Contreténor et basse : duel acrobatique et jubilatoire
Festival de Pâques d’Aix-en-Provence (notre présentation & site officiel)
Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, mercredi 13 avril 2022
Ensemble Matheus. Jean-Christophe Spinosi, direction. Carlo Vistoli, contre-ténor. Luigi De Donato, basse
Œuvres d’Antonio Vivaldi, Georg Friedrich Händel, Henry Purcell
Comme le précise au public le chef Jean-Christophe Spinosi pendant le concert, le programme de la soirée est conçu pour illustrer une « battle » entre l’aigu et le grave, donnant tour à tour des airs à chanter à un contre-ténor et une basse, avec également deux concertos de Vivaldi à l’affiche, l’un pour piccolo et l’autre pour basson.
Les deux compositeurs Antonio Vivaldi et Georg Friedrich Händel se partagent le menu, avec une petite place laissée aussi à Henry Purcell.
Après l’ouverture courte et fougueuse de l’Olimpiade de Vivaldi, impeccablement jouée par l’Ensemble Matheus, place à Händel et l’un de ses airs les plus connus, Ombra mai fu, tiré de Serse. Le contre-ténor Carlo Vistoli en assure une suprême musicalité, les aigus sont projetés avec force sur une longue tenue du souffle. Le morceau qui enchaîne, Benché nasconde extrait de l’Orlando Furioso de Vivaldi, est plutôt agité et montre la dynamique de la basse Luigi De Donato, pendant que Jean-Christophe Spinosi dépense une énergie très démonstrative pour diriger, un véritable chef remuant, bondissant, se déplaçant d’un pupitre à un autre, se pliant en deux au besoin…
Place ensuite au Concerto pour piccolo en do majeur de Vivaldi, une pièce d’une extrême difficulté dont se tire avec les honneurs le soliste Sébastien Marq. En particulier, les premier et troisième mouvements, en allegro et allegro molto, comprennent des traits d’une folle virtuosité, parfois dans des tempi si rapides qu’on se dit qu’ils sont à la limite du jouable. Même si la maîtrise de l’émission est moindre sur certaines rares notes – parmi la multitude ! –, le public salue à juste titre la performance, avec des applaudissements à l’issue de chaque mouvement.
Un peu plus tard, le Concerto pour basson en la mineur du même Vivaldi ne nous montre pas la même dextérité, dans une partition qui reste difficile, mais nettement moins fleurie cette fois. Si le rythme est idéalement suivi, quelques notes émises par le soliste Antoine Pecqueur, par ailleurs journaliste musical et écrivain, font entendre une intonation imparfaite.
Mis à part ces deux passages instrumentaux d’une grosse dizaine de minutes chacun, les deux chanteurs continuent de se passer le relais au cours des airs successifs. Côté basse, deux extraits du Messie de Händel – The People That Walked In Darkness, puis Why Do The Nations So Furiously Rage Together – mettent en valeur les graves profonds de Luigi De Donato, plus séduisants que ses notes les plus aiguës. Autre tube du baroque, la « Cold song » (What Power Art Thou ?, extrait de King Arthur de Purcell) est prise avec lenteur et douceur, avant crescendo du volume, tandis que l’air Fra l’ombre e gl’orrori, extrait de Aci, Galatea e Polifemo de Händel puise dans les abysses de la tessiture, tout en assurant quelques grands sauts d’intervalle sur la partition.
A l’autre extrémité, le contre-ténor Carlo Vistoli impressionne plus encore, d’abord dans la longue scène d’Orlando de Händel (« Ah! stigie larve… Vaghe pupille ! »), succession de récitatifs et air, qui convoque les suraigus les plus aériens, tout aussi bien que certains graves émis en voix de poitrine. Cet Orlando sera aussi mis en miroir de l’Orlando Furioso de Vivaldi, illustré par l’air Ah Sleale, ah Spergiura, puis du même Vivaldi, Gemo in un punto e fremo, extrait d’Olimpiade, met en évidence toutes les qualités de vélocité de l’interprète.
Autre air tiré de l’Orlando Furioso de Vivaldi, Nel profondo cieco mondo est entamé par le contre-ténor, bientôt rejoint sur scène par la basse, les deux compères se livrant dès lors à une sympathique joute vocale en chantant à tour de rôle. La « battle » annoncée est donc arrivée, déclenchant un enthousiasme certain dans l’auditoire.
Deux bis sont accordés, d’abord Al trionfo del nostro furore, duo de Rinaldo de Händel, où le piccolo droit et le basson se joignent, avec bonheur, aux autres instrumentistes. Puis la reprise d’une partie du dernier duo vivaldien vient conclure un programme très riche et varié.
F.J. Photos Caroline Doutre
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