Mardi 15 juillet 2025, Grand Théâtre de Provence, Festival d’Aix-en-Provence
Don Giovanni, opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Direction musicale, Sir Simon Rattle. Mise en scène, Robert Icke. Scénographie, Hildegard Bechtler. Costumes, Annemarie Woods. Lumière, James Farncombe. Chorégraphie, Ann Yee. Vidéo, Tal Yarden. Son, Mathis Nitschke. Dramaturgie, Klaus Bertisch
Don Giovanni, Andrè Schuen. Leporello, Krzysztof Bączyk. Donna Anna, Golda Schultz. Donna Elvira, Magdalena Kožená. Don Ottavio, Amitai Pati. Il Commendatore, Clive Bayley. Zerlina, Madison Nonoa. Masetto, Paweł Horodyski
Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks
Estonian Philharmonic Chamber Choir
Don Giovanni au Festival d’Aix-en-Provence et les mystères de sa mise en scène…
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Festival Mozart dans ses premières années (Così fan tutte en 1948, puis Don Giovanni en 1949), le Festival d’Aix-en-Provence a toujours ménagé une place au compositeur, et ce Don Giovanni, en tête d’affiche de l’édition 2025 et dirigé par Simon Rattle était évidemment attendu comme un petit événement. La mise en scène de Robert Icke, très originale mais peu fluide et qui tend régulièrement vers l’énigme, aura toutefois décontenancé une bonne partie du public.
La scénographie d’Hildegard Bechtler à deux niveaux est plutôt fonctionnelle et lisible : le plateau comme un sous-sol sombre et éclairé par quelques néons blafards, tandis qu’à l’étage, un large balcon transversal abrite plusieurs pièces, souvent fermées par des rideaux. Ces rideaux nous rappellent d’ailleurs l’esthétique des films ou séries télévisées de David Lynch, en particulier quand certaines ampoules lumineuses clignotent, en fin de vie. La première image est ce soir celle d’un homme à l’écoute d’un vieil enregistrement de la scène finale de Don Giovanni, sur un tourne-disque. Il s’agit du Commandeur, figure omniprésente au cours du spectacle, qui passe et repasse comme un spectre, se lève après avoir été tué par Don Giovanni, et prend d’ailleurs sa place dans les dernières répliques du Don qui part aux enfers.
Don Giovanni se tache graduellement de sang au cours de la représentation, jusqu’à pousser sa potence médicale sur roulettes au second acte, comme un malade sous perfusion. Le banquet final se déroule aussi dans une ambiance d’hôpital, quand des médicaments, ainsi qu’un cœur, sont placés sur une table d’opération. Avant cela, des mannequins marchent comme pour un défilé pendant l’air du Catalogue de Leporello, une fillette entrant en scène au prononcé des paroles « La piccina è ognor vezzosa » (« Mais (il) trouve la petite tout aussi charmante »). Cette fille reviendra périodiquement, Don Giovanni s’adressant à elle pendant son air « Deh, vieni alla finestra ». Qui est cette fillette ? Une parmi les nombreuses proies du séducteur, celui-ci basculant pour le coup dans la pédophilie ? Ou encore la fille qu’auraient eue Giovanni et Anna dans leur vie commune précédente ? … mystère !
A signaler encore l’utilisation de la vidéo, projetée soit à l’étage, soit sur le rideau fermé en avant-scène, pendant un air de soliste. Ce procédé tourne à la répétition, mais c’est surtout l’ajout de bruitages, parfois violents comme ce coup de tonnerre en fin de premier acte, qui dérange à la longue. Surtout que ces bruits viennent le plus souvent se superposer à la musique mozartienne, donnant souvent le sentiment d’une pollution sonore. Le public a en tout cas tout intérêt à lire le message affiché avant le début de la représentation « Ce spectacle comporte des effets sonores intenses pouvant vous surprendre »…
La distribution vocale est dominée par le Don Giovanni d’Andrè Schuen, beau baryton au grain noble et suffisamment projeté, tandis que le Leporello de Krzysztof Bączyk, voix sombre et monolithique, d’une italianità réduite et la vis comica plutôt rigide, se montre souvent en difficulté dans son registre le plus aigu. La Donna Anna de Golda Schultz possède un format lyrique et un timbre agréable, appuyant certains graves, mais pas impeccable dans les passages vocalisés de son air « Non mi dir, bell’idol mio ». Peu sonore dans la partie inférieure de la voix en début de représentation, la Donna Elvira de Magdalena Kožená s’épanouit toutefois rapidement et délivre une belle leçon de chant, ainsi qu’un jeu théâtral d’une grande force, sorte de femme enragée, au bord de la crise de nerfs. Amitai Pati en Don Ottavio est un ténor de format trop modeste pour marquer réellement nos oreilles dans ce Grand Théâtre de Provence, alors que le Commendatore de Clive Bayley impose une présence vocale bien plus prégnante. Chez le couple de paysans, la jolie et très agile voix de Madison Nonoa en Zerlina, à défaut de puissance, l’emporte sur le Masetto solide mais plus générique de Paweł Horodyski.
Le meilleur de la soirée est à rechercher du côté de Simon Rattle aux commandes du Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks. Les tempi et nuances choisis par le chef britannique sont souvent étonnants, mais convainquent irrésistiblement. La géniale partition vit sous sa baguette, avec de saisissants reliefs et contrastes.
I.F. & F.J.©Monika Rittershaus
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