des dessins inédits de Picasso pour le Bestiaire de Buffon ; des gravures que personne n’avait vues jusque-là, prévues pour un projet d’édition qui n’a jamais vu le jour et qui ont accompagné ma tournée, au Museum d’Histoire naturelle, à la Cité de la musique… Mais la particularité, à Viens, est que le public est environné de tableaux, immergé dans l’exposition. Ce qui me permet ce qui est maintenant devenu une tradition : j’offre au public, en bis, la transposition musicale, évidemment subjective, de l’un des tableaux qu’il a sous les yeux.
-Et La Fontaine, cette année, s’inscrit dans la commémoration du 400e anniversaire de sa naissance ?
–400 + 1 (sourire). Pour Beethoven aussi, pour cause de Covid, j’étais un peu en retard, mais qu’importe ? Je me suis replongé avec délice dans cette écriture merveilleuse de La Fontaine. Mon principe, ma démarche, sont toujours les mêmes : tout transformer en musique. Et comme il y a une dizaine de fables que je connais par cœur depuis l’école, tout est ainsi facilité. Je crée des univers, des ambiances différentes pour chaque fable.
-Vous évoquez en quelque sorte les invariants de votre démarche. Pourriez-vous les préciser ?
-Je ne fais presque jamais de concert « muet » ; comme j’aime les mots autant que les notes, il y a toujours des paroles, sauf peut-être à l’étranger… Encore que… Il y a toujours quelqu’un pour traduire, le cas échéant. Donc, le fil de la musique et le fil de la parole me portent, en alternance. La parole me permet d’établir un contact avec le public, et d’éviter la simple succession des morceaux ; comme au restaurant, en musique on a besoin d’une respiration. La parole est donc à la fois séparation des morceaux et contact avec le public. Ma démarche, c’est un fil qui se partage entre imagination verbale et imagination pianistique.
-Avez-vous des souvenirs qui vous rattachent à la région de Provence ?
–Bien sûr, puisque ma mère, Sylvia Ostrowetsky, était enseignante en sociologie à l’Université d’Aix-en-Provence, gravissant successivement tous les échelons. Je pourrais vous raconter pendant des heures mes souvenirs… Un jour, peut-être, je les écrirai.
-Avez-vous déjà des idées pour vos prochaines improvisations, notamment pour les concerts de 2023 à Viens ?
-(Sourire) Bien sûr, j’ai des idées, mais je dois en discuter avec les responsables… et garder une part de mystère !
Propos recueillis par G.ad.
-Mardi 16 & mercredi 17 août, 19h30, Jean-François Zygel. Ferréofolies. Tarifs : 20€/ 25€ (1ers rangs). resa@chapellesaintferreol.com ou 06 67 86 76 96.
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