Opéra en 2 actes. Musique de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). Livret de Lorenzo da Ponte, d’après Giovanni Bertati
Création : Prague, au Gräflich Nostitzsches Nationaltheater, le 29 octobre 1787
Théâtre antique d’Orange. Vendredi 2 août et mardi 6 août. Durée 3h15.
Direction musicale, Frédéric Chaslin. Mise en scène, Davide Livermore. Décors, Davide Livermore. Costumes, Rudy Sabounghi. Eclairages, Antonio Castro. Vidéos, D-Wok. Continuo, Mathieu Pordoy
Don Giovanni, Erwin Schrott. Leporello, Adrian Sâmpetrean. Don Ottavio, Stanislas de Barbeyrac. Masetto, Igor Bakan. Le Commandeur, Alexeï Tikhomirov
Donna Anna, Mariangela Sicilia. Donna Elvira, Karine Deshayes. Zerlina, Annalisa Stroppa
Orchestre de l’Opéra de Lyon
Chœurs des Opéras d’Avignon et de Monte-Carlo. Coordination chorale, Stefano Visconti
Coproduction avec le Festival de Macerata
Fallait-il vraiment, pour soulever un vent de modernité, faire hurler sur la scène du théâtre antique les pneus de pseudo-taxis new-yorkais – même si un habitacle de berline devient refuge opportun pour tête-à-tête – ? Fallait-il, pour donner de la légèreté au « dramma giocoso », transformer la fête au château en succédané de Walpurgis pour nymphettes en chaleur – alors que Don Juan est un séducteur raffiné plutôt qu’un fornicateur voire un violeur, fût-il séduisant – ?
Je n’en suis pas certaine, même si cela ne dénature ni n’enrichit l’œuvre.
En revanche, faire du Commandeur un « parrain » et de l’affrontement final un simple règlement de comptes entre truands, voilà qui ramène malencontreusement un choc titanesque entre le bien et le mal, au niveau du simple fait divers entre malfrats. Et faire de Don Giovanni un simple fornicateur, même séduisant, le prive de sa profondeur psychologique voire philosophique : savourer avec une jubilation quasi gourmande le tête-à-tête – et plus si… – de son épouse avec son valet, ou trousser une jeune paysanne le jour même de ses noces, ou tuer le père de celle qu’on vient de violer (ou vice versa)…, sont jouissances d’une tout autre valeur que d’accumuler les conquêtes au hasard des rencontres !
Le public a d’ailleurs manifesté à plusieurs reprises sa désapprobation, et Davide Limermore, hué à la première représentation, a évité de se montrer à la seconde.
Néanmoins les artistes ont parfaitement habité cette mise en scène audacieuse, dont on ne saisit sans doute pas toutes les subtilités. Le plateau était exceptionnel, remarquable de présence, scénique et vocale. Auprès d’un Erwin Schrott, cabotin et toujours juste, superbe dans un rôle qui le suit depuis longtemps – il avait également brillé in loco dans Méphisto l’an dernier -, Karine Deshayes et Stanislas de Berbeyrac ont touché à la perfection : la mezzo soprano longuement ovationnée, au timbre étincelant de clarté et de précision, exprimant de la voix et du geste toutes les nuances d’un personnage complexe, à travers des événements éprouvants ; et le ténor, que j’ai connu plus fade dans des rôles antérieurs, donnant à Ottavio une prestance, presque un rayonnement inattendu.
Chez les deux soprani aussi, projection assurée, voix solide et timbre agréable, prestation très convaincante : Annalisa Stroppa en Zerlina pétillante, fraîche et vive aux côtés d’un Masetto sensible et douleureux (Igor Bakan) ; et l’Italienne Mariangela Sicilia, troisième Donna Anna de la distribution, après les défections successives de l’Américaine Nadine Sierra – bouleversante Gilda aux Chorégies 2017- puis de la Roumaine Cristina Pasaroiu, composant donc une Donna Anna plus consistante qu’on eût pu le craindre dans un remplacement de dernière minute. Leporello (le baryton roumain Adrian Sâmpetrean) n’a pas démérité en double d’un maître charismatique, n’étaient ses médiums parfois un peu faibles. Les chœurs d’Avignon et de Monte Carlo, peu sollicités vocalement, ont du moins participé à la fantaisie colorée de la fête villageoise.
Alors ?
Avec un plateau aussi réussi, des projections aussi travaillées en guise de décor, d’où vient que je n’aie pas ressenti ce délicieux frisson qui signe les soirées d’exception ? D’une atmosphère caniculaire, sans un souffle de vent ? D’un tempo trop lent d’un orchestre sans enthousiasme, sous la baguette de Frédéric Chaslin – dirigeant sans partition -, qui fait s’étirer l’œuvre sur trois heures et demie ?
L’embrasement final remet heureusement sur le proscenium les solistes, pour une leçon de morale très réussie, prenant les spectateurs à partie. Et quand le baryton uruguayen Erwin Schrott invite le public à chanter « Joyeux anniversaire » à son épouse, qu’il court rejoindre au premier rang, Don Juan a gagné son pari de séduire, bien plus que ses 2.065 conquêtes féminines, tout le théâtre antique deux fois millénaire. (G.ad. Photos M.A.)
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