Magnifiques Dialogues, mais…
Opéra en trois actes de Francis Poulenc. Texte de l’œuvre de Georges Bernanos, porté à l’opéra avec l’autorisation d’Emmet Lavery, d’après une nouvelle de Gertrud Von Le Fort, La dernière à l’échafaud et un scénario du Révérend-Père Brückberger et de Philippe Agostini. Editions musicales Durand.
Direction musicale Samuel Jean. Direction des chœurs Aurore Marchand. Etudes musicales Hélène Blanic. Mise en scène Alain Timár. Assistante à la mise en scène Irène Fridici. Costumes Elza Briand. Lumières Richard Rozenbaum. Vidéo Quentin Bonami
Nouvelle production de l’Opéra Grand Avignon
Madame de Croissy, Marie-Ange Todorovitch. Blanche de La Force, Ludivine Gombert. Constance, Sarah Gouzy. Madame Lidoine, Catherine Hunold. Mère Marie de l’Incarnation, Blandine Folio-Peres. Sœur Mathilde, Coline Dutilleul. Mère Jeanne, Isabelle Guillaume. Sœur Valentine, Isabelle Monpert. Sœur Félicité, Laura Darmon-Podevin. Sœur Gertrude, Marie Simoneau. Sœur Marthe, Runpu Wang. Sœur Alice, Julie Mauchamp. Sœur Anne de la Croix, Ségolène Bolard. Sœur Catherine, Pascale Sicaud-Beauchesnais. Sœur Antoine, Pascale Vernassa. Mère Gérald, Vanina Merinis. Sœur Claire, Wiebke Nölting. Sœur Saint-Charles, Béatrice Mezrich
Le Marquis de La Force, Frédéric Caton. Le Chevalier de La Force, Rémy Mathieu. L’Aumônier du Carmel, Raphaël Brémard. Le premier Commissaire, Alfred Bironien. Le deuxième Commissaire, l’Officier et le Geôlier, Romain Bockler. Javelino, Saeid Alkhouri. Thierry, Jean-François Baron
Décor minimaliste, lumières d’une pureté somptueuse, c’est d’une mise en scène d’esthète qu’Alain Timar – directeur du Théâtre des Halles à Avignon depuis 1983 – a habillé les Dialogues, pour sa première œuvre lyrique, avec précision et sensibilité. Habillé ou plutôt dépouillé. Délicatement dépouillé de tous les attributs religieux qui alourdissent certaines productions. Mais peut-être les a-t-il privés d’une « âme » religieuse sans laquelle les Dialogues, comme les Carmélites elles-mêmes, sont totalement désincarnés. On peut monter Butterfly sans être oriental, Bohème sans être artiste impécunieux, mais peut-on pénétrer les Dialogues sans les vivre de l’intérieur ? Même si les vidéos aèrent, allègent l’ensemble, le font s’envoler, on ne se sent pas vraiment sublimé par l’émotion.
A contrario de la production de Jean-Claude Auvray, il y a quelques années, soulevée d’une frémissante spiritualité, celle-ci, honnête et belle au demeurant, se révèle trop belle, trop raisonnée, jusqu’au martyre qui apparaît comme une décision réfléchie et résignée, alors qu’il peut être, qu’il doit être l’adhésion passionnée à une foi qui transcende l’existence terrestre.
Les artistes – une distribution exclusivement française – habitent totalement leur rôle, vocalement et scéniquement : Ludivine Gombert (notre interview ici), qui fait en Blanche un début bouleversant, timbre solide et coloré, fragilité et violence mêlées, Marie-Ange Todorovitch et Catherine Hunold, qui insufflent aux deux prieures successives une force saisissante, Sarah Gouzy (Constance) dont le joli soprano a séduit, Isabelle Guillaume, lumineuse mère Jeanne, Alfred Bironien et Romain Bockler (qu’on a déjà entendu à Avignon au sein de Diabolus in Musica et Senza sangue) en révolutionnaires plus méchants que nature, ce qui leur a valu d’être hués par le public scolaire lors de la générale ! Les autres rôles masculins n’ont pas démérité, tant le jeune Niçois Rémy Mathieu, qui fut lauréat de l’Adami (le Chevalier de la Force, après avoir été le 1er commissaire à Lyon), le ténor Raphaël Brémard (ex-Cnipalien) dans le personnage complexe de l’aumônier, et l’éphémère Frédéric Caton, autre niçois (le Marquis de La Force). Les artistes du Chœur de l’Opéra d’Avignon, elles, fortes de leur expérience antérieure dans l’œuvre – et d’une partie des costumes -, ont offert une interprétation toute en finesse. Et si la scène finale de la guillotine a été traitée avec une audacieuse originalité (on n’en dira pas plus), elle ne restera sans doute pas dans les mémoires.
L’Orchestre Régional Avignon-Provence, étoffé d’une vingtaine de supplémentaires, était placé sous la direction de son chef Samuel Jean, qui doit se démultiplier pour faire face à la disposition « éclatée » des musiciens dans la salle éphémère.
Magnifiques Dialogues en effet. Sans doute ne leur manque-t-il que le supplément de Grâce – majuscule – de Bernanos et Poulenc…
Dans quelques jours seulement, le 7 février, sera reprise au théâtre des Champs-Elysées la production d’Olivier Py, qui, à Bruxelles et à Caen, a été saluée comme une totale réussite. (G.ad.)(Photos Cédric Delestrade/ACM-Studios)