Humoriste, écrivain, chroniqueur de radio, homme de scène, François Morel a toujours plusieurs spectacles sur le feu, et presque autant dans ses valises. Il sera au théâtre du Balcon à Avignon – on refuse du monde ! – le vendredi 7 septembre 2022, avec son fils Valentin, pour leur ouvrage commun Le Dictionnaire amoureux de l’inutile. Il viendra ensuite avec son spectacle J’ai des doutes, le 10 novembre 2022 à l’auditorium départemental Jean Moulin au Thor (84). Nous l’avons interrogé sur ces deux spectacles. Echange avec un homme courtois qui vous partage des pleins bouquets d’ondes de sérénité (mais qui sait ? Peut-être a-t-il plus d’une pirouette dans son sac !)
-François Morel, vous venez vendredi au théâtre du Balcon avec votre fils et votre Dictionnaire amoureux de l’inutile. Quelle forme prendra cette soirée ?
–C’est en fait une lecture-spectacle, une lecture améliorée… enfin je l’espère.
-Est-ce un nouveau Bouvard et Pécuchet, ou Dictionnaire des idées (pas !) reçues ?
–Ce serait un peu prétentieux d’être ainsi flaubertien (rire) ! C’est beaucoup moins ambitieux ; le point de départ, avec mon fils, était de collectionner des moments, des choses peut-être intéressantes mais pas transmettables, inutiles : faire des ricochets, allongés regarder les nuages et y voir des éléphants ou des girafes… Des moments importants mais pas rentables, pas utiles… et finalement indispensables. On a voulu mettre en valeur les moments où la vie passe à travers « le rien ». C’est comme un journal ; avec mon fils on s’est donné cet exercice : tous les mois s’envoyer 5 articles de journal, 5 entrées de dictionnaire. En fait, tout peut renvoyer à l’inutile, comme par exemple un chef d’orchestre sans baguette ! Je me souviens d’un concert de Bernstein, un concert Haendel ; à la fin du concert il a posé sa baguette, et il a continué à diriger juste avec les yeux ; il y avait dans son regard une telle empathie avec son orchestre ! Je me suis dit que la baguette n’était pas toujours utile. En fait c’est un sujet très ouvert, on cherche le plus « déconnant », comme ce loto de bouses en Bretagne : les vaches sont sur un pré, dans des carrés dessinés au sol ; il faut parier dans quels carrés tomberont les bouses ! On peut passer un après-midi entier à ce comble de l’inutile ! Notre dictionnaire est tout cela, mais il est très divers dans le ton : poétique parfois, rigolo, absurde…
-Chacun va lire ses propres écrits ?
-Plus ou moins….
-C’était à l’origine une sorte de défi ?
–On s’est juste dit qu’on allait s’envoyer 5 articles chaque mois, sur plein de sujets différents. J’ai ainsi découvert que mon fils était champion du monde de nostalgie, plus que moi ; il évoque par exemple une chanson sur la mort d’un chien ; à partir de là, il raconte combien la mort de son chien, quand il était enfant, l’avait marqué ; c’est un épisode important dans la construction d’un enfant, surtout un enfant unique.
-Justement, avez-vous eu l’impression de vous découvrir mutuellement ?
–On s’est surpris l’un l’autre, oui, par le fait de travailler ensemble ; remarquez, il y a quantité de familles qui travaillent ensemble, des charcutiers, des menuisiers… Mais pour nous c’était la première fois ; oh, une fois il avait fait un court métrage et il m’y avait mis en scène, mais là c’est la première fois qu’on a vraiment travaillé ensemble.
-L’homme qui écrit un Dictionnaire amoureux est-il amoureux ? François Morel, êtes-vous un homme amoureux ?
–Oh oui ! De la vie, de ma femme, (hésitation) de mes amis, si l’on peut être amoureux de ses amis… En fait, je suis quelqu’un qui aime aimer.
-Qui dit « dictionnaire » dit « sérieux ». Etes-vous un homme sérieux ?
