Molière avant Molière
L’Autre Scène, Vedène (84). Mardi 25 janvier, 20h30, durée 1h30
Dom Juan tel qu’il inspira Molière. Tragi-comédie pour chanteurs, comédien, marionnettes et 4 musiciens
Jean-Philippe Desrousseaux, conception & mise en scène, comédien, marionnettiste & costumes. Arnaud Marzorati, direction artistique, baryton. François-Xavier Guinnepain, lumières, scénographie. Les Lunaisiens, ensemble musical. Claire Debono, soprano. Erwan Szejnok Zamor, comédien. Mélanie Flahaut, flûtes, basson, flageolet. Valentin Seignez-Bacquet, violon. Andreas Linos, viole de gambe. Pernelle Marzorati, harpe triple. Gabriel Rignol, théorbe.
Ce Dom Juan revisité est le premier des quatre volets consacrés par l’Opéra Grand Avignon à la célébration du 400e anniversaire de la naissance de Molière. Et Avignon s’honore de la création de ce spectacle, puisque c’en a été la toute première apparition sur scène.
On sait que Molière écrivit son Dom Juan de Molière rapidement en 1665, en prose, pendant la période d’interdiction du Tartuffe. C’est pourtant un chef-d’œuvre, qui échappe à toute classification, mais qui contribua largement à la diffusion du mythe du séducteur.
Né sous la plume de l’Espagnol Tirso de Molina en 1616, repris très vite par la Commedia dell’Arte, c’est ce personnage de Dom Juan séduisant et provocateur, que nous proposent les joliment nommés Lunaisiens, dans ce Dom Juan tel qu’il inspira Molière. C’est du théâtre « baroque » pur jus, par des artistes familiers de ce répertoire, complices habituels d’un William Christie par exemple. Leur reconstitution s’appuie sur des documents historiques.
C’est Molière avant Molière, la chrysalide d’où allait émerger le Dom Juan destiné à défrayer la chronique mais destiné aussi à s’imposer très vite comme une pièce, et un personnage, quasi mythiques.
Ce Dom Juan tel qu’il inspira Molière est aussi une petite forme – 6 musiciens et 4 comédiens-chanteurs –, jouée malheureusement devant une salle bien modeste.
Il s’agit d’un spectacle original, presque expérimental, en tout cas doublement créé sous nos yeux ce soir. Encore en répétition il y a peu, il vit son éclosion sur scène. De surcroît, il joue avec finesse de la mise en abyme : un courrier arrive d’Espagne, porteur d’un sujet de pièce à créer – clin d’œil à Tirso de Molina -, qui jette la zizanie au sein de la petite troupe – Isabelle regimbant d’être toujours la femme victime, tandis que le jeune premier se rengorge… -, mais qui va vite basculer, ou glisser, en jeu scénique.
La mise en abyme d’une pièce en train de naître est également jeu de poupées russes, puisque les 18 rôles sont partagés entre des comédiens de chair et d’os, des marionnettes en castelet pour les scènes burlesques, et des acteurs de bois en costume Grand Siècle pour les passages tragiques ; les personnages sont ainsi démultipliés en grandes marionnettes – leurs clones -, et petites figurines – leurs caricatures guignolesques tournant en danse macabre -.
Ce Dom Juan tel qu’il inspira Molière est multiple aussi dans sa tonalité, comme le théâtre de Molière du reste : à la fois farcesque, voire carrément grotesque avec le cochon statufié de feu le charcutier – pseudo-statue du Commandeur -, mais aussi fable philosophique avec la marionnette de la Camarde.
Très visuel dans les jeux scéniques, le spectacle brille par les jeux de lumières et de couleurs, parfois kitch, mais jouant de toutes les subtilités de la palette, jusqu’à l’explosion écarlate de la chute aux enfers.
Les 6 musiciens ne sont pas simples accompagnateurs ; jouant d’instruments anciens destinés à la danse et à la fête (flûtes, basson, cornemuse, vielle à roue, théorbe, viole de gambe, castagnettes) et d’autres plus insolites, ils ont un rôle à part entière, à la fois individualisés et tuttistes, soutenant le rythme, parfois spectateurs actifs de l’action.
Le spectacle va sans doute se patiner au fil du temps, mais il a su déjà trouver son public, sporadique mais conquis.
G.ad.
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