Elle est metteuse en scène, auteure, interprète, et recule toujours plus loin les limites de ses provocations… L’artiste espagnole Angelica Liddell avait stupéfié le public du Festival en 2016, lors d’une performance entre horreur et poésie. Invitée par Milo Rau pour illustrer le 3e volet de son histoire du théâtre, elle met en résonance dans sa nouvelle création Liebestod le torero Juan Belmonte (1892-1962, NDLR) et le Tristan et Isolde (1865) de Wagner.
-Vous n’aimez pas les acteurs. Comment appelleriez-vous les personnes qui vous accompagnent sur scène ? Quelles qualités attendez-vous de ces personnes que les acteurs ne possèdent pas ?
–Je me suis fatiguée des acteurs, oui. En fait, je veux passer du temps à travailler seule sur scène. A chaque fois, je les supporte un peu moins. Je n’aime pas leur monde de vanité et de bêtise. Je n’aime pas leur perpétuel égocentrisme. Ils leur manquent l’ingénuité, l’innocence. Moi, je préfère travailler avec des « modèles », dans le style de Bresson, des gens qui ne cherchent pas à faire carrière comme acteurs, j’aime les personnes simples, les personnes sans aucune ambition d’acteur, sans toute cette routine odieuse des acteurs.
-Et le spectateur ? Quelle place occupe-t-il dans vos créations ?
-Le spectateur est fondamental. Sans spectateur, il n’y a pas de liturgie, il n’y a pas de transe, il n’y a pas de rite. J’aime le spectateur, je cherche la communion.
–En quoi Juan Belmonte repsrésente-t-il les racines de votre théâtre?
-Belmonte est le créateur de la tauromachie spirituelle. Il passait pour un torero tragique, qui toréait avec l’envie de mourir, il ne se défendait pas du taureau, il se donnait au taureau. C’est là non seulement les racines de mon théâtre, mais encore les racines de ma place dans l’existence.
–Avec la figure de Juan Belmonte, vous convoquez sur scène la musique de Wagner. C’est important pour vous cette présence musicale dans vos créations ? Un rempart contre l’angoisse et l’horreur ?
-Je ne me protège ni de l’horreur ni de l’angoisse. Je cherche le beau dans l’horreur et l’angoisse. Dans le Tristan et Yseut de Wagner, conflue nombre de mes besoins; la mort se présente comme le point culminant de l’amour, un point culminant bien au-delà de la vie ; le prélude du troisième acte est extrêmement inspirant, et se confond intimement avec le sens profond de la tauromachie.
-Pourquoi avez-vous choisi la scène de l’Opéra-Confluence ?
-[On] nous a refusé l’opéra-théâtre d’Avignon, [on l’a] refusé au festival. Il était prévu de créer le spectacle là-bas. Nous aurions eu toutes les conditions techniques adéquates pour présenter l’oeuvre dans sa plénitude. […] J’aurais préféré travaillé en tout autre endroit plutôt que celui-là. Mais quand les lumières s’éteignent, la magie est la même partout. Belmonte sera avec moi avec le public, nous le convoquerons. […]
(Tout le reste de la réponse est une violente diatribe contre « le responsable de l’Opéra », qui a légitimement choisi de réserver au public avignonnais en automne 2021 la réouverture de l’Opéra entièrement rénové. NDLR)
Propos recueillis et traduits par Sonia G-T. Photo Bruno Simao
Bio express
❏ 1966 : naissance à Figueras (Catalogne)
❏ 1993 : elle crée sa compagnie “Atra Bilis”.
❏ 2010 : elle présente au Festival La Maison de la force et El Año de Ricardo.
❏ 2012 : Prix national de littérature dramatique décerné par le ministère de la culture espagnole.
❏ 2016 : 3e participation au Festival avec Que hare yo con esta espada ?
❏ 2017 : nommée chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres
❏ 2021 : création au Festival de Liebestod.
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