–Assez sérieux, mais dans la fantaisie. C’est-à-dire que je fais ce que je dis, je respecte mes engagements ; par exemple, à Avignon je serai là le 7 octobre ; à la bibliothèque je rends les livres… même si c’est avec un peu de retard.
-Et êtes-vous un homme heureux ?
–Je le pense, parce que j’ai des choses à perdre….
-(silence) Pas facile de reprendre après une telle déclaration ! Vous êtes un homme multiple, mais si vous deviez vous définir en 3 adjectifs ? Vous pouvez utiliser votre joker et ne pas répondre à la question.
-(un silence) Je suis entêté, assez empathique…
-Un chroniqueur, un humoriste, réagit sur les choses qui l’horripilent ; qu’est-ce qui vous agace, vous révolte, aujourd’hui ?
–Comment les gens sont aujourd’hui incapables de se parler dans un dialogue équilibré ; l’anathème a remplacé la conversation ; celui qui ne pense pas comme vous est un salaud. Oui, plein de choses m’horripilent.
-Quel travailleur êtes-vous ? A votre table tous les matins, ou en attendant l’inspiration du moment ?
–Selon l’inspiration du moment que je peux saisir. Sinon, je me mets à ma table le jeudi matin, j’ai ma dictée à rendre le lendemain, vous connaissez aussi ?! (rire) Mais quand le lundi ou le mardi il ne s’est apparemment rien passé, que rien ne s’impose, de toute façon on arrive toujours à trouver quelque chose.
-Avignon et le Vaucluse, qu’évoquent-ils pour vous ?
–J’ai commencé par un spectacle au Thor, alors que j’étais encore étudiant à l’école de la rue Blanche (l’ENSATT, École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre, l’une des 11 écoles nationales en France, NDLR) ; c’étaient les anciens qui l’avaient préparé, à l’époque où Pierre Roudy était le directeur (Pierre Roudy, auteur dramatique, époux d’Yvette Roudy, est responsable de l’école, de 1970 à 1991, NDLR) ; un spectacle de Jacques Mauclair (1919-2001, créateur du théâtre du Marais en 1976, plus tard repris par le cours Florent, NDLR), Arlequin superstar (1979, NDLR), commedia dell’arte. Puis je suis venu au Festival comme spectateur ; j’y ai vu Bouquet et Rufus, dans Godot à la Cour d’honneur (16 juillet 1978, NDLR). Ensuite c’est moi qui ai joué dans la Cour d’honneur, en 1994 avec Jérôme Deschamps, les Pieds dans l’eau (en fait, en 1995, et diffusion sur Arte le 18 juillet 1995, NDLR). Et puis dans le Off, bien des choses. Pour moi, le festival d’Avignon c’est toute une ambiance, une effervescence, les spectacles qu’on va voir, les repas avec les copains, le rosé en terrasse…
-Vous avez de nombreuses casquettes, de nombreuses activités. A laquelle renonceriez-vous le plus difficilement ?
–A laquelle le ne pourrais pas renoncer ? A la scène, je crois. Je suis un homme de spectacle. J’aime partager, faire partager des émotions, faire rire aussi.
-Si vous n’aviez pas été ce que vous êtes, auriez-vous rêvé d’autre chose ?
–Peut-être ? En fait non, je n’ai pas rêvé autre chose. Quand j’étais jeune, j’hésitais entre journaliste et comédien…
-Vous êtes devenu l’un et l’autre…
–Oui, journaliste par l’écriture. En fait, j’avais énormément d’incompétences : pas sportif, pas bricoleur. Mais je n’étais pas mauvais en récitation, en dictée, en rédaction ; toute ma vie je n’ai fait que des récitations, des dictées, des rédactions.
Propos recueillis par G.ad. Photos Arnaud Journois & Festival d’Avignon
Lors du même entretien, François Morel nous a parlé de son prochain spectacle à l’auditorium départemental de Vaucluse, au Thor, J’ai des doutes.
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