Une Flûte sans couleurs
Opéra de Marseille (6 représentations, du 24 septembre au 6 octobre)
Opéra en 2 actes. Livret, Emanuel SCHIKANEDER
Création à Vienne, Theater auf der Wieden, le 30 septembre 1791
Coproduction Opéra de Marseille / Opéra de Nice
Direction musicale, Lawrence Foster. Mise en scène, Numa Sadoul. Décors et costumes, Pascal Lecocq. Lumières, Philippe Mombellet.
Pamina, Anne-Catherine Gillet. Reine de la Nuit, Serenad Uyar. 1e Dame, Anaïs Constans. 2e Dame, Madjouline Zerari. 3e Dame, Lucie Roche. Papagena, Caroline Meng
Tamino, Cyrille Dubois. Papageno, Philippe Estèphe. Sarastro, Wenwei Zhang. Monostatos, Loïc Félix. Orateur, Frédéric Caton. 1er Prêtre / 2e Homme armé, Guilhem Worms. 2e Prêtre / 1er Homme armé, Christophe Berry.
Enfants de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Encore une production sauvée par les voix ! Comme le Don Giovanni des Chorégies cet été (2019), comme La Traviata en ouverture récente de saison à l’Opéra Garnier… Le public a légitimement applaudi le plateau, de qualité, mais boudé les choix scénographiques.
Encore une production sauvée par les voix ! Comme le Don Giovanni des Chorégies cet été (2019), comme La Traviata en ouverture récente de saison à l’Opéra Garnier…
Même si le public est accueilli par des pépiements d’oiseaux, en cette production presque anniversaire (création le 30 septembre 1791) la suite quittera le ciel…
Cette Flûte, créée en 2016 à Nice, est sans couleurs, limitée aux oppositions noir/blanc, très esthétiques certes et soulignés par des lumières somptueuses, mais qui plombent une œuvre dont la dimension féérique a ainsi totalement disparu.
Ostensiblement maçonnique (tabliers, symboles géométriques…) et manichéen, le parti pris s’est révélé trop appuyé pour être convaincant. A trop vouloir démontrer – comme la dualité du monde et des êtres -, on devient lourd et peu lisible. En revanche les épreuves initiatiques du jeune couple « élu » sont traitées avec une justesse délicate : l’économie d’effets du jeu de reflets et de la lumière rougeoyante va au cœur même de la symbolique.
Dans une Flûte, on attend surtout la Reine de la Nuit, Sarastro, et le couple pétillant Papageno-Papagena. Las ! Papageno et Papagena ne pétillaient ni ne sautillaient, alourdis par l’atmosphère de plomb qui pesait sur l’ensemble. Même les costumes, qui se voulaient eux aussi symboliques, ne montraient ni grâce ni explosion de couleurs ni chatoiement de plumes ! Le talent de Philippe Estèphe et Caroline Meng, victimes collatérales de Numa Sadoul, n’est pas en cause…
La Reine de la Nuit, à la virtuosité attendue, s’est révélée d’une platitude désespérante. Habillée et coiffée (perruque blanche) comme le reste de la troupe, Serenad Uyar n’avait aucun charisme – ceci expliquant sans doute cela -, aucune aura, aucun mystère. S’agitant autour de ses partenaires, elle cultivait avec les uns et les autres une familiarité, voire une promiscuité tactile, que récuse totalement son rôle ! Rien de « l’orgueilleuse mère » ni de la souveraine inaccessible, et son deuxième air, tant attendu, s’est dessiné dans une stridence métallique inopportune. A contrario, plus comédienne que chanteuse, elle a magistralement exprimé la fureur et la rage d’un personnage dont on ne retient trop souvent que l’autorité hiératique.
Heureusement arriva Sarastro ! De haute stature, magnifique basse profonde, Wenwei Zhang a constitué le pivot d’autorité et d’élégance qui manquait cruellement. Frédéric Caton (l’Orateur), aussi grand, aussi noble, ne lui cède en rien, dans un rôle de quasi-psychopompe.
Ne mésestimons pas le reste de la distribution. Cyrille Dubois, entendu cet été aux Chorégies dans Il Barbiere, a insufflé à Tamino une pugnace vivacité – méritoire dans un tel contexte -, une vaillance juvénile, sachant jouer des nuances de son personnage, tant psychologiques que vocales. A la Pamina d’Anne-Catherine Gillet on peut tresser les mêmes lauriers qu’à sa Susanna du printemps dans Le Nozze ; parfaitement à l’aise dans cette production niçoise qu’elle a accompagnée dès la création, elle offre une fois de plus sa présence vocale et son timbre sereinement assuré, aux couleurs d’une exquise sensibilité. Les Trois Dames (Anaïs Constans, Madjouline Zerari, Lucie Roche), elles, ont entrelacé agréablement leurs timbres complémentaires.
Les trois enfants, ainsi que les sauvageons, prouvent une fois de plus l’excellence de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône dirigée par Samuel Coquard : présence scénique, précision des voix, clarté de la projection. Et si le trio a dû se régaler des déguisements multiples, la surabondance de héros de dessins animés, contes et récits légendaires, – Charlot, Superman, Schtroumpf, Pinocchio, Tintin et autres comparses…- a quelque peu brouillé le message et nui à la cohérence d’ensemble, sans « point[er] la vanité des apparences » comme l’indiquait pourtant la note d’intention.
L’applaudimètre a salué la qualité du plateau, s’est partagé sur la direction un peu solennelle de Lawrence Foster, mais a légitimement boudé les choix scénographiques. (G.ad. Photos Christian Dresse).
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